- Œdipe
- Prix
- Vidéos
- Lire
- Actualités
- Critiques
- Dossiers
- Grande traversée - Moi, Sigmund Freud
- Lettre de démission de l'Ecole Freudienne de Paris J. Favret-Saada
- Hyperactivité de l'enfant
- Loi du 5 juillet 2011 : interview
- Décrets relatifs à l'usage du titre de psychothérapeute
- L'affaire Onfray
- Mai 68 : sommaire
- Dossiers Interview de jacques Sedat à propos de la parution des travaux de François Perrier
- Le cas 'Richard'
- Chronologie
- Autisme et Psychanalyse
- Colloque : « Du Séminaire aux séminaires. Lacan entre voix et écrit »
- Documents concernant Jacques Lacan
- Livres de psychanalyse
- Revues de psychanalyse
- Newsletters
- Enseignements
- Adresses
- Questions
- Loisirs
dècès de Guy Rosolato
Décès de Guy Rosolato
Je me souviens ici combien, à une époque cruciale et vive, engagé dans l’analyse, dans l’élaboration de mon propre rapport au Texte, lire les textes de Rosolato (d’abord ses "Essais sur le symbolique") -, et cela en contrepoint de mon enlacement aux Écrits et aux séminaires de Lacan -, m’aida à penser le poids du «mécanisme inconscient de la théorisation» (formule reprise de Patrick Lacoste, dans "La sorcière et le transfert", Ramsay, 1987) : soit le fait que tout lecture et toute théorisation psychanalytiques s’engagent dans une relation transférentielle au texte – texte support tout à la fois de l’analyse et de la résistance à l’analyse. Une résistance qui, pour fétichiser les signifiants (le nom propre) et cristalliser les identifications imaginaires, s’inscrit comme fixation (transférentielle) du sujet aux figures idéalisées, celles du roman familial institutionnel.
Évitant alors une certaine répétition, disons « politique » – répétition qui amena les plus militants, les plus propagandistes, à édulcorer la facture institutionnelle du transfert (la « dissolution » n’y pouvant rien), et à produire sous l’emblématique du « lacanisme » une nouvelle légende pour les masses, raflant ainsi en bien des lieux, universitaires et professionnels, la mise transférentielle de la communion, celle de l’amour politique – j’apprenais un peu mieux, peu ou prou à mes dépens, combien la relation aux Écrits mobilise et implique le mouvement du fantasme, toute cette structure du mythe que Guy Rosolato analysa, dans le prolongement de "L’avenir d’une illusion", sous la notion clef de « complexe de croyance ».
Cette notion, introduite je crois pour la première fois dans son article "La scission que porte l’incroyable", publié dans le n°18 (La croyance) de la Nouvelle Revue de Psychanalyse, automne 1978, sera développée un an plus tard, dans le n°20 (Regards sur la psychanalyse en France) de cette même revue, dans un article que je considère comme majeur, "L’analyse des résistances".
L’étude répétée de ce texte contribua à m’inscrire définitivement (si tant est que j’eus la tentation du «lacanisme») comme freudien ; elle participa, avec quelques autres lectures (dont celle des premiers ouvrages de Legendre), à ce que je reste lié, référé – dans ce champ ouvert par Aichhorn qui est plus spécifiquement le mien –, non à tel ou tel courant ou école, mais bien à cette fiction utile et nécessaire qui est celle du Mouvement psychanalytique ouvert par Freud : soit à cette scène originaire fondatrice, toujours à venir, là encore devant nous, à construire comme un mythe adéquat n’est-ce pas…
Ce qui ne m’empêcha pas, au contraire, de discriminer et d’articuler, pour ce que j’en ai travaillé et conquis (de façon fort imparfaite et incomplète, comme il en est, plus ou moins, pour tous), les apports des plus créatifs, au premier rang desquels celui de Lacan. Lacan auquel Rosolato, creusant son propre sillon, a me semble-t-il payé sa dette.
