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DANA Guy : Quelle politique pour la folie ? Le suspense de Freud. Stock . Paris . 2010
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Psychiatre et psychanalyste, Guy Dana est né en 1948 en Égypte. Après des études de médecine et de philosophie, il s’oriente vers la psychiatrie.Il est nommé en 1991 chef de service d’un secteur de psychiatrie générale. Formé par Lacan, il est de 1997 à 2000 le président de l'association de psychanalyse "le Cercle Freudien". Cofondateur de l’association internationale de psychanalyse "Convergencia", il organise en 2003 au Sénat le "Forum des psychanalystes pour le Proche-Orient". Auteur de nombreux articles , il publie aujourd’hui son premier livre. Membre depuis janvier 2009 du groupe des 39 dont le manifeste :"la nuit sécuritaire" a pris position contre la politique actuelle en psychiatrie, il défend une orientation de la psychiatrie qui tienne compte des sciences humaines et de la psychanalyse.
Écrit dans une langue agréable et accessible cet ouvrage, bien structuré, s'attache à nous faire découvrir comment la psychanalyse peut permettre de construire une politique pour la folie qui soit respectueuse du patient et de sa souffrance.
Guy Dana revisite tout d'abord trois piliers de la psychanalyse qui lui paraissent fondamentaux : l'association libre, le conflit psychique, le transfert , trois notions qui permettent de conquérir un nouvel entendement en levant les interdits de penser, et d'éprouver ainsi un nouvel espace psychique.
Or la psychose oppose à cela l'inertie, la résistance et la compacité. Comment alors travailler sur le couple que forment ensemble espace et langage lorsque règne le chaos ?. C'est la question clinique à laquelle la technique analytique et ses finalités peuvent, nous dit-il, apporter des réponses précieuses.
En fait, l'espace, quand il est structuré par un ensemble institutionnel, fait naître le langage « il faut travailler le couple espace langage pour que l'intervalle, le tiers ou encore l'originaire redeviennent pensables permettant d'approcher un peu mieux l'influence, le chaos où l'effondrement. » Dans cette conception l'espace doit « être traité à partir de sa réalité matérielle en le transformant en un contenant à plusieurs lieux » permettant d'établir une circulation et une élaboration.
Cette approche s'oppose en tout point à la rhétorique gestionnaire uniforme et sécuritaire actuelle qui produit au contraire une restriction et une saturation de l'espace.
L'analyse implique la traversée d'un vide « une vacuité qui est autant limite que relance » que l'on pourrait définir comme un espace d'élaboration que la modernité, dans ses prétentions à la cohérence visée par la rationalité politique calculante, bloque complètement dans sa recherche « d'adéquation ». Or là où il n'y a plus de « jeu » comment le « je » pourrait il advenir ? Winnicott n'écrit-il pas dans « la crainte de l'effondrement » que « le vide est une condition préalable au désir ».
La question pour le « je » psychique est de se déprendre du réel : cette bouillie où il s'englue pour accéder au travail de symbolisation. C'est le résultat de l'application « de la règle fondamentale » : elle permet au patient de se réapproprier un savoir créatif. Elle facilite le surgissement de l'inattendu, du non-maitrisé. « en effet, l'analyste qui ne fait pas intrusion, offre à l'analysant de supporter non seulement l'idée incidente en tant que telle, mais aussi l'espace entre les mots, ce silence, qu'il ne veut pas combler. À mesure que l'analyse progresse, une introjection de cette part d'inconnu, de cette place libre, va se produire. » Guy Dana souligne que cet acquis suppose deux conditions : d'une part que la découverte, sa surprise, revienne au sujet, d'autre part que l'espace-temps soit traité avec tact, c'est-à-dire sans faire intrusion.
Les psychoses ont tendance à remplir tout vide, tout espace, tout intervalle et en définitive veulentt vivre dans un monde objectivé, fut-ce par le délire ! Avec les psychoses, l'espace-temps est saturé car c'est pour le psychotique une façon de se défendre face au réel, là où l'absence de représentation équivaudrait à supporter l'inconnu. L'enjeu va être pour les soignants de construire des dispositifs articulés de prise en charge qui permettent de poser de la différenciation.
