Décès de François Roustang

Décès de François Roustang

 

Je découvre avec retard et une grande tristesse le décès en novembre dernier de mon ami et collègue François Roustang. Jésuite au cours de la première partie de sa vie, François Roustang avait quitté la congrégation, s’était marié et avait entamé avec Serge Leclaire une psychanalyse. Devenu lui-même analyste , il avait rapidement été admis à l’École Freudienne de Paris, École fondée par Jacques Lacan quelques années auparavant . Cette pratique institutionnelle au sein de l’Église Catholique lui avait permis de prendre rapidement conscience des blocages existants au sein de l’École Freudienne, des petites coteries qui s’y étaient constituées ainsi que de déplorer avec quelques-uns l’existence de la colonie des frères prêcheurs qui y ânonnaient Lacan et jouaient aux inquisiteurs. Son livre, que Lacan selon certains ne désapprouvait pas «  Un destin si funeste » fut une véritable bombe et mit un terme à son orientation psychanalytique.

Dès lors, c’est vers la pratique de l’hypnose qu’il s’était dirigé et nombreux furent les psychanalystes qui s‘empressèrent  de lui tourner le dos. Certes, l’hypnose est en quelque sorte, l’ancêtre de la psychanalyse et c’est en faisant rupture avec la pratique de l’hypnose que Freud « inventa » la psychanalyse. Cela ne doit pas nous faire oublier l’immensité de ce qui nous reste à découvrir concernant en particulier le fonctionnement de l’homme et de sa pensée. Faire l’impasse sur notre ignorance, se penser seuls détenteurs de la vérité c’est faire preuve d’une profonde suffisance et s’écarter radicalement de la démarche de Freud, toujours en quête, tout au long de sa vie, de ce que les autres disciplines étaient à même de lui apporter afin de nourrir ses avancées et sa réflexion.

Laurent Le Vaguerèse

 

l'annonce par "Le monde" : un texte d'E.Roudinesco

La disparition de François ROUSTANG

Né le 23 avril 1923, François Roustang, auteur d’un grand nombre d’ouvrages, était avant tout un extraordinaire clinicien, animé d’une passion de guérir et d’une empathie pour ses patients assez unique dans le monde de la psychothérapie et de la psychanalyse. En témoigne la manière dont un jour de 2005, il traita en une séance unique l’écrivain Emmanuel Carrère qui lui rendit visite en songeant au suicide : « Oui, c’est une bonne solution, lui-dit-il » Et il ajouta après un silence : «Sinon             vous pouvez vivre ».  
A l’âge de 20 ans, il entre dans la Compagnie de Jésus tout en poursuivant des études de philosophie et de théologie.  A partir de 1956, il fait partie de la revue Christus  dont il devient le directeur en 1964. En même temps, il se tourne vers la psychanalyse et devient, avec ses amis Louis Beirnaert et Michel de Certeau, membre de l’Ecole freudienne de Paris (EFP) fondée par Jacques Lacan. C’est alors qu’il commence une première cure avec Serge Leclaire. En 1966, il fait paraître un article intitulé « Le troisième homme ». Il y démontre que le Concile Vatican II a favorisé l’émergence de chrétiens qui ne pratiquent pas et ne se reconnaissent plus dans les valeurs de la foi et des sacrements. L’article aura un retentissement important dans les milieux catholiques.

Cette prise de position iconoclaste est la conséquence directe des transformations opérées par la cure sur les opinions de l’auteur qui a lui-même a perdu la foi. La Congrégation de s’y trompe pas et démet Roustang de ses fonctions. Quelques temps plus tard, il rompt avec l’Eglise, quitte l’habit, se marie et devient psychanalyste en vouant à Freud et à Lacan une admiration sans bornes. Mais, après avoir vécu son passage à la pratique psychanalytique comme une véritable libération,  Il constate avec fureur et amertume que l’EFP s’est transformée en une Eglise avec ses idolâtres et ses rituels convenus. Rien ne le révolte plus que les relations de servitude entre un maître et ses élèves. Et pour tenter de comprendre pourquoi une doctrine aussi critique que la psychanalyse a pu se transformer en une nouvelle religion, il s’oriente vers une mise en cause radicale de ce qu’il avait tant aimée. Et de fait, il participe à un vaste mouvement de contestation qui traverse à cette époque tous les courants français de la psychanalyse. Emmené par René Major et soutenu par Jacques Derrida, ce mouvement de Confrontation se déploie joyeusement sur la scène psychanalytique parisienne.

En 1976, Roustang publie un ouvrage qui deviendra le manifeste le plus flamboyant de cette nouvelle orientation anti-dogmatique : Un destin si funeste (Minuit).  S’appuyant sur une lecture critique des relations de Freud avec certains de ses disciples (Carl Gustav Jung, Georg Groddeck, Sandor Ferenczi), il accuse la doctrine psychanalytique d’être l’arme d’une folie destinée à rendre l’autre fou. Et du coup, il fait de la cure par la parole l’instrument d’une sorte de viol subjectif qui, sous couvert de renoncement à l’hypnose, ne fait que reconstruire la dialectique aliénante du maître et de l’élève. Magnifiquement écrit et d’une violence salvatrice, le livre obtient un succès considérable en renouvelant en partie la critique proposée quatre ans auparavant par Gilles  Deleuze et Félix Guattari dans l’Anti-Œdipe (Minuit, 1972). En réalité, Roustang continue à rejeter une ancienne foi pour une nouvelle. Cependant, sous couvert de révolte permanente, il demeure un fabuleux thérapeute. Ayant abandonné la cure freudienne pour se tourner vers l’hypnothérapie, il reste le trouble-fête du milieu psychanalytique en refusant, à juste titre, les cures interminables qui ne servent selon lui qu’à enfermer le patient dans un repli narcissique. Depuis les années 1990, il n’a cessé de valoriser les thérapies brèves.
Dans son dernier opus (Jamais contre, d’abord. La présence du corps, Odile Jacob, 2015) où sont réunis trois de ses ouvrages majeurs, il explique que la meilleure manière de transformer sa vie c'est d'effectuer un "retour au présent", de s'asseoir confortablement dans un canapé pour y trouver un nouvel espace existentiel, de cesser de se lamenter sur son passé et enfin de ne rien faire d'autre que d'accepter sa souffrance pour mieux l'évacuer par un cheminement intérieur et un éveil au monde. Et ça marche! Roustang fait preuve ici, une nouvelle fois, de son talent exceptionnel et d'un humour tendre et féroce. Tel est le testament de ce Socrate rebelle, grand guérisseur des maladies de l'âme.

Elisabeth Roudinesco pour Le Monde