décès de Gérard Pommier

Gérard Pommier

Nous apprenons le décès Le 1er aout de Gérard Pommier.Psychiatre et psychanalyste. Auteur de nombreux ouvrages, membre de l'l'École Freudienne de Paris puis de l'l'École de la Cause Freudienne qu'il quitta avec fracas, co-fondateur de la Fondation Européenne de Psychanalyse en compagnie de Claude Dumézil, Charles Melman, Gérard et Moustapha Safouan  en 1991. Il était également directeur de la revue "La clinique Lacanienne" et co-fondateur de la collection Point Hors ligne aux éditions Érès.

Comments (1)

Portrait de Le Vaguerèse Laurent

J'ai reçu de notre collègue Régnier Pirard le texte qui suit; Chacun sur le site oedipe s'exprime en son nom et en assume la responsabilité. je pense que ses propos concernant Gérard Pommier peuvent éventuellement  heurter certains de nos collègues. Ce ne serait guère surprenant dans la mesure où Gérard Pommier fut de son vivant un personnage controversé. Je publierai bien entendu les écrits de ceux qui souhaiteraient commenter ce texte.LLV

"

Ma vie (un petit bout) avec Pommier

Ma première rencontre avec Gérard Pommier remonte à 1994. Bien sûr, je le connaissais de réputation et avais déjà lu quelques lignes de lui. Il était venu à Bruxelles, à l’invitation de Patrick De Neuter, parler de son livre Du bon usage érotique de la colère. Il l’avait fait en commentant de larges extraits avec l’humour qui le caractérisait, subtile distanciation autant que mécanisme de défense contre une blessure énigmatique, dont – peut-être -  une clé se trouve dans Ma vie avec Lacan[1]. A l’époque, j’enseignais encore à l’Université de Louvain et animais avec De Neuter et d’autres un Centre de Formation à la Clinique Psychanalytique (CFCP). En 1996, les circonstances de la vie m’ont conduit à l’Université de Nantes. C’est là, au début des années 2000, que j’ai retrouvé Pommier par le plus étonnant des hasards.

En arrivant à Nantes, moi qui me considérais comme un lacanien critique, avec la part de méconnaissance – je le confesse – que cette attitude comportait alors, j’étais la fausse note dans le concert unanime dirigé par un chef d’orchestre sectaire qui ne recrutait, autant qu’il le pouvait, que dans les rangs de La Cause freudienne. Lui-même n’en était pas membre, mais en lisière depuis qu’un sujet d’examen très douteux l’en avait écarté à cause de supposés relents antisémites. Ce chef poussait donc la résilience et la recherche de réhabilitation au maximum, en se faisant plus catholique que le pape ou mieux, ayatollah de la cause, autrement dit lacanien fanatiquement intégriste. C’est dans ce contexte que j’ai redécouvert Gérard Pommier et, si j’ose dire, le bon usage qu’on en pouvait faire. Voici le concours de circonstances de cette tuchè.

J’étais suppléant au sein de la Commission des nominations, lorsque le titulaire me demanda de le remplacer. En séance même, sur le tas, je découvre les candidatures pour un poste de Maître de Conférences en psychologie clinique et parmi elles celle de Gérard Pommier. Selon la procédure alors en vigueur, les qualifications au CNU avaient eu lieu. J’écoute les rapports d’usage. Le premier était de Laurent Ottavi, membre extérieur, qui évidemment, connaissant le pedrigee de Pommier, n’en pouvait décemment occulter les qualités mais concluait malgré tout par un tête-à-queue (in cauda venenum) qui excluait le candidat des auditions du second tour. Le second rapport émanait de la responsable du Département de psychologie du développement et était largement défavorable. Je soupçonne qu’il lui avait été soufflé, car elle ne devait pas y connaître grand-chose. Mais à l’époque les mandarins régnaient sur leurs spécialités et, par une sorte de « guerre froide », convenaient tacitement et parfois explicitement de ne pas interférer dans leurs champs respectifs, chacun fermant les yeux sur le despotisme des autres pourvu qu’il n’en fût pas affecté.

