De l'amour !

de L’amour !

 

La dernière émission d’Alain Finkielkraut « Répliques » avait pour thème l’amour. Je trouve souvent de l’intérêt à cette émission qui donne une place affirmée au débat.

 

Deux femmes confrontaient « leur » version de l’amour. La première plutôt véhémente, auteur d’un blog intitulé « les couilles sur la table » en tenait pour la statistique et les données sociologiques. Elle voyait dans la lutte contre les meurtres des femmes par leur conjoint ou leur amant le principe même de toute lutte visant à la disparition de la violence entre les sexes ou plutôt de la violence des hommes envers les femmes. La seconde et, sans surprise avec le soutien d’Alain Finkielkraut, se référait plutôt à la littérature et aux mille et un détours que le sentiment amoureux peut prendre au cours de la vie.[1]

 

Un psychanalyste, s’il ne peut négliger la dimension sociologique et participer en tant que citoyen à une évolution positive des inégalités existantes est certainement conduit à porter davantage son attention sur ce que la littérature autant que les expériences vécues par ses patients peuvent lui apporter et en ce domaine les surprises ne manquent pas. Le constat est cependant sans appel : la violence est une affaire également partagée entre les hommes et les femmes même si la violence physique est de fait l’affaire des hommes. Et Freud ne s’y trompe pas qui voit cette violence au cœur même de l’être humain.

 

J’en serai resté là si au décours de cet affrontement il n’avait été question des contes de fées et en particulier de celui de « La belle au bois dormant » dont j’appris que certaines parmi les « néoféministes » considéraient le réveil comme un viol et le fait de raconter cette histoire aux enfants une forme de modélisation des relations sexuelles entre les hommes et les femmes.

Dans un premier temps cette interprétation m’a interpellé et je me suis replongé dans le livre que Bruno Bettelheim a consacré aux contes de fées[2]. Il traite évidemment de beaucoup de contes et ne néglige pas celui de la Belle au bois dormant. Il y voit une illustration du temps de latence nécessaire à la maturation affective de l’adolescent – garçon et fille ce que Dolto appelle la période de la mue du Homard-et répond par avance à la critique que je venais d’entendre, même s’il ne néglige pas les différentes versions de l’histoire dans lesquelles initialement c’est bien non d’un baiser mais à la suite un rapport sexuel non consenti – voir ayant pour conséquence la naissance de jumeaux que s’éveille la Belle.

 

Il écrit ainsi : « Dans les contes de fées, les personnages des deux sexes apparaissent dans les mêmes rôles ; Dans la Belle au bois dormant, c’est le prince qui observe la belle endormie, mais dans Cupidon et psyché, et dans les nombreux contes qui en dérivent, c’est Psyché qui surprend Cupidon dans son sommeil, et qui, comme le prince, s’émerveille de cette beauté qui lui appartient »

 

Pour ma part ce qui me frappe plutôt c’est la dimension passive qui est ici attribuée à la Belle. Elle n’a aucun désir et à l’instar de la Vierge (Bettelheim souligne l’influence de la religion catholique sur les contes) n’éprouve aucun plaisir lors de la relation sexuelle (elle ne pêche donc pas) . Cette dimension de la femme comme n’ayant aucun désir sexuel et aucun plaisir sexuel a profondément marqué les esprits cela ne fait aucun doute. Elle ne fait que subir le désir de l’homme l’acceptant comme une fatalité pour seul but de garder le mari qui sinon irait voir ailleurs et donc pêcherait et aussi , bien entendu, de faire d’elle une mère. C’est bien me semble-t-il cette conception qui est au cœur du conte et il me semble qu’aujourd’hui cette non-passivité, cette affirmation d’un désir sexuel actif, du plaisir recherché lors de la relation sexuelle est pour les femmes est la véritable révolution pour les hommes comme pour les femmes .  Sans doute alors peut-on penser que c’est cet aspect des choses qui peut être présent comme un sous texte du conte et non celui d’une illustration de ce qui est aujourd’hui une caricature du comportement supposé des hommes envers les femmes, boucs émissaires facile des transformations en cours dans les sociétés occidentales.

Laurent Le Vaguerèse

 

[1] « Faut-il réinventer l’amour » https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/faut-il-reinventer-l-amour-3374200

[2] Bruno Bettelheim. Collection Bouquin  PP 338 et suivantes. Ce livre rassemble de nombreux texte de Bruno Bettelheim il est présenté par Danièle Lévy de façon remarquable ; On lira tout particulièrement son introduction sur « les deux vies du Dr B »

Comments (2)

Portrait de Le Vaguerèse Laurent

je reçois d'Alain Abelhauser ce commentaire. je rappelle que vous pouvez commenter ces articles directemeny si vous êtes inscrits sur le site; ça m'économise du temps et c'est plus sympa.

Cher Laurent,

 

Merci pour ce billet sur « l’amour » et « la belle au bois dormant », et ton analyse que je partage volontiers. J’y aurais bien ajouté ces deux dimensions que sont, d’une part, la mort, ou la « fausse mort » (la belle est plongée dans un sommeil s’apparentant à une forme de mort), d’autre part la menace, la peur, voire l’angoisse, générées par le féminin et le sexe féminin (le « vagina dentata »), avec cette indication que le sommeil, l’inconscience ou la mort de la belle permettraient peut-être de contourner cette menace et cette angoisse.

 

Les occurrences dans les mythes, les contes et la littérature en sont nombreuses. Freud s’y réfère à l’occasion (La tête de Méduse, Baubo). Et, en toute immodestie, j’y ai consacré un chapitre de Mal de femme. (Tu sais ? Ce bouquin qu'un certain Prix Œdipe a bien voulu reconnaître !). Je me permets de joindre à ce mot les extraits qui s’y rapportent directement en évoquant, précisément, l’une des premières versions de La belle au bois dormant. Et qui ouvrent de fait — horribile dictu — sur la nécrophilie ! (Mal de femme, (Paris, Seuil, 2013), chapitre « La fausse morte », p. 133-140).

 

Dans le contexte actuel, cela éclaire peut-être cette forme de malentendu entre sexes — de « rapport sexuel qui n’existe » que dans le malentendu — où l’accent mis actuellement sur l’accusation de viol ne fait jamais que dissimuler en partie le fait que ce viol est, pour certains, une façon de répondre (de croire répondre) à ce qu’ils ressentent comme la menace (castratrice) du féminin.

 

(Si tu veux faire partager ma réaction à ton billet en la transférant sur ton site, j’en suis bien sûr d’accord.)

 

Toues mes amitiés.

 

Alain

Merci pour ce texte intéressant, qui permet de revisiter ses propres impressions d'enfant autour des contes.

C'est en effet une interprétation particulière que de supposer la belle endormie violée... Je me souviens que ce conte me laissait plutôt dans l'énigme du rapport sexuel : un baiser qui réveille? Ah bon? qui réveille, quoi... sinon le désir sexuel.  Mais qui dit que la Belle n'est pas présente à ce moment crucial de l'acte? Acte censuré sinon le conte perdrait de sa magie. Il me semble que de sous-entendre le viol absolument s'énonce au détriment de la dramaturgie du conte. On ne montre pas tout.  C'est intrigant, sûrement, pas traumatisant. Et de mes souvenirs de petite fille le sexuel était encore lié à l'amour! Le prince ne tombait-il pas amoureux de la Belle?

Mais si les petites filles ne rêvent plus, alors!...

 

Valérie RODET