Décès de Véronique Dufour

Véronique DUFOUR vient de nous quitter.

Venue des sciences de l’éducation, Véronique Dufour était une psychologue clinicienne remarquable : disposant d’une bonne expérience de terrain où elle avait su développer à la fois des compétences en matière de psychométrie mais aussi de psychothérapie, elle adossait toute sa pratique à la théorie et surtout à l’éthique de la psychanalyse. Celles-ci, comme sa curiosité et ses exigences personnelles de rigueur l’avaient conduite à poursuivre simultanément une carrière de chercheure et d’enseignante. Profondément intriquées ces trois dimensions de sa vie professionnelle se révélaient indissociables.
C’est sous la direction de Roger Perron que Véronique soutient à l’université Paris-Descartes en 1997 une thèse en psychologie sur les enfants et adolescents ayant une intelligence élevée et sur la source d’inadaptations que celle-ci constitue pour certains d’entre eux. ATER de 1997 à 1999, puis ingénieure de recherche de 1999 à 2001 à l’Université Paris 13, ses travaux portent ensuite sur l’adolescence et la violence dans les banlieues parisiennes. En plus des articles qu’elle consacre à cette époque à ce travail, elle collabore au Journal des psychologues de 1998 à 2009. Membre du comité de rédaction, elle y créé la rubrique « Jeunes chercheurs » ouverte aux doctorants et jeunes docteurs de toutes les disciplines de la psychologie, offrant ainsi un lieu de visibilité de la recherche universitaire et un lieu d’élaboration et de transmission pour les étudiants. Cette expérience prendra par la suite une dimension européenne. Arrivée à Strasbourg en 2003, elle occupe jusqu’en mars 2010 un poste de psychologue clinicienne aux hôpitaux universitaires dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du Professeur Claude Burstezjn. De ce lieu où elle en a l’idée, elle va coordonner la recherche « Copsyenfant », construite à partir de questions que lui posent la place et l’utilisation du dessin dans la psychothérapie des enfants. La reconnaissance de cette recherche par l’Agence Nationale de la Recherche (Appel Blanc 2005) lui permet de lier cette réflexion à la fois clinique et théorique aux recherches que mène son compagnon Serge Lesourd à la faculté de psychologie de l’Université de Strasbourg (à l’époque encore Université Louis Pasteur). Elle y est nommée Maitre de conférences en 2007 et y poursuit ce travail désormais plus spécifiquement centré sur la question de la construction de l’identité aujourd’hui et les relations pouvant exister entre les modalités actuelles de la construction de la subjectivité et différentes formes de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Dans cette perspective elle étudie plus particulièrement les nouvelles configurations familiales et sociales ainsi que le destin et la place que ces changements réservent à la différence des générations. A la lumière des comparaisons qu’elle effectue entre des productions picturales et discursives de groupes d’enfants rencontrés dans plusieurs pays (Russie, France, Vietnam, Québec, Brésil, Tunisie, Syrie…). elle éclaire d’un jour nouveau la question de la problématique œdipienne telle qu’elle se présente de nos jours et soutient l’hypothèse de la défaillance du père imaginaire (et non du père réel) dans nos sociétés postmodernes.
Cette recherche complexe et aux multiples facettes enrichit de façon originale son enseignement qui porte essentiellement sur la méthodologie de la recherche, sur le bilan psychologique (tests d’efficiences intellectuelles et sur les techniques projectives) et sur les pathologies infantiles et adolescentes comme l’anorexie. Nombre d’étudiants de Strasbourg mais venant aussi du Brésil, du Canada et de Russie où elle donne des conférences et des cours viendront travailler avec elle et profiter de sa direction de recherche pour laquelle elle allait bientôt demander son habilitation.

Décidément pire que l’ombre, qui elle, sait s’effacer quant il le faut, la mort, comme chacun peut le remarquer, manque de savoir vivre et se fiche pas mal que le soleil ait atteint le zénith ou sombré dans l’horizon rougeoyant que Véronique aimait tant contempler.
Sans gêne et sans pudeur, la mort qui nous colle aux basques, ne négligeant aucune occasion de faire du scandale quand elle le peut, s’est ici encore sentie obligée de faire entendre ses exigences. Manquant à tous les usages et sans attendre que nous ayons pu en accepter l’inéluctable sentence, elle est venue frapper celle qui s’apprêtait, après un long périple semé d’embuches et de tracas, à récolter les fruits de ses efforts, de sa ténacité et de son courage…
Elle est venue la faucher en plein élan au matin d’un triste dimanche pluvieux au terme de seulement quelques mois durant lesquels la petite curieuse qu’elle était n’avait cessé d’interroger la terrible maladie qui finit par avoir raison d’elle.
Ainsi ceux dont elle était la compagne ou la complice des aventures de l’esprit comme de celles du cœur, son mari, ses proches, ses amis, ceux qui l’avaient choisie comme petite ou comme grande sœur, ses collègues, ses étudiants aussi, ceux qu’elle aidait dans l’élaboration de leur thèse, de leur mémoire ou de leurs articles, ceux qu’elle avait reçus dans son service ou dans son cabinet, tous ceux qui la voyaient avec bonheur commencer à nouer les fils de son destin, en tirer ce qu’elle était en droit d’en attendre, en espérer ce qu’elle en méritait, tous sont aujourd’hui non seulement tristes mais aussi fâchés ! J’en ai même surpris qui, apprenant la nouvelle, des croyants, comme des à qui on ne la fait pas, murmurer entre leurs lèvres blêmes, comme Jacques Brel à propos de « Fernand » :

