Interview de Jacques Sedat à l’occasion de la publication des œuvres de François Perrier.

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Oedipe : Mon cher Jacques, nous avons évoqué ensemble notre première rencontre au début des années 1970, et parmi les figures qui nous ont guidés, toi et moi, au cours de ces années, François Perrier est sans aucun doute l’une des plus marquantes. Pour toi, bien davantage encore, puisque ce n’est pas un mystère, il fut ton analyste et ton contrôleur, vous aviez des relations amicales, et tu te trouves responsable de la publication de ses œuvres. Un certain nombre de textes de lui ont été publiés soit de son vivant, soit après sa mort en 1990. En quoi cette publication est-elle différente, en quoi est-elle nécessaire ?

J.Sédat : Tout d’abord, l’ensemble des ouvrages publiés antérieurement sont épuisés, et de nombreux textes étaient dispersés dans diverses publications. J’ai donc rassemblé ici en deux volumes l’ensemble de son œuvre, à l’exception des textes collectifs et des correspondances. Le premier volume reprend les trois séminaires : « l’Amour » (1970-71), « Les corps malades du signifiant » (1971-72) et « Le trans-subjectal » (1973-1974). Le deuxième volume contient l’essentiel des articles de François Perrier, ainsi qu’une bibliographie complète. Ne sont pas repris son intervention au colloque de Bonneval sur « L’inconscient », qui fait partie d’un ouvrage que j’ai republié aux Introuvables de la psychanalyse, et le rapport rédigé avec Granoff sur « Le Féminin », pour le congrès d’Amsterdam, en 1960, qui a été publié chez Aubier.

Oedipe : Pourquoi ne pas avoir publié les correspondances ? Le temps n’est-il pas venu de rendre publique la partie non anecdotique des échanges entre les psychanalystes ? Cela permettrait de mieux comprendre les enjeux cachés, les ressorts intimes, les débats qui ont en quelque sorte fabriqué la pensée des protagonistes. Je pense notamment aux échanges avec toi, Lacan, Leclaire, Granoff, Dolto, Israël, et d’autres.

J.Sédat : Ce serait l’objet d’un autre ouvrage qui situerait son œuvre dans le mouvement psychanalytique. Tout cela demanderait beaucoup de temps, mais l’un de mes projets est de publier ses correspondances en annexe à une présentation de son œuvre.

Oedipe : C’est un problème pour ceux qui n’ont pas vécu cette période-là. Lire les textes, c’est lire des publications séparées, alors que l’on sait bien que leur pensée s’est forgée dans l’échange et la confrontation jusqu’à aboutir parfois à ne plus savoir qui en est l’auteur ou l’initiateur.

J.Sédat : Le texte de présentation de Granoff traduit bien cette proximité.

Oedipe : F.Perrier a participé avec Granoff et Leclaire à ce que l’on a appellé la « Troïka » . L’essentiel a été dit sur ce moment de discussion avec les représentants de l’IPA, après la première scission d’avec la Société psychanalytique de Paris, pour créer la Société Française de Psychanalyse. Rappelons pour ceux qui l’ignoreraient que Lacan, s’il souhaitait se démarquer de la SPP, ne souhaitait pas quitter l’Association Psychanalytique Internationale. Quand il s’était aperçu que son départ entraînait de facto l’exclusion de l’IPA, il avait engagé des discussions avec les instances internationales, et ces discussions avaient été menées par la dite Troïka.

J.Sédat : Ce qui n’a pas été totalement dévoilé, c’est le rôle que chacun a joué et ce que chacun a pu dire. De plus, de nombreux documents dorment encore dans les tiroirs de la Société Britannique. Au-delà de cela, il faut voir que Perrier commence son analyse, en 1951, avec Maurice Bouvet et se trouve pris dans les évènements marquants de l’époque, notamment la révolte des élèves contre les conditions d’enseignement à l’Institut de Psychanalyse à laquelle il participe. Il devient très vite, ensuite, membre titulaire de la Société Française de Psychanalyse.

Œdipe : Un troisième événement tourne encore autour de l’institution analytique et des enjeux de transmission. Cela concerne sa séparation d’avec Lacan, en 1969, la création du Quatrième Groupe avec Piera Aulagnier et Jean-Paul Valabrega, puis son départ de celui-ci. Peux-tu nous résumer les enjeux qui l’ont décidé à ces ruptures ?

