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Un au-delà
En inventant en 1920 la pulsion de mort[1], Freud apporte au réel de la Grande Guerre une réponse, dont il se confie à Einstein, qui change radicalement sa conception de la psychanalyse – pas décisif pour inférer l’impossible, soit le réel, trou au cœur des choses humaines. Qu’est-ce qui pousse Freud à postuler un au-delà au principe de plaisir ? Une question clinique : d’où vient ce qui se répète dans les névroses traumatiques, la réaction thérapeutique négative, les névroses de guerre ? Et puis l’observation du jeu de son petit-fils qui, âgé d’un an et demi, n’a de cesse de jeter au loin, fort, un petit objet. Par sa relecture de ce jeu qui, à partir de l’efficace de l’opposition des phonèmes fort-da, amène le sujet à réitérer l’expérience de la perte, Lacan montre que dans la contrainte de répétition, il y va des effets de l’ordre symbolique et d’une mise en jeu de l’objet a, cause du désir. De là s’éclaire le fin mot du propos freudien s’agissant de pulsion de mort, soit pour l’être parlant « ce qui, dans la vie, peut préférer la mort[2] ». S’orientant de la rigueur de Freud face à ce qui s’imposait dans sa clinique, Lacan le suit, non sans s’en écarter quand Freud glisse à conjoindre dans le masochisme la jouissance sexuelle et la mort[3].
Pulsion de mort - principe de jouissance
Nous répétons le même détour pour toujours revenir à l’inanimé : « absurde extrapolation métaphysique[4] », qui pour d’aucuns fit scandale. Dans L’éthique de la psychanalyse, Lacan ose mettre Freud sur le même plan que Sade, métaphysicien du meurtre qui fait dire au pape Pie VI : la nature veut l’anéantissement, elle en jouit[5]. « Toujours la nouveauté sera la condition de la jouissance[6] », écrit Freud. La pulsion de mort est une « sublimation créationniste[7] », interprète Lacan. Ainsi, ce que Freud nomme « principe de Nirvâna », Lacan l’appelle « principe de jouissance[8] ». Ce principe lui permet de dépasser le dualisme pulsionnel freudien et de rendre compte de la complexité des rapports du sujet à cette part d’absolue obscurité qui, dans son désir, le hante. De la jouissance, Lacan marquera d’abord l’hétérogénéité d’avec le langage pour ensuite, à partir du séminaire Encore, les homogénéiser. Que le langage soit appareil de jouissance donne à la pulsion de mort une tout autre portée.
Bruit et fureur dans la clinique
Qu’entendons-nous du bruit de la pulsion de mort dans notre clinique des névroses, des psychoses et des addictions en tous genres ? Qu’en réverbère le malaise contemporain ? Qu’avons-nous à apprendre de la peur de la mort et de la demande de mort dans notre société en instance de légiférer sur l’aide à mourir ? La pulsion de mort laboure, cultive le champ lacanien de la jouissance. Soulevant des enjeux éminemment politiques, elle explose entre les hommes, qui n’ont pas attendu l’apparition de la science moderne ni celle du capitalisme comme discours, pour s’exploiter, se martyriser, se tuer[9], jusqu’à finir par ruiner la planète… par-dessus le marché ! « La science [disait Lacan] est liée à ce qu’on appelle spécialement pulsion de mort[10] », et flagrant est le constat de ses effets de réification et de décrédibilisation de toute forme de prise de parole singulière, dans le social, le soin, l’éducation, les médias, l’art. L’effort de l’Éros éternel que Freud appelait de ses vœux face à la pulsion de mort reste-t-il à produire ? Sommes-nous à cet égard dans un temps dépassé ? Il est urgent ici de reposer la question des responsabilités de l’analyste.
Les raisons du vacarme
La pulsion de mort n’est pas que silence de mort, elle fait le bruit et la fureur du langage et de lalangue que nous habitons et qui nous affectent. William Faulkner, par son art d’écrire le malheur qui peut nous pousser à retourner à l’inhumain de la horde, nous l’a fait entendre dans son roman The Sound and the Fury[11] qui prend au piètre de la lettre cette phrase de Macbeth : « La vie est […] une histoire contée par un idiot, pleine de fureur et de bruit et qui ne veut rien dire[12]. » Et si ce plein de bruit et de fureur c’était la vie même !? Nous interrogerons lors de nos Journées nationales les raisons de ce vacarme.
[1] Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », Œuvres complètes, XV, Paris, PUF, 2006.
[2] Lacan J., Le séminaire livre VII L’éthique de la psychanalyse (59/60), Paris, Seuil, 1986, p. 124.
[3] Lacan J., Séminaire Les non-dupes errent, leçon du 19 février 1974.
[4] Lacan J., Séminaire L’identification, leçon du 28 février 1962.
[5] Lacan J., Le séminaire livre VII L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 251.
[6] Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », op. cit., p. 307.
[7] Lacan J., Le séminaire livre VII L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 251
[8] Lacan J., Séminaire Les non-dupes errent, leçon du 12 mars 1974.
[9] Freud S., Malaise dans la civilisation (1929), Paris, PUF, 1989, p. 65.
[10] Lacan J., Séminaire Le moment de conclure, inédit, leçon du 20 décembre 1977.
[11] Faulkner W., Le bruit et la fureur, Paris, Gallimard, 1972.
[12] Shakespeare W., « Macbeth », Œuvres complètes II, Paris, La Pléiade, 1971, p. 1005.