Dans "L’analyse des résistances", qui faisait suite, dans la même revue, à la nouvelle publication de "Résistances à la psychanalyse" (article de Freud qui n’était plus accessible en français depuis 1925 ), Rosolato interrogeait et analysait « la structure des relations soutenues par l’image du Père Idéalisé… ».
Au cœur du « complexe de croyance », le couple puissant est le Père Idéalisé (rival heureux et invincible, vis-à-vis de qui le père réel, court-circuité, ne fait pas le poids…) lié à la Mère Phallique. Nous touchons là à la structure d’un mythe « qui impose son cadre rigide à toute mise en sens», et fait que l’interprète – celui qui pourrait en dévoiler la facture frictionnelle, en mettre à jour l’économie régressive, de religiosité – est , tel le père, prié de se taire et de fermer les yeux… Structure d’un mythe qui irradie non seulement le champ institutionnel, mais aussi les sphères de la psychanalyse, poussant celle-ci à épouser les tendances sociales du temps, celles de la dé-construction indéfinie…
« Ainsi s’accomplit fantasmatiquement grâce au Père Idéalisé une protection contre toutes les forces menaçantes, protection qui n’est que l’émanation perfectionnée, en tant qu’universelle, de celle que donnait la mère dans l’enfance, et revanche à l’égard du père réel. Là se révèle une force, qui, par son maintien, tire vers une relation initiale à la mère, répercutée par le développement qu’en donne la version infantile du roman familial : ce sont les racines mêmes de la croyance, son énergie véritable. »
Rosolato notait aussi : « la constitution d’un clergé, chargé de veiller à l’intégrité de la structure mythique, permet de définir des individus qui regrouperont en eux des traits rappelant tour à tour la Mère phallique, le Père Idéalisé, ou le Fils-héros. »
Précisant : « Il faut encore situer exactement ce qui trouve sa place au lieu du Père Idéalisé : ce peut être aussi bien toute forme d’autorité ou de loi, un idéal, une théorie, que renforce la prédominance de la mère phallique, dans une intime combinaison avec ceux-ci. ».
Ce texte, "L’analyse des résistances", dont je ne fais ici qu’effleurer la richesse, m’aida à concevoir combien la résistance à la psychanalyse pouvait venir se nicher, institutionnellement se nicher, pour ceux qui comme moi s’y trouvaient impliqués, sous l’emblématique, le signifiant même de la psychanalyse, qu’elle soit «idéaloducte» ou «technocratique», selon des termes également développés par cet auteur.
Je compris alors qu’il n’y avait pas plus de «discours psychanalytique» (au sens d’un discours constitué, de référence) que de «politique institutionnelle de la psychanalyse» – politique que je n’ai d’ailleurs jamais vu depuis, en bien des scènes, autrement consister que comme relais-support (scientiste ou théologique) du vieux psychologisme : celui d’un juridisme psy, médico-psy, qui méconnaît son propre indice normatif.
(Ce qui ne m’a pas pour autant rendu ignorant des apports et succès cliniques divers de bien de ceux qui se sont inscrits et continuent de s’inscrire comme interprètes-praticiens dans l’espace tiers institutionnel. Mais mon sillon est d’essayer d’insister sur ce qui demeure à mes yeux un point d’impasse pour les cliniciens : du côté de la mise en jeu de la référence psychanalytique dans les scènes institutionnelles – impasse dont témoigne dans une certaine mesure l’affaire actuelle, quant au conflit des références et à la judiciarisation de celui-ci, de la prise en charge institutionnelle, éducative et clinique, de l’autisme. )
S’extraire du « psychanalysme » – supporter sa castration institutionnelle, les limites de sa propre place de discours, et ce en regard de la constitution sociale de la parole – implique pour tout praticien la symbolisation infinie de son lien de Référence et ce faisant, faut-il ajouter, la prise en compte de la Question juridique, et à travers celles-ci l’élaboration toujours recommencée du «complexe de croyance», le long travail de symbolisation des figures parentales idéalisées (et combinées) projetées par tout sujet (en tant que sujet du désir inconscient) sur la scène institutionnelle, la scène même du transfert.
