Science, thérapie- et cause

Il fallait l’audace d’un « jeune » éditeur ayant pourtant une longue expérience de l’édition, des éditions du Seuil où il travailla vingt ans aux éditions Epel, pour, dans la maison d’édition qu’il a fondée en 2011 en collaboration avec Isabelle Simatos, publier par les temps qui courent un tel « pavé » sur la psychanalyse.

Pavé sur l’histoire théorique et institutionnelle de la psychanalyse mais aussi histoire d’un homme, jeune intellectuel égyptien d’Alexandrie, passionné par la langue et le langage, ayant fait ses études de philosophie à Alexandrie avec entre autres de prestigieux maîtres formés à Paris et à Cambridge, pour finalement atterrir à Paris en 1946 où il commença avec le Docteur Marc Schlumberger, pour des raisons personnelles, une psychanalyse quelques années après la mort de Freud et alors que Lacan, chez qui il arriva ensuite pour une analyse de contrôle comme on disait alors à la SPP, était complètement inconnu.

Dans ce volumineux ouvrage dont les intérêts sont multiples, c’est le récit de cette aventure théorique, clinique et institutionnelle d’entrée, de formation et de transmission qui nous semble précieux.

On y apprendra certes beaucoup sur l’aventure freudienne, les avancées théoriques de Lacan et sur sa façon de transmettre aux jeunes analystes en contrôle avec lui et ses conflits avec l’IPA, mais aussi beaucoup sur l’histoire institutionnelle de l’association fondée par Freud et sur celle fondée par Lacan et ses avatars dans l’École fondée par son gendre à la fin de la vie de Lacan. « Comme nous en avait prévenu Ferenczi, rappelle M. Safouan, toute institution au sens d’un groupement humain organisé, reproduit la famille. Mais on a oublié que la famille est aussi la cellule primitive qui fournit son modèle au narcissisme du monde. Partant, la question a été refoulée de savoir comment on peut produire un analyste défini comme scientifique, tout en l’incluant dans une communauté pas moins « narcissisante » que la famille. »

Resurgit alors le débat entre Freud et Bleuler à propos de la création de l’IPA en 1910. La psychanalyse n’a certes plus besoin aujourd’hui d’être reconnue comme l’écrit M. Safouan mais on pourrait lui objecter qu’elle a besoin d’être défendue. Est-ce à travers la création de grandes associations et le « faire nombre » qui était le souci des décennies précédentes ou à travers les sociétés constituées par « quelques analystes désirant travailler ensemble, sans lourdeur administrative, sans appareil bureaucratique, sans critères factices d’admission ou de sélection Et surtout sans prétendre prodiguer de formation » ? La psychanalyse est une aventure personnelle rappelle M.Safouan pour conclure ce que l’on peut considérer comme une œuvre testamentaire : « L’avenir de la psychanalyse ne tient qu’à sa capacité à contribuer à l’intelligence de notre époque, et aux métamorphoses de l’Eros, autrement qu’en poussant des cris d’alarme. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens. Car l’analyste ne s’autorise que de lui-même…jusqu’à sa propre formation. »

Françoise Petitot