Voici un auteur d’orientation psychanalytique qui prend la parole pour faire une recension des problèmes internes à la psychanalyse d’aujourd’hui, dont on parle rarement et qui selon lui fâchent. Dont la résolution, nous dit-il avec bienveillance, est nécéssaire à sa survie. Voici donc un nouveau livre lampadaire qui va nous éclairer. Les problèmes sont nombreux : dégradation de l’image auprès du public, babélisation des courants, désorganisation, déclin de l’autorité, dévalorisation de la discipline, repli sur soi, paix armée ou indifférence mutuelle entre les chapelles, querelles de boutiquiers, contestation par d’autres acteurs de la santé mentale, la boucle est bouclée et la psychanalyse va selon lui, très mal.

Du point de vue de l’observation, ce livre qui navigue en permanence entre ce qu’il propose et ce qu’on pourrait lui objecter n’est pas sans poser quelques bonnes questions. Il les laisse en suspend. Il est vrai qu’il n’est pas exagéré de dire que les psychanalystes ne savent pas adapter leur discours à leur interlocuteur, qu’ils ont du mal à dialoguer avec ceux qui ne le sont pas, qu’ils réclament l’inscription dans le social tout en voulant rester à l’extérieur. Ils sont seuls dans leur pratique et qu’ils le veulent ou non, ils véhiculent une image qui concerne l’ensemble de la communauté.

On peut ajouter qu’ils transportent dans leurs relations interpersonnelles les déformations professionnelles qui sont le lot de leur pratique, que les chapelles sont inévitables, que tous les groupes ont une vision politique de leur démarche et que chacun tire la couverture à soi. L’édifice est comme un bâtiment partiellement abouti où le ciment a pris prématurément mais qui peut loger ses locataires et leur permettre d’exercer. Il n’y a pas comme le répète Sébastien Dupont avec beaucoup de précautions « nombre de psychanalystes, certains psychanalystes, la plupart des psychanalystes… », il y a la situation dans laquelle Freud et Lacan ont laissé cette discipline, inachevée, inaboutie, mais grandement opérationnelle.

La psychanalyse n’a, contrairement à ce que lui conseille l’auteur de faire, jamais prétendu produire des lois immuables et transversales. Elle tâtonne quelquefois. Ceci a démarré du temps de Freud. Il voulait diffuser une révolution. Après lui, les post-freudiens ont interprété et rigidifié, Lacan a donné un coup de pied dans la fourmilière, sauf à éclairer son œuvre, peu de créatifs après lui. La psychanalyse était jadis plus influente à cause de la personnalité de Lacan qui la véhiculait, comme après Freud. Aujourd’hui, les lacaniens se disent lacaniens alors que ce sont des freudiens inspirés par Lacan. Ils entretiennent toujours une position marginale. De nos jours, on manque de bons véhicules, mais on a les livres, on n’a plus de haut-parleur mais on a de bons artisans et des syndicats qui se tirent dans les pattes.

Cette discipline est aujourd’hui examinée par un auteur qui ne voit pas qu’elle vit aussi grâce à son tour de main et son savoir-faire. Ce livre ne pénètre pas dans la finesse de l’art freudien. Il y a des choses qu’on ne peut pas dévoiler intellectuellement, il faut les vivre. On n’apprend pas à danser en regardant un livre d’images. Sébastien Dupont ne nous propose rien moins qu’une modélisation et une meilleure institutionnalisation de cette pratique face à un environnement qui change. Il somme les psychanalystes de s’adapter, de collaborer sous peine de continuer à prêter le flanc à la critique mais il n’y a personne dans ce livre pour voir si ce n’est pas le social qui s’égare plutôt que la psychanalyse. Les analystes se marginalisent dans un monde devenu rationnel ? Qu’à cela ne tienne on nous propose un produit dérivé : cette discipline devrait être moins une cooptation qu’un sujet d’étude universitaire, interdisciplinaire ou livresque. Le radicalisme des analystes irrite mais le poil à gratter reste bien de leur côté. Le raisonnement n’est pas adapté à la psychanalyse, ni évaluable, quantifiable, racontable.