« Ah si j’étais l’bon dieu,
Je crois que je ne serai pas fier.
Je sais, on fait ce qu’on peut,
Mais il y a la manière ! »

Claude SCHAUDER

Quelques uns de ses articles et collaborations :

Dufour V., Morvan J.B., 2011, « Handicap et captation : un modèle pour penser la subjectivité ? », in EMPAN ; 80 : 142-149
Dufour V., 2010, « D’une prothèse à l’autre : l’école non humaine », in La Lettre de l’enfance et de l’adolescence, 80-81 : 55-60.
Marti A.-L., Dufour V., 2009, « Des “quasi”-frères et soeurs : inceste et confusion générationnelle », in La Lettre de l’enfance et de l’adolescence,78 : 53-59.
_____ _., 2008, _________ _______ : _____________ __ _______? «__________ _____ _ ________ ____________», ______, N°1, p. 33-43. (Traduction : Dufour V., Le générationnel aujourd’hui : Une différence problématique ? In Psychologie de la famille et de psychothérapie familiale, Moscou, N°1, p. 33-43.
Dufour, V., 2007, A criança, o bonhomme ea familia,Epistemo-Somatica, Publicacao da Clinica de Psicologia e psicanalise do Hospital Mater Dei- Belo Horizonte/MG, Vol. IV, N°2 : 29-48, Brésil.
Dufour V., Lesourd S., 2007, « L’énonciation n’est pas la parole. À propos d’un cas d’inceste », Cliniques méditerranéennes, 75 : 205-214.
Dufour V. (coordonné par), 2006, « D’où vient le Père Noël ? Analyse d’un mythe », Le Journal des psychologues, 243 : 16-44.
Dufour V., 2006, L’enfant surdoué, une faille dans la construction générationnelle. Filigrane, volume 15, numéro 2, p. 68-80, Montréal, Canada.Dufour V., 2005, « L’ennui de l’enfant surdoué : une suspension du désir », in La Lettre de l’enfance et de l’adolescence, 60 : 83-88.
Dufour V., 2004, « La fonction paternelle et l’enfant surdoué : un éclairage sur la psychopathologie moderne », in Dufour V. (coordonné par) « Les surdoués. Grands déjà petits », Le Journal des psychologues, 219 : 36-40.
Dufour V., Lesourd S., 2004, Traces du rien, in Attaques du corps, Adolescence, N° 48, tome 22, Numéro 2, p. 273-280.
Dufour V., 2004, « Adolescence à l’ouvrage », in Le Journal des psychologues, 215 : 7-10.
Dufour V., 2002, « Transparence et confusion », in La Lettre de l’enfance et de l’adolescence, 48 : 49-55.
Dufour V., 2002, Intelligence et adaptation : les enfants intellectuellement surdoués en situation d’inadaptation, Thèse de doctorat en psychologie clinique, Université Paris-v (1997), Sillery (Québec), Éditions du Septentrion.
Dufour V., Lesourd S., Fourment M.-C., Rassial J.-J., 2001, « Pour une clinique de la banlieue : questions épistémologiques à la lecture psychanalytique des phénomènes sociaux », in Psychologie clinique, 11.
Dufour V. (sous la coordination de), 1999, Le Cahier des jeunes chercheurs en psychologie, préface Pierre Fédida, Revigny, Éditions Hommes et Perspectives & Paris, Dunod.
Dufour V., 1998, « Intelligence et adaptation. Les enfants intellectuellement surdoués en situation d’inadaptation », in Le Journal des psychologues, 154 : 52-53.
Dufour V., 1994, « Binet et la pédagogie », in Fraisse P. et Segui J. (sous la direction de), Les Origines de la psychologie scientifique : centième anniversaire de l’Année psychologique (1894-1994), Paris, Puf, pp. 163-172.

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