boule et bill fou

« De la folie dans la folie, COVID-19 en psychiatrie »


L’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard est touché de plein fouet par le COVID-19. Le 31 mars 2020 un article du Parisien a enfin commencé à évoquer le drame qui se joue à bas bruit entre les murs. Un premier pavillon « touché » : plusieurs patients contaminés, 80% des soignants de ce pavillon en arrêt maladie. Depuis peu quelques tests ont été reçus « pour les patients présentant des symptômes » et une nouvelle idée lumineuse « faire appel aux élèves infirmiers pour pallier le manque d’effectif ». Les professionnels, pris dans cette tornade folle, manquent de temps, pour penser face aux décisions de « chefs d’orchestres » dépassés.
La cacophonie vient d’en haut. Depuis le début de cette crise sanitaire sans précédent, plusieurs semaines, les soignants travaillent sans protection pourquoi ? Parce que « le masque, ça ne sert à rien ». Seuls les soignants inquiets et présentant des symptômes ont le « privilège » de se voir distribuer des masques dans les unités de soins. Comment la situation pouvait-elle ne pas dégénérer ?
Les soignants, sous-équipés et non-testés, seraient soi-disant en sécurité grâce aux « mesures barrières », ce totem magique qui suffirait à assurer leur sécurité face à un virus qui a décimé des soignants pourtant équipés en Chine et en Italie et même en France. Pourquoi, alors, les bureaux administratifs sont-ils clos, à l’attention des soignants des affichettes sur les murs « Dans le cadre des mesures de précaution liées au COVID-19, nous demandons aux professionnels qui ont besoin d’entrer en contact avec les services administratifs de l’hôpital (notamment la DRH) d’utiliser le téléphone et les courriels et de ne pas venir sur place » (13 mars 2020). Les mêmes « mesures barrières » ne suffiraient-elles pas à protéger la direction ?
Le cluster n’est pas seulement le pavillon « Peupliers », l’hôpital psychiatrique tout entier est une poudrière qui risque de bientôt rappeler tristement le cluster de Mulhouse. Les chiffres laissent présager de la suite. Sans mesures réellement efficaces, combien de patients vont-ils être contaminés, dans combien de pavillons d’hospitalisation ? Combien de soignants sacrifiés ? En psychiatrie comme ailleurs, le COVID-19 ne sera pas « une simple grippe ». On ne me fera pas croire « qu’ils ne s’y attendent pas… ». L’ignorance et l’impréparation au début de la crise concernaient la grande majorité des établissements. Depuis, certains ont réagi, en équipant et en testant les soignants. Trop peu. D’autres trainent encore. Ces délais tuent.
Nous sommes en train de vivre un scandale sanitaire. Ne pas permettre aux équipes d’être armées dans le combat qu’elles mènent est criminel. Des comptes devront être rendus.


Certains diront peut-être que je n’aurais pas dû écrire ces lignes car « ce qui se passe à VE reste à VE » mais des vies sont en jeu. Chacun a son libre arbitre. Les courriers envoyés à la direction restent sans réponses, et les professionnels continuent à risquer leur vie et celle de leurs
proches… Je ne peux pas faire autrement que de partager la folie de ce quotidien. Je joins ma voix à celle d’autres soignants qui réclament que tous les professionnels exposés à ce risque vital obtiennent les moyens de protection indispensables pour continuer cette bataille sans qu’elle soit perdue d’avance.
Il est déjà très tard mais le retard pris ne fait qu’amplifier l’urgence déontologique et éthique de mesures fortes. Pour l’heure, le COVID-19 a pénétré le pavillon « Peupliers », d’autres pavillons vont très probablement être contaminés d’ici peu, s’ils ne le sont pas déjà. On le sait. La direction le sait. Une morgue est envisagée dans l’amphithéâtre de l’hôpital. On sait qu’un tsunami arrive. On reste sur la plage. Encore, dans certains secteurs, le télétravail est refusé alors qu’il serait possible. Des professionnels continuent d’être envoyés d’un site à l’autre, non-équipés, non-dépistés, propageant potentiellement le virus dans les sites qui seraient peut-être encore pour l’instant épargnés. On sait maintenant que les personnes asymptomatiques constituent un vecteur majeur de transmission du virus. Le seul moyen d’éviter en partie la catastrophe à venir serait que tous les professionnels et tous les patients soient systématiquement dépistés, et que le matériel de protection nécessaire (gants, masques) leur soit fourni en nombre suffisant. Agissons pour que ce combat puisse être mené sans être perdu d’avance.
Il est urgent d’agir en conscience et de nous positionner du côté de la vie. Quand cette crise sera passée, combien d’entre nous, professionnels comme patients, seront encore debout ? Ceux qui auront « la chance » de faire partie de l’après COVID-19 parleront peut-être de cette expérience traumatique collective et entameront un travail d’élaboration psychique autour de la culpabilité et de l’angoisse. Les décisions prises, encore aujourd’hui, bonnes comme mauvaises, seront jugées par ceux qui seront encore là, et qui porteront la mémoire de ceux qui n’y seront plus.


Dans les tranchées on se bat on ne discute pas. Il temps d’agir pour éviter la part de drame qui pourrait peut-être encore être évitée, nous parlerons plus tard de celle qui ne l’aura pas été.


A mes collègues, aux soignants, aux patients.
Louise CATILLON, Psychologue clinicienne