A propos de la journéee « Pas de zéro de conduite » l'importance du politique dans ses liens avec le travail scientifique notamment en Sciences Humaines.

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« J’ai peur de ta nature : Tu es trop plein du lait de la tendresse humaine »

Macbeth

Samedi 17 juin s’est tenu la journée organisée par le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » dont la pétition a recueilli plus de 180 000 signatures.

Cette journée était à la fois l’occasion de faire le point sur les effets de cette pétition auprès tant de l’INSERM et de son responsable M. Brechot que des pouvoirs publics dont il n’avait échappé à personne que l’étude INSERM avait permis d’asseoir « scientifiquement » la prétention à légiférer dans le domaine dit de la prévention précoce et ce, dans une confusion savamment entretenue entre dépistage et prévention.

La matinée, animée par Christine Bellas Cabane et Pierre Suesser tous deux pédiatres en PMI (Protection Maternelle et Infantile) et initiateurs de la pétition, était davantage tournée vers une approche théorique des questions soulevées alors que l’après-midi animée par Sylviane Giampino psychanalyste et fondatrice de l’Association nationale des Psychologues de la petite enfance et François Bourdillon Président de la Société Française de Santé Publique était consacrée à l’exposé et à la confrontation des pratiques de prévention en lien avec l’accueil très favorable qui avait été celui de la pétition par les non-professionnels.

Les organisateurs avaient par ailleurs voulu faire une place à ceux qui contestent le bien fondé de la pétition notamment le sociologue Alain Ehrenberg et Bruno Falissard Professeur de bio-statistique - Directeur de l'unité INSERM U669 et en effet leurs interventions suscitèrent dans l'assistance un sensible énervement ainsi qu‘un désir de réponse de la salle que le temps du débat n'apaisa que partiellement.

Roland Gori, dont l’intervention avait été particulièrement applaudie et dont on lira par ailleurs le contenu, fut ainsi la cible des attaques répétées d’Alain Ehrenberg. On ne s’en étonnera pas si l’on songe que c’est sur la validité même des arguments « scientifiques » utilisés par le rapport que portait sa critique. En les ramenant à leurs dimensions proprement idéologiques et publicitaires, en mettant en avant le fait que c’est l’argument d’autorité qui prévalait et non la démonstration, en renouvelant sa critique concernant la méthode de sélection des articles ayant fondé l’étude, R.Gori mettait directement en cause le fondement et la qualité du travail des chercheurs l’ayant signé et validé.

Malaise, souffrance ou névrose : la place exclue du sexuel.

Plusieurs intervenants ont insisté sur l’importance du vocabulaire tant celui que nous retrouvons au sein des rapports et circulaires officiels que celui véhiculé par la presse, qu’elle soit médicale ou « grand public ». Sans même nous en rendre compte nous finissons par adopter ainsi les postulats idéologiques et théoriques que les mots recouvrent. À force de parler en termes de comportements addictifs, délictueux, de souffrance, à force de généraliser pour ne pas cataloguer nous quittons le champ de la structure psychique dans ses composantes névrotiques, psychotiques ou pervers pour ne plus voir partout que des comportements. Outre toute la séméiologie psychiatrique hors DSM IV c’est la place du sexuel qui de ce fait disparaît y compris la sexualité infantile fondement de la pensée freudienne.

La science et l'idéologie

Relativisant les critiques faites aux conditions de réalisation de l'étude comme pouvant être adressée à n'importe laquelle des études faites dans le champ des Sciences Humaines, Bruno Fallissard a convenu que ce sont bien les 17 recommandations que faisaient problème et que si elles n'avaient pas été incluses dans l'étude, il n'aurait rien eu à redire quant à la validité de celle-ci. L'absence d'un sociologue ? oui c'est regrettable mais enfin cela n'aurait pas changé grand-chose au fond et cela ne retire pas sa validité au document, le Le diagnostic contestable de « trouble des conduites ?» Il y a des psychiatres qui utilisent ce diagnostic, les revues à « Comité de lecture » certes ce n'est pas un critère parfait, certes elles sont presque uniquement anglo-saxones mais c'est un critère quand même et l'on n'a pas mieux. La synthèse a-t-elle été bonne ? oui dans l'ensemble bien qu'étant un peu hétérogène. La Ritaline* ? elle est utilisée sur plus de 10 % des enfants aux USA et seulement dans un 1 à 2 %, la vérité en conclut-il doit se trouver entre les deux comme toujours, car il y a indéniablement des enfants qui vont mieux selon leur entourage et selon les médecins qui les soignent lorsqu'ils prennent ce produit. Etc…En cédant sur les critères scientifiques et sur la façon de valider les expérimentations ou les études, l’idéologie sous-jacente aux théories scientifiques transparaît aussitôt. C’est précisément ce qui a semble-t-il sauté aux yeux des signataires de la pétition et assuré son succès. Aujourd’hui comme hier le politique appuie son action sur les éléments de réflexion dont il dispose et s’en inspire pour justifier ses choix. La mise en place des PMI, l'approche éducative primant sur le tout répressif du jeune délinquant au sein de la circulaire de 1945, la présence de psychologues au sein de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, la politique de soin et de prévention développée au sein des CMMP et des CMP en lien avec la psychanalyse relevaient aussi de choix politiques. Faut-il au nom des dérives d’une société dite « libérale » en effacer tous les enseignements ?