Je découvre donc la candidature de Pommier. J’apprendrai plus tard de sa bouche que sa thèse de 3ème cycle était récente et  que Roland Gori l’avait poussé à se lancer, même tardivement, dans une carrière universitaire, dont de toute évidence il rêvait. Je fais remarquer à mes collègues qu’il est absolument impensable, sans forfaiture, d’écarter Pommier des auditions, que c’est une des grosses pointures de la psychanalyse en France et qu’il compte à son actif nombre de publications. J’ai pu convaincre, confiant qu’au second tour il saurait jouer et qu’il l’emporterait, bien que frisant déjà la soixantaine et, à coup sûr, dans le rôle d’un enseignant TGV qui ne quitterait pas Paris pour s’établir en province. A la suite de ce premier tour j’ai téléphoné à Gérard Pommier pour le briefer. Il a choisi pour l’audition de mettre l’accent sur sa pratique avec les enfants et sa fréquentation de Françoise Dolto. Ses propos furent suffisamment  convaincants face à des cognitivistes pour gagner le pompon. Cela dénote un trait du bonhomme, qui ne craignait pas l’affrontement, même bravache. On retrouve plus d’une fois ce côté Don Quichotte dans son parcours, face aux neurosciences, par exemple, en utilisant des arguments scabreux (les neurones seraient comme des « instruments » du sujet parlant…). Bref,  ça a marché, malgré l’opposition pour d’autres raisons, mais toujours très correcte, de Jean-Claude Maleval, membre extérieur de la Commission,  censé représenter les intérêts du tyran local. Quand celui-ci connut le résultat, il entra dans une rage folle, bien déterminé à nous faire payer cher notre audace. Pommier et moi fûmes exclus d’enseignement en DEA, qui dans le programme constituait alors une sorte de chasse gardée. Nous fûmes écartés topographiquement,  partageant le même bureau à l’écart des bureaux des autres Cliniciens. Bref, nous étions punis. Je crois pouvoir dire que les étudiants, eux, ne l’étaient pas, nos enseignements passaient très bien et tout le monde respirait.

Notre bureau n’était pour nous qu’un local de transit autour de nos prestations universitaires, la pratique nous requérant l’un comme l’autre, mais ce fut l’occasion d’échanges impromptus, de petites confidences, de conversations cliniques, de considérations institutionnelles. Nous les prolongions en dehors. Pommier, tout en ne s’attardant guère afin de préparer ses cours du lendemain, est venu dîner chez moi à diverses reprises, comme je suis allé, accompagné de ma femme, rue Montpensier au-dessus des colonnes de Buren, où il a habité un moment. Gérard concentrait ses enseignements sur un jour et demi. Il avait tendance à faire des « séances brèves », ce qui a failli lui coûter la suite de sa carrière universitaire. Rare fois où je l’ai vu blêmir et suer à grosses gouttes. Il est vrai qu’il prenait les choses d’une manière peu académique, calculant ses trains au plus juste et parfois en retard à cause de la SNCF, bousculant le timing des cours. Il les concevait comme des conférences d’une heure et quart environ puis ouvrait le temps des questions. Ses réels talents pédagogiques ne suffisant pas toujours à soutenir le questionnement, car le propos était souvent difficile ou déroutant aux dires des meilleurs étudiants, Gérard n’attendait pas que la seconde heure fût écoulée pour lever la séance. Conduite d’analyste, en somme, maître des horloges. Hélas, dans de telles conditions, il se trouve toujours quelques étudiants rongés de formalisme, ou des collègues qui voudraient en faire autant parce qu’ils ont peu à dire mais n’osent pas, pour dénoncer la prétendue faute déontologique. Pédagogiquement, cela se défendait pourtant et jamais Gérard n’a manqué un cours par négligence ou caprice. Le seul écart inconsidéré fut de se faire remplacer par un jeune doctorant non enregistré pour surveiller des examens de L 1, et peut-être corriger quelques copies. Bien sûr, c’était hors des usages universitaires et cette incartade lui fut sévèrement reprochée quand la Commission fut appelée à statuer sur une nomination définitive au terme des deux années probatoires. Là j’ai vraiment dû monter au créneau et tirer à boulets rouges pour obtenir finalement la concession d’une année probatoire supplémentaire, qui a permis douze mois plus tard la nomination définitive. Pommier était enfin Maître de Conférences à soixante-trois ans mais n’entendait pas en rester là. En soutenances de mémoires ou de thèses, j’avais pu apprécier sa gentillesse respectueuse à l’égard des étudiant(e)s, ses remarques cliniques judicieuses et subtiles, car il était grand clinicien tout autant que théoricien personnel, qui concevait la théorie comme fiction, à l’instar de Maud Mannoni. Mais tout le monde n’appréciait pas trop « le jus de pomme » (allusion perfide entendue de la bouche de Dumézil).