Cela conduit G. Dana à développer sa réflexion sur « L'espace et la frontière » : « entre le monde des choses et le monde des mots un travail psychique est en jeu »
Le langage est déterminant pour construire ce qui va permettre à l'enfant d'habiter et d'organiser ce qu'il reçoit de l'extérieur. En ce sens le langage est de fait un ordre qui saisit et ordonne le réel : « un réel que le langage éloigne tout en le contenant » . Plus loin il précise : « l'écart, c'est le pas de côté, le pas de plus, indispensable pour donner intelligibilité au chaos originaire. Vient alors la possibilité des chaînes associatives qui intègrent l'espace entre les mots. » On est dans le domaine de la libération de la pensée. Mais au-delà de cette libération c'est aussi la condition pour que soit éprouvée cette liberté « qui n'est pas un idéal en soi », mais dont le corps, gagnant en présence et en aisance, est le premier témoin par la satisfaction qui le traverse.
Le langage c'est ce que l'homme reçoit de l'Autre, c'est un habitat pour que l'homme puisse s'extraire de la bouillie originaire. Le langage ordonne le monde tout en nous en éloignant (nous protégeant du réel ?)
À partir de ces constats G. Dana dégage cinq figures de savoirs qui se déduisent de la traversée analytique : celle du tiers, celle du séparable, la question de l'hétérogène, celle de l'inadéquation et celle de l'incertitude. Pour lui, à la suite de Lacan, l'analyse est effective quand « une césure a eu lieu ».
Guy Dana souligne que « La psychanalyse découvre avec l'inconscient ce paradoxe d'un sujet constitué de ce qu'il ne peut pas savoir et cette découverte est coextensive de la profonde dépendance du sujet à l'ordre du langage. Il parle, mais sa place dans ce qu'il dit lui échappe car dans le discours ce qu'il trouve à le représenter va rester pluriel, son identité se constituant dans le mouvement d'une division : tel est l'effet/sujet.»
La deuxième partie de l'ouvrage, s'attache à répondre à la question posée en titre: « Quelle politique pour la folie ? »
L'enjeu de la psychanalyse étant de libérer la pensée et d'accroître le domaine du décidable, Guy Dana propose, comme préliminaire à tout traitement du symptôme , surtout du symptôme psychotique, d'inclure de l'espace dans le fil des associations puisque « la psychose manifeste les plus grandes difficultés à s'arracher d'un monde où, précisément, l'espace est saturé. » Il reprend ses réflexions sur l'écart, le décentrement, l'intervalle comme permettant d'aller à l'encontre de tout ce qui est saturation. On est là aux antipodes des courants qui visent à « saturer » la psychiatrie contemporaine d'urgence « et d'un arsenal de protocoles et de processus qui empiètent sur le décidable ».
L'enjeu sera de « passer de l'espace psychique à sa réalité matérielle, de la traversée du langage à la traversée du secteur » en considérant comment cet outil du secteur peut « être dans certaines conditions d'utilisation, susceptible de stabiliser une métaphore délirante et de permettre l'émergence de suppléances. Cela peut passer, comme dans l'expérience de l'auteur, par la transformation du secteur en contenant à plusieurs lieux car « une organisation qui emprunte à l'associativité psychique et au langage son modèle peut être contenante ; avec ce raisonnement, l'hôpital ne doit pas être la réponse exclusive, mais doit s'articuler à d'autres lieux pour éviter un effet de masse et une centralisation qui aurait toutes les allures d'un signifiant ultime ». L idée-force c'est qu' « à travers les lieux et les parcours, il ne doit pas y avoir recherche d'adéquation, mais au contraire inachèvement salutaire ponctué par la pratique des lieux et des transferts » qui sera articuléee autour d'une Unité Clinique. Ce dispositif s'est progressivement articulé sur des Maisons thérapeutiques fondues dans le tissu social de la ville. » qui sont des lieux tiers entre le temps de l'hôpital et le temps du retour à domicile. Guy Dana décrit aussi la place de l'hôpital général, du C.M.P.P., de l'accueil familial, du Centre d 'activités à temps partiel et même d'un hôtel thérapeutique bien justement nommé « l'Inattendu ».