Le Quebec encore ?

Pour ouvrir l’après-midi les organisateurs avaient choisi de donner la parole au Professeur Michel Parazelli de l’Université de Montréal. Son propos était de nous éclairer sur les effets concrets et pervers de la politique qu’on veut nous imposer. Les québécois ont, depuis plusieurs années, fait l’expérience d’une politique de détection des risques dont les items choisis renvoient classiquement à un système de fichage des populations socialement défavorisées, qu’il s’agit d’identifier puis d’éduquer grâce à la mise en place d’exercices parentaux et de fiches d‘apprentissage. La transmission intergénérationnelle est ainsi remplacée par un conditionnement normalisateur.

Dans ce dépistage prédictif se repère bien ce que l’orateur appelle une biologie de la pauvreté. Qui est pauvre et misérable donnera naissance à des enfants malades et délinquants. Il faut donc dépister les futurs délinquants en fichant les familles pauvres. On retrouve là les analyses « scientifiques » du XIXe siecle et leur « pathologie naturaliste de la misère ».

Après cette intervention Elisabeth Roudinesco présentée comme la fille de Jenny Aubry s’est elle-même revendiquée comme ayant été une enfant turbulente. Parlant de sa mère et du travail de prévention des carences de soins maternels chez les enfants hospitalisés ou déposés à l’Assistance Publique mis en œuvre après la guerre par cette dernière, elle a tenu à souligner à quel point cette action de soin et d’accueil de l’enfant se distinguait du dépistage proposé par le rapport INSERM.

Elle a ensuite insisté elle aussi sur la dimension politique du débat et ses enjeux essentiels.« de nombreux psychiatres n'ont pas été assez vigilants en France à l'encontre des TCC, parce qu'ils n'ont pas perçu l'idéologie politique qui était derrière, idéologie du conditionnement centré sur le double déni radical de la lutte des classes et de l'inconscient. « une idéologie qui met en cause subrepticement les fondements de nos libertés et de nos droits. Plusieurs orateurs ont présenté leurs institutions et l’orientation de leur pratique notamment Bernard Toboul pour les « Maisons vertes » dont il souligna l’apport comme brassage social et culturel, apport aussi quant à la prévention précoce non prédictive et non stigmatisante. Citant Macbeth il affirma préférer le lait de la tendresse humaine aux logiques pragmatistes dont on vante les mérites aujourd’hui. Solange Passaris représentant les associations de parents fit part de sa réaction scandalisée au rapport INSERM. Le professeur Gérard Schmitt, quant à lui, rappela à quel point les classifications DSM IV sont discutables dans la clinique, il évoqua le problème du barrage des publications françaises, pour enfin affirmer « le vrai problème pour les enfants reste celui de l’accès aux soins. »Pour conclure Jean-pierre Dubois Président de la Ligue des Droits de l’Homme a fait le lien avec les dispositions prévues par la Loi sur la prévention de la délinquance. La nouvelle place accordée au maire dans le dispositif et qui en fait le point central tant au niveau de la prévention que de la santé mentale conduit à confondre pouvoir exécutif et législatif. 

Rappelons en effet qu’il doit notamment être informé de toute intervention d'un professionnel au bénéfice d'une personne présentant des difficultés sociales.

le secret partagé est la règle de fonctionnement entre ces travailleurs sociaux, et le maire

- il doit être informé par l'inspecteur d'académie de la liste des élèves domiciliés dans son ressort pour lesquels un avertissement a été adressé (10),

- il met en place et préside un conseil pour les droits et devoirs des familles (6). Celui-ci peut adresser des recommandations à la famille (et en informer des tiers) (6), lui imposer un accompagnement éducatif à l’issu duquel les parents devront contractualiser des engagements (7), prononcer des rappels à l’ordre (9), mettre sous tutelle les prestations familiales (7) etc..

- il doit être informé de toute sortie d'essai d'un malade psychiatrique sur son ressort (22) et peut désormais prononcer des hospitalisations d’office avec un simple avis médical (25),

Toute une série de mesures dites de proximité mais dont l’impact sur la vie privée, le secret professionnel, l’approche des difficultés des enfants et des adolescents est à l’unissons des dérives de l’action publique telle qu’elle a été dénoncée tout au long de la journée.