J’ai un peu honte de dire ici ces choses, comme un b a ba dogmatique, notre viatique, le viatique de ceux que n’effraient pas le sexuel et sa structure, le texte inconscient et tout aussi bien le noyau langagier – ce noyau atomique du déterminisme symbolique par où opère, via les interprètes, la transmission de la Loi. En justice, justice généalogique s’entend.
Toute l’œuvre de Guy Rosolato le montre : l’exigence de rigueur, l'arrimage aux principes fondamentaux de la psychanalyse (sur lesquels cet auteur n’a rien lâché), sont la condition même de l’ouvert, la condition pour véritablement « lâcher » – arrêter par exemple de confondre « la passe » et l’édification de sa statue à côté de celle de Freud et de Lacan –, et soutenir « la relation d’inconnu »…
Autrement dit la dogmaticité bien comprise de la psychanalyse reste, aujourd’hui encore, la condition de l’anti-dogmatisme, la condition pour défragmenter, dans un avenir que je ne vois pas proche, le champ institutionnel de la psychanalyse fondée par Freud.
Daniel Pendanx
Bordeaux , le 19 mars 2012
------------------------------------
né le 29 Janvier 1924 à Istambul Guy Rosolato a participé en 1964 à la création de l'École Freudienne de Paris qu'il quitte en 1967 pour rejoindre l'Association Psychanalytique de France
http://www.puf.com/Auteur:Guy_Rosolato/
-----------------------
La perspective Rosolato
Guy Rosolato, psychanalyste membre de l’Association psychanalytique de France et auteur de nombreux ouvrages chez Gallimard et aux PUF, nous a quittés récemment. Après la mort de François Perrier, de Wladimir Granoff et d’André Green, c’est l’un des interlocuteurs du Lacan de la première heure qui disparaît. Evoquer aujourd’hui l’œuvre si originale de Guy Rosolato, c’est accepter de se retourner sur l’histoire de la psychanalyse en France, quand celle-ci est en butte à de nouvelles attaques de la part d’une société qui semble plus que jamais vouloir lui régler son compte au nom des idéaux actuels du marché et du scientisme. Plus que jamais il importe d’entendre la voix d’un psychanalyste à part, dont la pensée se sera déployée en direction des productions culturelles comme des constructions religieuses, dans leurs liens avec la vie psychique. Il a eu le courage de soutenir l’ensemble du désir freudien pour qui l’articulation du psychique et du culturel était une nécessité absolue, sauf à faire de la psychanalyse une simple technique de soins parmi d’autres, ce qui est bien sûr l’ambition de tous les détracteurs de celle-ci. Le titre de l’un de ses ouvrages, Pour une psychanalyse exploratrice dans la culture (PUF, 1993), résume bien le projet qui l’animait.
Recueillant l’héritage de la plus formidable révolution culturelle que la France ait connu au XXe siècle, le surréalisme, Guy Rosolato va se laisser altérer par l’écriture de Breton et d’Artaud, en faisant le pari que leur fréquentation lui donnera accès aux mécanismes psychiques des créations de l’esprit. Forgeant des éléments d’interprétation, titre de l’un de ses livres (Gallimard, 1985), à partir de cette autre révolution spirituelle dans la culture que constitue la psychanalyse, il parvient à inventer des objets de langage qui rendent compte du soubassement inconscient des opérations nécessaires à toute création artistique. C’est ainsi que « l’objet de perspective », cause et objet du désir en liaison avec les idéaux et les sublimations, ou « l’oscillation métaphoro-métonymique » pour saisir la fonction des fantasmes dans la fabrication de l’œuvre d’art permettent, parmi d’autres énoncés théoriques, de s’aventurer dans cette exploration psychanalytique, à distance de toute application dogmatique ou réduction sectaire. Attentif au pouvoir de rêve dont sont chargés les mots grâce à l’écoute des patients, mais aussi grâce à la subversion des langues pratiquée par les surréalistes, Guy Rosolato n’aura de cesse de favoriser chez son lecteur la reconnaissance du désir de ces créateurs, écrivains ou peintres, d’en analyser les conséquences pour mieux en éprouver la jouissance. Son écriture analytique, le style de celle-ci, les discontinuités dont elle fait preuve, les rapprochements qu’elle permet avec la métapsychologie freudienne, loin de réduire la résonance des écrits de Rousseau, de la poésie de Breton ou des couleurs du Lorrain en exalte la puissance. En effet, cette écriture mêle à la fois une exposition critique des acceptions d’un concept ou d’une notion avec des audaces théoriques qui deviennent pour le lecteur des provocations à penser. Que ce soit dans son approche des perversions ou des sublimations, la mise en perspective de Guy Rosolato débusque les interdits de penser que commandent les systèmes d’écriture, que ce soit dans l’art, la religion ou la psychanalyse. S’éloigner de Lacan, c’était pour lui, admirateur d’un psychanalyste qui avait remis au premier plan le langage, rester fidèle à l’esprit de celui-ci mais refuser « les idoles de mots ».
