Quelle présence offrir au mal de vivre?

L’auteur, psychanalyste qui travaille en France et au Sénégal depuis 35 ans, tente d’apporter dans ce livre une réponse à sa question : quelle est la théorie propre à véhiculer une présence et une transmission de la fonction éthique de la psychanalyse en société ? S’élevant tout au long de l’ouvrage contre l’illusion scientiste prônant un idéal de guérison selon le modèle médical (dont la psychanalyse elle-même, surtout l’analyse d’enfants, n’a pas été épargnée des années durant), elle témoigne de l’importance, dans le champ social et dans le travail auprès des patients, de la présence du psychanalyste offerte à ceux qui souffrent le plus gravement du mal de vivre.

Tout d’abord dans « nos racines », elle retrace le parcours de sa formation universitaire et analytique parisienne (les journées d’« Enfance Aliénée » en 1967-1968) et ce qu’elle doit à Maud Mannoni, Lacan, Oury, les Ortigues, les Lefort, René Kaës, Cornelius Castoriadis, l’antipsychiatrie, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Elle décrit ensuite les lieux de vie dans lesquels elle a été amenée à exercer auprès, essentiellement, d’enfants et d’adolescents psychotiques pris en charge par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance dont la création de la résidence « Vive Art à Dakar » est l’effet.

Ce lieu qu’elle a créé, est à la fois village d’accueil, et centre d’accompagnement vers un autre rapport à la vie. Il est le « produit de ces années de formation et d’expérience et de la rencontre entre la psyché et la psychanalyse occidentale avec la vie relationnelle de la culture traditionnelle de l’Afrique de l’ouest où il y a une conception communautaire de la folie et où le groupe dans son entier est » soignant ».

Ceci m’a rappelé Bonneuil à ses débuts, où j’ai travaillé dans les années soixante-dix, puis comme analyste référente pour des enfants adolescents et jeunes adultes de l’École Expérimentale de Bonneuil avant que ce lieu de vie et de recherche ne devienne si médiatisé et rempli de stagiaires venus de tous pays et ne s’institutionnalise jusqu’à en perdre son originalité, son âme, et son autonomie.

À « Vive Art à Dakar » il ne s’agit pas, pas plus que ce n’était le projet de Bonneuil et de Maud Mannoni et de son équipe de guérir ou de normaliser les adolescents. Il ne s’agit pas non plus de proposer des psychothérapies et encore moins des cures classiques mais de permettre, d’abord et avant tout, par la présence silencieuse mais pas muette, de l’analyste et des multiples intervenants éducatifs et des travailleurs sociaux y œuvrant, d’ouvrir l’accès à la parole, et de soutenir le jeune dans l’accès à son histoire et à advenir si possible comme sujet à son désir. L’aider tout simplement à vivre.

L’arbre à palabre, les séjours de vacances ou de rupture, individuels, en famille ou en groupe restreint, tous ces dispositifs m’ont remis en mémoire la causette, les séjours ou journées chez les artisans, les fêtes, la fac spé et la petite école, les week-ends de rupture, ou les séjours en Normandie, la vie dans la maison de Maison Alfort puis les appartements d’accueuil, avec ceux qui venaient "vivre " à Bonneuil avec nous. En un mot : l’esprit même de l’École Expérimentale de Bonneuil lors de sa création et de ses premières années d’existence.

Martine Fourré illustre le travail spécifique de cette structure sénégalaise, radicalement différente des hôpitaux de jour et autres Centres Médico-Psycho-Pédagogiques, Instituts Médico-Éducatifs, etc. qu’elle critique abondamment. Elle dénonce une idéologie médicale et une politique de santé mentale ségrégative et inefficace, incompatibles avec les visées de la psychanalyse et l’éthique analytique. Elle s’appuie pour cela sur l’histoire d’un jeune patient, très violent, très abîmé par une petite enfance catastrophique, en très grande souffrance et très difficile à vivre pour autrui : Monsieur Courage. Elle décrit, en s’appuyant sur l’enseignement de Lacan, ce que doit être un cadre pour la clinique, et ce qui en résulte quant à une lecture de cette clinique, du transfert (appel à l’Autre) et de la construction dans la psychose lors de ces « accompagnements « de l’enfant entrant dans la langue non délirante ». Elle approfondit cette élaboration à partir d’autres exemples cliniques patiemment décortiqués (de Sam dans le film « Les choristes », de Bernard Henri le trop bon élève trop silencieux, etc.).

Pour Martine Fourré, l’analyste n’est qu’un rien, un vide de sens, une représentation de la présence absolue qui permet la nécessaire séparation. La psychanalyse n’est pas opposée dans son livre aux autres « connaissances scientifiques modernes, elle est la modalité de leurs ouvertures en maintenant du défaut, du manque, de la privation et du strictement privé, de l’intime et de l’irréductiblement singulier. »

Ce livre témoigne de l’engagement très « fervent » de M. Fourré dans sa pratique et sa recherche personnelle, donc il n’est pas si surprenant qu’il se termine d’une façon originale et singulière sur la chanson française (Piaf, Florent Pagny, Serge Lama, Yves Montand) dont elle nous offre une analyse très intéressante. C’est au fond une façon bien à elle de nous faire entendre autrement ce qu’elle souhaite nous donner à écouter et entendre de son travail : que chacun a à « guérir de ses propres démons » en lui-même et par lui-même avec, parfois la présence, de l’analyste qui lui permet de s’y essayer et s’y autoriser.

Ce livre foisonnant m’a semblé riche et utile surtout à des praticiens de l’enfance de la jeune génération. Je l’ai lu avec plaisir et intérêt. Il m’a touchée car il ne parle ni la langue de bois analytique ni celle des bons sentiments. Ce livre est celui d’une analyste qui veut témoigner et transmettre de la vérité et de l’éthique, qui se risque à s’exposer et s’engager dans un travail « non orthodoxe » qui reste marginal bien que capital. Elle illustre et défend ainsi une conception de la place et du rôle de la psychanalyse dans les savoirs et pratiques contemporaines. Comme le disait d’elle l’un de ses patients : « de toutes façons Mamytartine, ce n’est pas une psy c’est seulement une question ».

Régine MOUGIN.

Comments (1)

Merci Mme Fourré pour ce témoigne clinique. Praticienne dans le social, j'ai trop souvent rencontré ces enfants sans pouvoir les comprendre. Sortie de mon école de formation pleine d'idéologies, je croyais savoir . j'ai appris grâce à la transmission et la sagesse de mes aînés qu'il n'était pas question de savoir pour l'autre mais au contraire lui offrir des mots pour qu'il nous dise lui son histoire, sa souffrance. je retiens ce " ne faire rien", position si difficile à tenir, pour que l'enfant lui puisse devenir et faire avec sa filiation. J'ai appris aussi comme vous le soulignez l'importance de reconnaître ces parents et non les juger. merci encore, votre clinique et vos mots nous permettent d'élaborer notre présence d'une façon pacifiante auprès de ces enfants