Il ressort de cette lecture que la psychanalyse est très mal connue et déformée par beaucoup d’écrivains, transmetteurs, écoles. C’est plutôt, contrairement à la thèse de notre auteur, l’idée que le public a de la psychanalyse qui va mal, l’idée que le public et les médias en donnent parce qu’interprétée par méconnaissance. La vulgarisation, la politique de moyenne montagne est toujours mauvaise et c’est de l’autodestruction pour une pratique basée en partie sur une forme d’initiation. À la fois influente et périodiquement remise en question, la psychanalyse s’infiltre dans bien des endroits, dans bien des professions, mais pas forcément de la bonne manière. Le thérapeutique, par exemple, est un fil à la patte avec la société, ce qui n’était pas le cas du temps de Freud. Or le but thérapeutique n’est pas le seul qui intéresse. Une solution ? Comme on ne peut pas dire grand-chose de la psychanalyse à un profane, ne peut-on s’inspirer de la théologie négative et dire ce qu’elle n’est pas ? Pour finir dans une candide conclusion, Sébastien Dupont nous dévoile un curieux programme : l’analyste doit repenser son rapport au social et accepter d’être mandaté par cette société qui lui permet d’exister. C’est dommage pour ce livre, malgré son titre retentissant, il y avait beaucoup à dire sur les psychanalystes.

Sébastien Dupont est maître de conférences associé à l’université de Strasbourg et psychologue d’orientation psychanalytique dans une institution psychiatrique.

Comments (2)

Portrait de Castel Pierre-Henri

Chère Anne Djamdjian, notez que votre critique est un résumé exemplaire de tout ce que Sébastien Dupont critique, justement. Ce n'est donc pas une analyse, c'est une fin de non-recevoir, parce qu'elle tient pour acquise et parfois évidente tout ce que l'auteur met en question.
Comment peut-on écrire, par exemple: "La psychanalyse n’a, contrairement à ce que lui conseille l’auteur de faire, jamais prétendu produire des lois immuables et transversales"? Déjà dans Freud, il y a cent contre-exemples, pour ne rien dire de Lacan et de son effort permanent pour soutenir le défi de la rationalité, voire de la scientificité, et bien sûr de nos modernes moralistes totalement persuadé que les lois inconscientes de la parenté humaine condamnent à la perversion ou à la psychose les enfants issus de mariage gay.
De même, quand il vous vient sous la plume qu'"il n’y a personne dans ce livre pour voir si ce n’est pas le social qui s’égare plutôt que la psychanalyse", on pourrait se demander à quel point de cécité on est parvenu pour que la psychanalyse puisse avoir raison contre le social? Concrètement, cela veut dire quoi? Que les gens ne sont pas dignes de leurs analystes? Que l'époque est bien punie de ne pas comprendre Freud et Lacan?
De même encore, quand vous dites que "c’est plutôt, contrairement à la thèse de notre auteur, l’idée que le public a de la psychanalyse qui va mal, l’idée que le public et les médias en donnent parce qu’interprétée par méconnaissance", je tique. Le public n'a de la psychanalyse que l'idée que les psychanalystes lui en donnent. C'est bien le problème, ne trouvez-vous pas? Or dans la cacophonie ambiante, on entend tout, son contraire, et n'importe quoi, ce qui suscite l'inquiétude légitime de Dupont, et pourquoi pas la vôtre?
Bref, s'il y a quelque chose à répondre à Sébastien Dupont, c'est peut-être qu'il prend une crise des institutions traditionnelles, en France, de la psychanalyse, pour une crise de la discipline. Le diagnostic est tellement général, et partagé, sauf à s'enfouir la tête dans le sable, qu'on ne voit pas bien ce que vous lui opposez, sauf des impressions et une forme de déni. Mais sur le plan où il se place, il faudrait lui contre-objecter qu'il y a ceci ou cela que cette crise permet, par exemple, ou encore que cette crise est une crise de renouvellement, et pas de sénescence. Mais qu'est-ce qui naît, aujourd'hui? Ce serait précieux que vous le précisiez.
Cordialement,
Pierre-Henri Castel

Sébastien Dupont, identifie quelquefois, mais pas toujours, les bons symptômes, a des inquiétudes légitimes, aimerait moins de désordre dans « le mouvement » mais propose des solutions souvent naïves de part un éclairage disons de type journalistique qu’il a de la psychanalyse, voulant par un effort louable la revêtir d’une meilleure respectabilité. Freud et Lacan avaient effectivement un effort permanent pour être rationnels. Pour Freud, il eût été plus satisfaisant d’avoir ainsi une meilleure reconnaissance et assise qui auraient couronné plus rapidement sa jeune découverte. Lacan à la fin de sa vie a conclu que ce n’était pas une science. L’image de la psychanalyse ? le livre de Dupont participe de la méconnaissance de part les solutions naïves, mais bienveillantes, qu’il propose. Il peste contre une mauvaise image qu’il contribue lui-même à propager par une approche aux aspects profanes. Sur le social ? Gardons à l’idée qu’il est possible qu’une frange des psychanalystes aient raison contre le social, il y a bien des exemples dans l’histoire où les intellectuels et les artistes étaient seuls contre la cécité ambiante. Il vaudrait mieux quelquefois prendre le maquis que, comme dit F. Biégelmann, mettre de l’eau dans son vin, parce qu’à la fin, il n’y a pas plus de vin du tout.

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