Voyage au bout de la féminité

Qui sont-elles ces amoureuses des temps modernes ? Comment s’arrangent-elles de leur féminité ? Tendent-elles à ressembler aux héroïnes des contes de fées ?

A travers les objets de notre culture, Clotilde Leguil nous propose de l’accompagner sur les chemins sinueux de certaines amoureuses. Mais pas n’importe lesquelles… De celles qui mettent en jeu leur féminité jusqu’à s’y perdre. C’est par le biais de trois œuvres cinématographiques (Virgin suicides, La vie des autres et Mulholland drive), que nous sommes entraînés dans ce rapport étroit entre féminité et amour. En suivant les traces de Lux, Christa et Diane, la notion de ce qu’il en serait de la féminité et de ses effets se décline, indissociable de la notion d’amour. Est-ce à dire que la féminité ne peut s’envisager qu’à travers le sentiment amoureux ? Clotilde Leguil nous rappelle, en tout cas, qu’elle ne peut se penser que dans le lien à l’autre, dans ce qui du regard peut faire ravissement ou ravage. Ainsi les héroïnes de ces films, les unes comme les autres, mettent en scène, selon l’hypothèse de l’auteure, l’importance du regard. Lux rejoue sur le toit parental, épiée par ses camarades, la scène de ce qui l’a précipitée dans une féminité impossible. Christa, observée à son insu, sera celle qui permettra à un homme de la Stasi de se subjectiver en tombant amoureux. Diane en assistant au rapt de sa fiancée, ne pouvant détourner les yeux, se perdra elle-même.

Aller à la découverte de ce livre, c’est se laisser surprendre. Par une lecture accessible et agréable d’abord, mais qui très vite, se transforme en une véritable émulsion intellectuelle. L’aisance de la lecture n’empêche pas le questionnement, elle met le lecteur en éveil. Dès lors, nous, spectateurs, lecteurs, suivons les enchaînements, passant de la narration aux concepts freudiens et lacaniens, nous conduisant à nous questionner sur ce qui fait énigme de la féminité. Le livre de Clotilde Leguil est une démonstration de ce qui dessine, pour chacune des héroïnes, un impossible dépassement. Il permet au lecteur d’éprouver à travers un média ce qui de ces amoureuses nous appartient à tous, ce qui de notre existence singulière nous constitue. Comme l’écrit si finement l’auteure : « elles nous racontent que l'amour est un chemin vers la connaissance de soi à partir de quelque chose de nous-mêmes que l'on a perdu ».

Cependant, l’utilisation du support cinématographique atteint également sa limite dans l’articulation théorico-clinique. Il permet, certes, de saisir ce qui engage ces femmes dans une perdition mais l’assemblage théorique, qu’il amène, reste parfois discutable. Ainsi, en envisageant le contenu des films au point de vue de ce qu’il en serait d’une réalité, le lecteur reste au premier plan. Dans l’analyse pour Virgin Suicides, notamment, l’argumentaire sur le traumatisme apparaît comme un assemblage contestable, ne déroulant pas suffisamment clairement les liens possibles. En effet en s’appuyant sur la scène traumatique comme s’étant déroulée dans la réalité et pouvant être un point d’achoppement qui précipite Lux à sa perte, il me semble percevoir là une confusion due à un raccourci trop évident entre point de réel et réalité. Confusion qui ne nous permet pas de nous décaler. Alors que, parallèlement, l’analyse succincte sur le lien pathologique entre mère et filles me paraît offrir d’avantage de clefs pour saisir le point d’impossible de Lux. Cet écueil est, en partie, évité dans Mulholland Drive, du fait même de l’agencement du film : nous envisageons ce qui se passe pour Diane comme ce qu’il en serait d’un discours, d’une réalité interne et non de la réalité au sens commun. Différence non négligeable et permettant alors une autre réflexion sur cette héroïne. Le lecteur reste donc en attente d’articulation. Ce sentiment est accentué lorsque Clotilde Leguil interprète subjectivement certaines séquences de films, tendant alors d’avantage vers une démonstration théorique qu’une analyse clinique de ce qu’il en serait d’un impossible de la féminité.

Voilà un des bémols de cet ouvrage : le lecteur reste parfois sur sa faim, en attente de développement sur une autre scène que celle strictement du traitement de l’image comme de ce qu’il en serait d’une réalité au sens commun. Toutefois cette insatisfaction pousse le lecteur avisé, une fois le livre terminé, à questionner les concepts et à retourner vers ces films. Cet ouvrage met en mouvement donc, il introduit la réflexion et nous laisse libre choix ensuite de tenter d’en approfondir les ravinements.