En réunion de rentrée, puisqu’il fallait à nouveau  payer le prix de l’outrecuidance, le responsable de la Clinique (jamais élu mais établi, en quelque sorte, par ancienneté) décida de « reprendre » à Pommier « son » cours de L 3 (comme s’il lui appartenait)  pour des motifs soi-disant d’hérésie doctrinale. Certes Gérard était tout sauf un orthodoxe « kolkhoze », sa lecture de Freud avait sa propre originalité, avec ses diverses variations autour de l’œdipe inversé. Violent anathème donc que cette expulsion, au moment où Pommier cherchait à consolider un dossier dans l’espoir de décrocher une nomination de professeur. En réalité, il avait osé déposer une candidature à Strasbourg, car à Nantes c’était bouché, à l’insu de Monsieur le directeur. Son départ s’est fait un peu plus tard. Il avait soutenu une HDR avec Rassial et m’avait demandé avec insistance d’être rapporteur et membre du jury mais j’avais décliné à cause d’un autre jury quasi au même moment et parce que je ne voulais pas me contenter de lire un papier qu’il aurait prémâché pour moi (j’ai toujours lu intégralement mes travaux de jury). La thèse portait sur les neurosciences et la psychanalyse, elle annonçait l’ouvrage éponyme. Un mauvais timing par manque d’informations ne lui permettant pas d’être dès la soutenance candidat au CNU, il dut souffrir quelque délai. Là les choses se brouillent un peu dans mon esprit. J’ai été absent quelque temps suite à un accident. Au retour, j’apprends que Pommier et le responsable de la Clinique ont pris langue et que Gérard est parvenu à le convaincre d’étoffer sa charge de cours avec des enseignements en M 2. Après tout, ce grand Pommier qui fait de l’ombre, ce ne serait pas plus mal qu’il s’en aille, devait-il penser. Gérard n’était peut-être pas très fier d’avoir ainsi fait la manche et de me renvoyer à un certain isolement. Nos relations se sont un peu refroidies mais pas trop. « Je sens que tu ne m’aimes plus comme avant », me dira-t-il. Il avait vendu une solidarité de combat pour un plat de lentilles, mais tout cela était conjoncturel  et j’ai moi-même dû subir au fil des ans des « jeté – repris » selon les humeurs ou les besoins du potentat local. Histoire universitaire banale et médiocre, toujours fonction des rapports de forces.

La sympathie que nous avions l’un pour l’autre était plus solide que ces vicissitudes. Après son départ de Nantes, nous avons gardé des liens épisodiques, notamment autour de La Clinique lacanienne où il a accueilli quelques articles et comptes rendus. Nous nous sommes revus à l’une ou l’autre Journée de la FEP aussi. Puis, surtout lors de deux marches des « Psychanalystes Gilets Jaunes » qu’il avait organisées. Car Gérard était resté jusqu’au bout un rebelle, un révolté face aux injustices et aux discriminations (Occupons le Rond-point Marx et Freud). A Nantes, il s’est beaucoup et concrètement impliqué autour du fameux amendement Accoyer qui marginalisait la psychanalyse, puis la Loi LRU qui marchandisait l’Université.

S’il m’a un jour reproché de trop « psychologiser », ce qui m’avait un peu vexé car j’y entendais une surdité au signifiant, qu’on me pardonne de le faire maintenant. Avant son dernier livre, qui est un craquage, je l’ai toujours connu assez pudique et avare de confidences. L’intimité d’une cure analytique était même pour lui un obstacle à la procédure de la passe, c’est ce qu’il m’a dit. Cet homme vivait en effervescence, toujours sur la brèche. Sans doute tirait-il d’une omniprésence sur le devant de la scène des gratifications narcissiques, mais la nécessité de cette exhibition devait être plus profonde. Il comparait ses activités multiples à une course d’obstacles, dont il tirait une forme de jouissance lucide. Un jour qu’il s’était déplacé la mallette inutilement pleine de livres, il me dit en rigolant « On est quand même bien névrosés, hein ». Une autre fois, il m’avoua penaud avoir passé son mois de vacances familiales à Marseille (il venait d’être père à nouveau) à écrire à longueur de journée. C’était un graphomane comme d’autres sont toxicos. Cet ancien dyslexique (il me l’a dit) noircissait des pages d’une large écriture potache, presque disproportionnée, ne comportant pas plus de dix lignes par page, facile à la relecture.