Il s'agit de rendre lisible « la grammaire des parcours » : le fait de recommencer, de retravailler son histoire d'un lieu à l'autre permet à une dynamique de l'inconscient de se remettre en route. Il s'agit aussi d'abandonner la « logique binaire du dedans/dehors » et de développer un entendement après coup permettant « que l'ensemble du dispositif soit orienté vers une élaboration ».
Si pour le psychotique la dysharmonie règne « l'enjeu de tout travail thérapeutique avec les patients psychosés est de leur faire retrouver une pensée moins chaotique. Il manque à la psychose la permanence d'un espace fiable, lieu du code, lieu de l'intelligibilité de tout message ». On remarquera que la méthode analytique est animée d'un souci homologue : « ne pas s'imposer avec un savoir, mais faire passer le savoir du côté des patients afin qu'ils se le réapproprient et, ce faisant retrouvent du conflit psychique supportable » ;
Guy Dana se pose la question d'une politique de la folie où le médical ne serait plus le partenaire exclusif. Il va retrouver dans le concept de « politique de civilisation » développé par E. Morin l'importance d'une subjectivité qui puisse se déployer entre l'associatif, le médico-social et la psychiatrie et la place d'un tiers assurant le rôle de pare-excitation en remplaçant pour le psychotique cette fonction qui défaille dans son langage. Il écrit : « Il serait donc plus juste, à partir de ce maillage, de parler d'un travail de la langue, d'un travail du subjectif qui aurait pour finalité de faciliter les frayages, là où avec la psychose, ce qui domine, c'est l'inertie, la fixité et, à l'inverse la paupérisation de ces frayages, l'insistance récurrente d'un signifiant ultime. Tel est, à mon sens, le premier aspect du travail de civilisation qui nous incombe. Or plus l'aspect civilisateur gagne du terrain et moins, peut-être, restons prudents, se manifestera la sauvagerie pulsionnelle, sa désintrication, en particulier dans la psychose, moins aussi se manifeste , du côté des soignants cette fois, la réponse prétendument adéquate et la synthèse trop précoce. »
Il ajoute : « le travail de civilisation que les acteurs du monde de la psychiatrie mettent en œuvre se reconnaît aussi dans cette exigence à faire valoir une instance tierce chaque fois qu'il est possible de le faire, surtout avec des patients psychosés. C'est une instance psychique dont on peut dire qu'elle est constamment sollicitée, sans pour autant être objectivée…. Elle est à la fois insaisissable concrètement , in-objectivable et pourtant indispensable à toute élaboration psychique, lieu vide certes, mais vide à l'œuvre »1mais cette instance tierce va aussi travailler à détourner la psyché de sa tendance auto-plastique pour favoriser au contraire « une tendance alloplastique ».
Le rôle des diverses structures mises en place et leur articulation sera de permettre d'apprivoiser le non reconnu en en permettant une ébauche de symbolisation et en conséquence de diminuer l'angoisse « traversée du langage ? Oui mais grâce au bastingage des lieux »
Dans chacun de ses questionnements Guy Dana nous montre des voies pour entendre le sujet face aux logiques qui dominent « l'ordre gestionnaire » et qui ancrent dans les esprits le sentiment de dépossession.
G. Dana nous entraîne au sein de la méthode analytique pour mieux faire ressortir en quoi celle-ci peut orienter une politique du soin : en faisant « supporter un peu mieux l'inconnu en soi », en produisant un écart, une incomplétude qui permet de penser plus librement. Ce qui implique une pluralité de lieux « car d'un lieu à l'autre ce qui se joue est de cet ordre, la possibilité de recommencer plutôt que de répéter, de redire son histoire ou plutôt des bribes de cette histoire avec une autre équipe suscitant d'autres transferts. Il y a là en définitive une possibilité de se détacher et de se séparer de ses propres démons, comme de se retrouver ».
Guy Dana a réussi le pari d'une écriture accessible : c’est un livre riche, foisonnant même, qui est développé dans un style agréable et vivifiant pour la pratique quotidienne. Son didactisme, subtilement mené constitue aussi un contrepoint pertinent à certains enseignements de psychologie parfois bien coupés du vivant et du social En ce sens c'est un véritable ouvrage de transmission. Un livre à lire donc et à méditer.
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