Cette fonction symbolique du fait esthétique que Guy Rosolato discerne avec tant de finesse et de justesse semble aussi devoir beaucoup à ses qualités personnelles de musicien. L’écoute musicale, la méditation à laquelle elle invite, lui permet de proposer une autre de ses trouvailles théoriques, « le signifiant de démarcation », pour accéder à ce champ du non verbal si étendu dans notre relation avec autrui. La musique, selon lui « métaphore des pulsions », ouvre en chacun ce chemin vers l’inconnu qui va prendre tant d’importance dans des travaux où il réhabilite l’imagination et les images.
Renouant avec la passion de Freud pour « la religion monothéiste », Guy Rosolato, loin de se désintéresser de la conception religieuse du monde, va avoir l’audace, à une époque où bien peu de psychanalystes osaient s’y confronter, de prendre au sérieux les mythes religieux des trois monothéismes et de les mettre en tension avec les fantasmes originaires : un livre, Le sacrifice, Repères psychanalytiques (PUF, 1987) est, à ma connaissance, le seul écho et prolongement d’un psychanalyste à l’ultime ouvrage de Freud, encore si méconnu, L’Homme Moïse et la religion monothéiste (1939). Suivront beaucoup d’articles où Guy Rosolato abordera l’exploration du fonctionnement psychique religieux à partir de la mystique chrétienne et de ses fleurons : Maître Eckhart et Jean de la Croix.
C’est avec ce retour sur les représentations religieuses et cette reprise analytique d’un champ décisif de l’expérience humaine, dont la psychanalyse est peut-être, selon l’expression de Wladimir Granoff, « le dernier avatar » que va s’achever l’aventure de pensée de celui que nous aimions surnommer Roso. En proposant de montrer comme une « relation d’inconnu » se retrouve à l’intérieur de toute spiritualité, jusque dans la psychanalyse, il accède à la matrice de ce progrès de la vie de l’esprit obtenu par la soumission du sensible au spirituel. Ecoutons le : « la psychanalyse, écrit-il dans son article sur « La psychanalyse en spiritualité » (« L’Inactuel », n°8, Circé) retrouve dans sa démarche une spiritualité propre, que l’on qualifiera de méthodologique, dans la mesure où, dans sa recherche, elle met en évidence une relation d’inconnu qui est le point de départ de toutes les découvertes, avec un objet de perspective comme cible pour l’esprit, venant recouvrir l’inconnu, pouvant capter la pensée dans un idéal fascinant, porté par le désir, et qui fait le bonheur de ceux qui s’y adonnent en concrétisant leur communauté ».
A cette communauté analytique, Guy Rosolato lègue la générosité de son désir. Son humour s’entend encore dans ce jeu de mot audible dans le titre de l’un de ses derniers livres : La portée du désir ou la psychanalyse même, (PUF, 1996). Pour avoir étendu avec autant de liberté l’espace de ses investigations, oui, la psychanalyse l’aime.
Jean-Michel Hirt
Psychanalyste membre de l’Association psychanalytique de France