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De l'âge bête - La période de latence, Paul Denis
A qui profite la bêtise ? Petit crime, ou lèse-majesté Intelligence, à l’usage de ceux qui après les années de latence durant lesquelles Œdipe ajourne ses projets, viennent à éprouver cette oppressante, étrange et inquiétante liberté. L’observation est souvent pour le moins patente chez les parents, qui trouvèrent dans la période qui précède, épinglée aussi d’« âge de raison », une configuration idéale, un narcissisme qui mêle tendresse et fierté auprès du tout jeune élève, curieux des choses de ce monde, petit inventeur mobilisant son corps au rythme des comptines, des marelles et autres saute-mouton… faire le bête n’est pas si bête, et le livre de Paul Denis est un véritable petit plaidoyer contre cet entêtement – fâcheusement bête – à identifier le jeune adolescent, dans son comportement, à un bêta – mais tout autant contre cette triste injonction « Ne soit pas bête ! ». Paul Denis est psychiatre et psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de Paris, auteur d’Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion, Rives et dérives du contre-transfert, Freud 1905-1920 aux PUF. En quelque 200 pages, l’auteur aborde dans cet essai la question du passage de l’enfant à l’adolescent dans une forme claire, ponctué de nombreux exemples cliniques. Le texte est intelligemment composé en deux parties : une première sur la période de latence vient éclairer dialectiquement la deuxième sur la préadolescence. Les fameux remparts que construit ladite période de latence ne sont en réalité d’aucun repos car rien n’obture, ne suture, la blessure narcissique infligée au petit d’homme en proie aux excitations, voire aux séductions extérieures. Le combat prend la figure de l'attente. L’auteur réinterroge cette période (trop souvent négligée aujourd’hui par les auteurs) à travers une étude à la fois dense, riche en questionnements mais aussi scrupuleuse des observations faites par de nombreux psychanalystes. Ce faisant, Paul Denis tente de nous donner des clés pour apprécier plus justement ce qui se dessine sous les traits de la bêtise de celui qui « se prépare à affronter les orages de l’adolescence ».
Arguons que la bêtise profite à qui sait l'entendre autant que celui qui s'y adonne parfois même ostensiblement. Elle profite en premier à l'adolescent qui, nous dit P. Denis – et c'est un des aspects intéressant – tente à la fois de déjouer la réédition des excitations refoulées par une double opération : l'aveu d'une demande d'aide formulée derrière l'autodépréciation – soit ce que le sujet présentifie à l'autre dans le comportement bête – et dans le même temps, la négation de cette position par la prétention à l'indépendance. Formule qui désarçonne et laisse éducateurs et parents pour le moins perplexes devant ce compromis entre demande d'aide et agressivité, « dépendance et indépendance ». Il faut pourtant admettre que le recours à la bêtise est loin d'emporter une adhésion à priori de la part des adultes – déni d'inaptitude projetée sur leur propre adolescence ? – qui s'attendent à voir émerger une des formes la plus élevée des défenses contre – précisément – la bêtise : l'humour. Or, comme insiste l'auteur, l'humour est plutôt un gain qui démontre la sortie de l'adolescence : le surmoi, impersonnel à la période de latence, devient un allié à l'âge adulte là où à l'adolescence, il est le véritable adversaire. Humour et bêtise s'opposent en effet. L'intérêt du livre est justement de nous conduire à travers plusieurs illustrations cliniques, à une « revalorisation » de la bêtise. La seule caractérisation comportementale de la bêtise voile la nature du deuil que l'adolescent doit accomplir, et qui, pour l'auteur est plutôt déterminée par un deuil d’identité : deuil des imagos qui ont présidé durant la période de latence sous les traits de l'ange-écolier et qui désormais feront l'objet d'une caricature. Mais « le petit est chat mort » ! C'est la réponse qu'Agnès, jeune adolescente à son barbon qui lui demande des nouvelles. Réponse inadéquate, mais qui masque la nécessité de chasser le retour au galop du sexuel et dans le même temps aveu qui disqualifie tout ce que le travail de latence avait mis en place pour garder le sujet à distance de la sexualité.
Plus ajustée qu’elle n’y paraît, la bêtise tente de faire front sur le versant régressif, anal s’il en est, face à ceux, parents, éducateurs qui, précise l’auteur, à l’adolescence, perdent de façon intrapsychique pour le sujet, leur force interdictrice, ce qui mobilise à nouveau les fantasmes incestueux.
Si l’éloge trouve ses limites dans la contention, voire l’inhibition à la survenance, il est vrai violente, de la sexualité, l’auteur tient cependant pour un signe clinique le fait que la bêtise perdure trop longtemps. On ne peut qu’être d’accord même si l’angle d’approche du chiasme latence-adolescence, adolescence-adulte, a tendance à réduire les processus de maturation aux seuls mécanismes de défense, là, réactionnels, contraphobique. Il aurait sans doute été intéressant pour ne pas dire nécessaire de croiser cette référence tout à fait pertinente sur la bêtise avec ce qui ressort de la nature propre du symptôme dans les névroses afin de montrer en quoi la bêtise, ici principalement comprise sur le plan dynamique comme mobilisation du moi, peut – c’est mon avis – trouver une sorte d’autonomie dans le rapport qu’entretient le sujet au savoir – ce, dans la cure analytique elle-même. L’idée même de latence dans l’ordre du savoir peut trouver son corolaire dans le champ lacanien, à travers ce que Lacan nomme le temps pour comprendre. L’auteur lui-même en donne pourtant l’indication dès les premières pages de son livre où la question du travail vient au premier plan suivi d’une remarque qui a éveillé ma curiosité et mon attente à propos des rapports entre le travail de la cure et celui qui s’effectue durant la période latence.
Le projet de cet ouvrage est atteint car il tient d’abord à nous faire reconsidérer les mécanismes en jeu du devenir homme ou femme à l’aune de cette période de latence autrement que comme un ajournement développemental, une conséquence appropriée au déclin œdipien. Et quand la bêtise apparaît, l’adulte n’est jamais loin. Enfin, ajoutons, que le lecteur trouvera de précieuses indications, notamment sur la position de l’analyste et de l’enfant en période de latence.