La Chine de la psychanalyse

Philippe Porret

Campagne Première. 2008. 320 p.

L’improbable rencontre entre un chinois – Huo Datong bredouillant quelques mots de français et un psychanalyste Michel Guibal curieux de nature mais ne comprenant pas un mot de chinois aurait-elle été le mouvement d’aile de papillon entraînant des changements profonds dans les rapports compliqués de la Chine et de l’occident ? C’est en quelque sorte l’espoir caressé par quelques psychanalystes lacaniens. Philippe Porret qui participe lui-même de façon multiple à cette aventure nous fourni les éléments dont nous avons besoin pour nous forger une opinion sur cette intéressante question.

L’histoire des rapports entre la Chine et l’occident sert en effet de toile de fond à ceux de la psychanalyse avec l’empire du milieu. Rapports nécessairement complexes et heureusement résumés par Philippe Porret. Car l’un ne va pas sans l’autre. Autrement dit on ne saurait séparer la question des rapports de la psychanalyse avec la Chine sans rappeler les principales étapes des successions d’ouvertures et de fermetures qui se sont succédées au cours du siècle passé. Fermeture radicale des frontières entre 1955 et 1975 période durant laquelle eu lieu la Révolution Culturelle (1966-1969). Période encadrée par deux temps d’ouverture relative entre 1910 et 1940 tout d’abord, puis entre 1980 et aujourd’hui.

Après avoir retracé les péripéties des premiers- chinois ou « étrangers » -, ayant transmis au cours de la première période quelque chose de leur connaissance de la psychanalyse, énuméré les minces traductions disponibles pour quelques-uns de l’œuvre de Freud, analysé les commentaires plus ou moins avisés à propos de celle-ci, force est de souligner l’impression d’ébauche sans lendemain que ce récit nous laisse ce dont convient d’ailleurs l’auteur.

Vient ensuite la période des bouleversements liés à la guerre civile, l’invasion japonaise, l’instauration du communisme et de la révolution culturelle dont les bouleversements sont encore présents chez ceux qui les ont vécu ainsi que chez leurs descendants. Pour comprendre les bouleversements engendrés au cours du siècle passé dans le paysage de la Chine contemporaine un ouvrage même s’il se veut pédagogique peine évidemment à y satisfaire et c’est bien-là le sentiment de tous ceux qui souhaitent écrire sur la Chine pour le grand public. Complexité et immensité semblent en être les maître mots. Cependant, cette période de fermeture, même si l’on n’en saisi pas d’emblée tous les détours ni toute les implications apparaît nettement comme une flaque de sang sur la pensée chinoise.

Avant de nous initier au paysage actuel Philippe Porret fait un détour du côté de Lacan puisqu’aussi bien c’est par la filiation lacanienne que nous sommes entrés dans cette histoire. Lacan s’est intéressé à la Chine et au chinois. Il a même pris des cours de chinois entre 1943 et 1945. En 1974 il est même tenté d’accompagner Philippe Solers et le groupe Tel Quel en Chine. Il s’est intéressé aux idéogrammes et à la langue chinoise bien entendu mais Philippe Porret nous met en garde contre l’approche faite par Lacan. Même s’il a pu bénéficier au départ de l’éclairage de François Cheng contrairement à d’autres domaines dans lesquels il s’est avancé, Lacan n’a pas eu pour lui porter la contradiction les lanternes que d’autres ont pu lui fournir dans certains des domaines dans lesquels il s’est initié en mathématique ou en linguistique par exemple. Il en résulte pour l’auteur une position assez critique sur les développements « chinois » de la théorie lacanienne.

Si l’on suit Philippe Porret la psychanalyse si elle est loin de dominer le paysage actuel n’est cependant pas absente ni des cercles universitaires ni de ceux en charge des soins psychiques. Trois organismes servent de point d’appui à cette pénétration. Le centre universitaire de Chengdu dont la rencontre entre nos deux personnages de départ Huo Datong et Michel Guibal est la conséquence, la mise en place à Pékin et Shanghai par un groupe germanique- l’académie germano chinoise pour la psychothérapie- d’un centre de formation accéléré en lien avec l’International Psychoanalytic Association (IPA) et enfin d’un groupe jungien installé à Canton. S’y ajoute une fondation accueillant les enfants autistes et psychotiques soutenus par des subventions notamment américaines et dans lequel un travail surprenant et fécond semble s’être mis en place grâce à la rencontre encore une fois productive de Michel Guibal avec ses cadres et sa directrice et dont le livre nous raconte quelques épisodes.

Dans ce livre il me semble que l’on apprend beaucoup si l’on ne sait rien de cette aventure, et que l’on ne peut que considérer avec sympathie ceux qui s’y risquent. On ne s’étonnera pas que les chinois veuillent dans un premier temps chiniser la psychanalyse et qu’ils voient le plus souvent celle-ci comme la pensée de l’« étranger » aux intentions plus ou moins claires. Ni que les analystes français ou occidentaux y soient perçus d’abord comme des experts. N’est-ce pas le même parcours qu’à suivi en France l’accueil de la science « boche » si étrangère à la « pensée française » ? Et du côté des psychanalystes français on s’autorisera à poser la question. Cette démarche n’est-elle pas pour eux une façon de « dépenser la psychanalyse » en la pratiquant dans ces conditions extrêmes (ou en l’enseignant) pour peut-être la sortir d’une certaine impasse dans laquelle elle semble parfois s’enfoncer.

Quoi qu’il en soit on sort plus instruit après la lecture de ce livre clair et intéressant et invité aussi à puiser dans les informations que nous fournissent aussi bien les ouvrages nombreux qui abordent la question que le très intéressant site web lacanchine (www.lacanchine.com) qui s’enrichit chaque jour de nouvelles données.

LLV