Il avait le profil type de l’enfant surdoué, hyperactif, que seule l’écriture permettait de cadrer. Sa croisade contre le cognitivisme pourrait s’originer de là. Mais cette écriture le lâchait parfois, elle ne tenait pas toujours la distance. Ses ouvrages commençaient souvent de manière brillante, avec des formules percutantes, très assertives, des métaphores suggestives, dans un foisonnement d’idées, de trouvailles. C’en était presque hypomaniaque. Puis tout s’effilochait, la syntaxe et l’orthographe se déglinguaient, comme s’il fallait boucler en bâclant. J’ai souvent été frappé par cette « cyclothymie » littéraire, à laquelle n’échappent que peu de ses livres, l’exception magnifique étant à mes yeux Les corps angéliques de la postmodernité, un vrai bijou. J’ai parfois pensé que Pommier devait avoir eu ce qu’on appelle des « nègres » pour abattre un tel travail. Finalement je crois que non mais qu’il fit beaucoup de rencontres dont il sut tirer profit et qu’il était une bête de somme.   

Gérard Pommier fut un homme exceptionnel, un vrai singulier, ce qu’on appellerait un sinthome, qui a tenu presque jusqu’au bout. Son dernier livre, Ma vie avec Lacan, est une sorte de testament pathétique, laissant entrevoir le « trou », le breakdown, sur lequel s’est bâtie son existence, à la fois si forte et si fragile. C’est le trou qui a englouti ses grands-parents à Auschwitz. Il y a toujours eu chez lui quelque chose d’abandonnique. Sa vie avec Lacan est à entendre au sens littéral. C’est une force de vie, de liberté, que Pommier a trouvée chez Lacan enracinée dans la parole. De l’appareil théorique il n’a pas cherché à soutenir la cohérence tâtonnante, il s’est contenté d’y prélever un « tour » de parole, des aphorismes, on peut même dire un style de vie. En ce sens, Pommier est à la fois très lacanien et pour d’autres, soucieux de théorèmes, pas du tout. Comme pouvait l’être Dolto, au fond. Par rapport à la doxa, un hérétique fécond.

Ces deux-trois dernières années nous avons eu moins de contacts. Un jour au téléphone, toujours avec le même humour, il accepta au nom de l’amitié de faire « une exception de taille » pour un compte rendu un peu long que je livrais à sa revue. J’ai suivi à distance ses démêlés à Paris VII, où il a tenu à prolonger sa carrière au-delà de son échéance pour pouvoir encore diriger des thèses. Transmettre était son grand souci. Je l’ai trouvé engagé, trop engagé, dans de mauvaises querelles, même si elles ne manquaient pas d’arguments. Cela prenait une tournure parano gênante, qui devait hélas se confirmer autour de la FEP et Burzotta pris pour cible. Les derniers mails de Gérard étaient franchement délirants, voire dissociés. C’était intriguant. J’ai même songé à une tumeur, façon de le disculper, mais je n’en sais strictement rien. J’ai tâché de me renseigner, sans oser questionner un supposé proche entourage. Je me dis finalement que la construction sinthomatique a dû lâcher, que le guerrier, le « Gaulois blessé » était épuisé.

Merci, Gérard Pommier, d’avoir été ce que tu fus, homme si paradoxal, tendre, séducteur, rebelle, indomptable, original. Passer dans la vie de cette manière-là laisse des traces autour de soi. Chacun, de là où il te rencontra, emportera des souvenirs roborants. Je garde les miens dans un petit coin de ma mémoire avec émotion. Salut, Gérard. Pour respecter la tradition juive, la tienne, je dépose un petit caillou sur ta tombe.

Regnier PIRARD

 

 

[1] A la relecture, je me suis aperçu d’un lapsus calami. J’ai « écrasé » le dernier livre de Pommier, Mon aventure avec Lacan sur celui de Catherine Millot, La vie avec Lacan, ce qui donne un inédit Ma vie avec Lacan. Je renonce à le corriger car Catherine Millot fut le grand amour de Gérard Pommier, et Lacan beaucoup plus profondément ancré dans sa vie qu’il n’a bien voulu l’écrire sous un titre un peu léger, une aventure.