Décès de Jean-Max Gaudillière

Jean-Max Gaudillière est décédé à Paris le 19.03.2015 à 71 ans.
Psychanalyste indépendant des écoles de psychanalyse, il a animé un séminaire hebdomadaire avec sa femme Françoise Davoine, séminaire suivi par un public passionné et fidèle depuis plus de trente ans à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Histoire et Folie ont été tout au long de son travail un axe de recherche. Recherche à deux.

Voilà ce qu’en écrit Heitor O’Dwyer de Macedo :

Co-chercheurs. Voilà un autre terme qu’il appréciait avec Françoise Davoine, pour designer le patient fou, terme qu’ils ne cessent de mettre au travail dans leur séminaire qui a comme titre Folie et lien social. Pour eux, le mot folie ne décrit pas une structure d’un individu; il caractérise une forme de lien social dans une situation extrême... Le fou nous démontre ce qu’il faut faire pour survivre dans des circonstances extrêmes de la guerre. La folie recèle les cicatrices du collapsus du temps et des garanties du langage. Et c’est pourquoi, pour Jean-Max et Françoise, le travail du psychanalyste dans le champ de la folie le contraint à rêver l’histoire. Par ses rêves, le psychanalyste nommera les images non-effacées de l’autre, ces images-choses tellement présentes tout le temps qu’on ne les voit pas, qu’on ne les reconnaît jamais : temps immobile et l’évidence de l’horreur estompée par la familiarité que recèle l’habitude, même celle de la douleur. L’historisation du transfert a comme conséquence des améliorations incontestables sur le plan individuel, et ces améliorations se diffusent dans le tissu social.

Avec les fous, c’est lui, l’analyste, qui met en mouvement l’inconscient. Et c’est pourquoi il racontera au patient les rêves qu’il a fait pour lui, ou des détails de son histoire personnelle qui recoupent celle du patient. Parce que si la folie est le moyen par lequel un sujet essaye d’exister en inscrivant un Réel qui n’est pas transmissible, les histoires et les rêves racontés par le psychanalyste sont un moyen, comme la fiction, de circonscrire ce Réel.

Ce qui permet un premier temps de rencontre entre le fou et son interlocuteur psychanalyste, ce n’est pas une interprétation de celui-ci, mais sa présence, ou sa tentative de présence à cette douleur qu’il admet innommable. Le tissu de cette tentative de présence est fait de l’expérience des catastrophes que le psychanalyste a vécues et qu’il met en partage dans le terrain du transfert. En d’autres termes, la création commune, par l’analyste et le patient, d’un sujet subjectif, se fait à partir de l’expérience que l’analyste a du trauma. Aussi, comme Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière ont le courage de le dire, du tact que l’analyste possède depuis l’enfance à traiter ce type de question.

Si l’on accepte que la folie soit une épopée, que le patient soit un héros, et l’amitié le seul lieu où un dire sur le trauma soit possible, alors on peut aisément saisir l’immense portée du concept therapôn, qu’ils ont trouvé chez Homère. Le therapôn est le second au combat, le double rituel. C’est lui qui s’occupe du corps et de l’âme de l’autre, pendant sa vie et après sa mort. C’est lui qui hérite des armes et qui a la charge des rites funéraires. C’est lui encore qui sera visité dans ses rêves par l’âme du mort. En d’autres termes, le psychanalyste des fous est un therapôn, c’est- à-dire, comme je comprends ce concept, un analyste épique, capable de transformer la banalisation du trauma dans un mythe fondateur pour la vie du sujet, capable de l’aider à enterrer ses morts, les honorer et, si nécessaire, les haïr et les bannir.

Si la poésie est morte à Auschwitz, après avoir été assassinée mille fois dans l’Histoire, Jean-Max Gaudillière et Françoise Davoine, qui sont arrivés à la psychanalyse par la littérature, nous rappellent que c’est seulement par le poème que peuvent être pensées les blessures incurables de l’Histoire.

Edité chez Stock :
Histoire et Trauma, La folie des guerres, 2006
A bon entendeur salut, Face à la perversion le retour de Don Quichotte , 2013

R. Zygouris /H O'Dwyer de Macdo