mai 2002
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• Editorial
Christine Le Boulengé,
Le défi de la pratique

• L’orientation lacanienne
Jacques-Alain Miller,
Le dernier enseignement de Lacan

• L'expérience de la pratique
Véronique Mariage,
Quand c'est écrit
Patrick Monribot,
De vive voix
Dominique Laurent,
Les modalités de la sortie
Pierre Naveau,
Le récit d'une histoire

• Retour sur la pratique
Yves Depelsenaire,
Le nœud du trauma, de la langue et du sexe
Jean-Claude Razavet,
Le doute est fait pour éviter ce que l’angoisse
comporte d’affreuse certitude
Alain Merlet,
Une mise au point mémorable
Serge Cottet,
Allongez-vous, rallongez-vous
Pierre-Gilles Guéguen,
L'analyse comme traitement de la jouissance
Hervé Castanet,
“Tu ne fais pas ce qu’un père doit faire”
Rose-Paule Vinciguerra,
Une femme à l'envers
Francisco-Hugo Freda,
De la femme libre à la mère
Marie-José Asnoun,
Une pratique "pas classique"
Philippe La Sagna,
La solution de Paul
Roger Cassin,
Une contre-analyse
Pierre Skriabine,
Une analyse relais
Dominique Miller,

 

Quand un analyste parle
Esthela Solano,
La clinique des nœuds
Philippe Stasse,
L'obligé du réel
Eugénie Lemoine,
Une histoire en deux actes: l’arrangement

• La formation des analystes
Graciela Brodsky,
Le chaudron percé
Éric Laurent,
Du bon usage de la supervision
Ricardo Seldes,
La préparation de l'acte
Mauricio Tarrab,
Dans le cartel on peut obtenir un chameau
Armand Zaloszyc,
Passer outre
Jean-Louis Gault,
La formation hégélienne de Lacan

• Etude
Marta Wintrebert,
Madame de Sévigné

• L'événement éditorial
Nathalie Georges, G. & L. Gorostiza, Qui sont vos psychanalystes ?
François Leguil,
Un début dans la vie
Jean-Pierre Klotz,
Lettres à l’opinion éclairée
Yves Depelsenaire,
Élucidation n°1

• L'événement scientifique
IIIe Congrès de l'AMP
XIIe Rencontre Internationale
du Champ freudien

Abstracts

  

sommaire

LE DEFI DE LA PRATIQUE

Christine Le Boulengé

À l’aube du XXe siècle, l’invention freudienne a introduit une pratique nouvelle, fondée sur l’usage de la parole, qui répondait aux symptômes issus des remaniements par la science des formes et idéaux traditionnels dont Freud pressentait le déclin.
Aujourd’hui, l’extension des pratiques de parole s’est généralisée dans la faillite des formes traditionnelles — parler fait du bien, dit-on, dans ce monde où les idéaux ne cadrent plus le lien social ni la jouissance, et où le savoir de forme scientifique laisse le paysage muet. Dans ce contexte, la pratique de l'analyse a plutôt bonne presse. Sa théorie par contre, envisagée hier sous le régime de l’unité voire de l’orthodoxie, s’avère à présent multiple, diffractée, suspectée d’inconsistance, au point que d’aucuns évoquent de s’en passer, désespérant de faire le partage entre ce qui relève de la psychanalyse et ce qui n’en relève pas (1).
Cette faille entre pratique et théorie, pour présenter des aspects conjoncturels, liés au discrédit contemporain frappant les systèmes de pensée et aux aléas de l’histoire de la psychanalyse, n’en est pas moins structurelle, tenant à l'essence même de l’expérience analytique. Celle-ci consiste en effet à rapporter la jouissance au sens pour la traiter en la faisant parler. Or, si la jouissance parle, elle dit n'importe quoi. Elle est un réel hors sens, qui se refuse à être pensé, et qui n'atteint au sens, au sens du symptôme, qu'à travers le mensonge. Toujours, ce réel fera mentir la théorie en provoquant sa propre méconnaissance.
C’est sur cette faille, ce non-rapport entre pratique et théorie que Lacan a avancé son enseignement, faisant appel à toutes les ressources de l’entendement pour rendre compte de l’expérience en logique. Le moteur en fut la pratique, le retour constant aux données immédiates de l’expérience qui, loin de vérifier la théorie, la débordent, la décomplètent voire la décontenancent et la font apparaître comme une élucubration.
D'où le souci des psychanalystes quand ils sont amenés à parler de leur pratique: ils sont bien forcés de réinventer la psychanalyse, dans une élaboration constante, afin de gagner sur leur refoulement, sur leur méconnaissance. En sachant que constamment, leur élaboration tout autant que leur pratique portera la marque de cette opacité de structure: "Il y a du refoulé. Toujours. Élaborer l'inconscient, comme il se fait dans l'analyse, n'est rien que d'y produire ce trou" (2), constatait Lacan au terme de sa vie. Produire ce trou, qui fait déconsister tous les savoirs et en premier lieu le savoir du fantasme, nécessite un certain forçage de la part de l'analyste, notamment le forçage de déranger la défense du sujet, pour permettre à celui-ci de prendre un aperçu de ce qui le causait et dont il ne voulait rien savoir, afin qu'il sache "mieux — un peu mieux — y faire avec le réel qui n'a pas de sens." (3) Comment rendre compte de cette opération qui ne se fait qu'au cas par cas et dans la méprise de tout savoir constitué ?
Tel fut le pari de Lacan, à partir de la pratique. Pari qu’il nous a légué et dont J.-A. Miller tire sans cesse les conséquences dans son cours L’orientation lacanienne et spécialement dans ses " Réflexions sur le moment présent " (4) qui guident notre propos. Il s'agit de miser sur le déplacement des savoirs plutôt que sur la stabilité de la théorie toujours débordée par l'expérience, sur la sériation des données de la pratique, au cas par cas, plutôt que sur la logique des classes prisée par le XXe siècle, sur la méthode inductive plutôt que sur la déduction. Formes pertinentes d’une mise en fonction de l’Un pour traiter le réel du symptôme dans ce monde de l’Autre qui n’existe pas.
Le pari est celui d’une orientation épistémique qui soit à la hauteur du réel en jeu dans la pratique, afin de faire "ex-sister la psychanalyse dans les conditions du présent" (5).
C’est à cette École que nous avons à nous former, encore.

 

(1) Cf. Revue française de psychanalyse, n° Hors Série, Courants de la psychanalyse contemporaine, Paris, PUF, 2001, notamment pp. 11-12, 16, 82-88, 99.

(2) Lacan J., "Lettre pour la Cause freudienne", (23/10/80), Acte de fondation, et autres textes, Paris, Copédith, 1985.

(3) Miller J.-A., "Lacan qui enseigne", Qui sont vos psychanalystes ?, Paris, Seuil, Champ freudien, 1992, p. 574.

(4) Miller J.-A., L’orientation lacanienne, "Réflexions sur le moment présent "(2001-2002), inédit. Enseignement prononcé dans le cadre du Département de Psychanalyse de Paris VIII, 1er semestre.

(5) Miller J.-A., "Lacan qui enseigne", op. cit., p. 571.