J.Sédat : Tout d’abord, s’agissant des liens entre Perrier et Lacan il faut rappeler deux temps forts. Le premier a eu lieu lors de la mise en scène théâtrale qui a vu la naissance de l’École Freudienne de Paris cela s’est déroulé dans le salon très spacieux de Perrier avenue de l’Observatoire. Lacan avait enregistré sa déclaration sur un magnétophone et il n’est apparu qu’une fois que l’enregistrement eût été écouté par l’assistance, en son absence. C’est également dans l’appartement de Perrier que s’est déroulée la création du Quatrième Groupe. Il faut bien voir l’étroitesse des liens qui unissaient tous les protagonistes. Perrier fut d’abord en contrôle, puis en analyse avec Lacan (entre 1963 et 1965), analyse qui se poursuivra par moments, même après la rupture de 1969 ! François Perrier et sa première épouse de Perrier, Irène Roubleff, passaient de nombreux week-ends à Guitrancourt, dans la propriété des Lacan, avec Serge et Geneviève Leclaire également. Au bout du compte, ils étaient tout le temps ensemble, dans une ambiance qui rappelait un peu la Vienne des débuts du freudisme, dans une sorte de passion de la psychanalyse. La conception de Perrier concernant la fin de l’analyse est qu’il n’y en a pas, qu’elle se poursuit toujours, d’abord par le contrôle, et ensuite par la pratique même de la psychanalyse. C’est donc autour de la question de la Passe et de la formalisation, à travers ce dispositif d’une théorie de la fin de la cure, que le différend s’est noué entre eux.

Oedipe : Et la rupture avec le Quatrième groupe en 1973 ?

J.Sédat : Piera Aulagnier avait refusé de publier dans Topique le texte intitulé « Thanatol ». Conrad Stein le publiera dans Études Freudiennes. C’est ce refus qui a entraîné le départ de Perrier.

Oedipe : Que contient ce texte et pourquoi a-t-il été refusé ? C’était un coming out ?

J.Sédat : Non, son texte autobiographique à ce sujet, c’est plutôt le livre intitulé « L’alcool au singulier », alors que «Thanatol» est davantage un texte théorique sur l’aspect mortifère de l’alcoolisme.

Oedipe : Comment qualifierais-tu cet alcoolisme : angoisse ? dépression ? addiction ?

J. Sédat : Il m’est difficile d’en dire davantage, sinon qu’à mon sens, il s’agit plutôt d’un alcoolisme mondain, festif, du deuil interminable. Cela commençait à la « Closerie des Lilas » où, excellent pianiste, il prenait place au piano. La soirée se poursuivait parfois chez lui, tard dans la nuit, avec des amis, comme une sorte de défi d’enfant tout puissant, sans limites, une réaction de « nourrisson savant ».

Oedipe : Peut-être y avait-il aussi quelque chose de la fusion avec l’autre et de l’impossible séparation, ce que viendrait confirmer d’autres points que nous avons évoqués de sa biographie.

J’ai été amusé par la remarque de Granoff dans son introduction, qui épingle Perrier de deux qualités : Français et psychiatre.

J.Sédat : Il faut dire que Granoff était d’origine russe, et Leclaire, de par ses origines alsaciennes, était un familier de la langue allemande. Ce n’était pas du tout le cas de Perrier, ni de Lacan d’ailleurs. En effet, par leurs origines, tous deux étaient très représentatifs d’un certain esprit « français », fort étranger aux langues russe et allemande. Son père était journaliste et sa mère professeur de piano. Il vivait dans la langue française, et par ailleurs, ce n’était pas un voyageur curieux d’explorer le monde.

Concernant la psychiatrie, il disait que le diagnostic du psychiatre passe par le regard, alors que celui du psychanalyste passe par l’oreille. Il était capable de combiner les deux, conscient qu’il y avait une clinique psychiatrique et une clinique psychanalytique. C’est le professeur Jean Delay qui fut son maître, et il s’inspire aussi du travail de Clérambault, ce grand visuel du diagnostic psychiatrique.

Oedipe : Je crois qu’il est extrêmement important de souligner que c’est toute cette génération qui est alors en dialogue avec la psychiatrie (beaucoup ont été internes chez Jean Delay ou à Sainte-Anne) et que ce n’est que lorsque la psychiatrie cesse d’être une psychiatrie relationnelle que les ponts sont coupés. La génération post–soixante huit va vouer la psychiatrie aux gémonies et ce, contre l’avis de Lacan.

J.Sédat : Oui, en effet, Lacan n’était absolument pas sur cette position d’opposer l’un à l’autre.

Œdipe : On a parfois rapproché le couple Lacan/Perrier du couple Freud/ Ferenczi. Penses-tu que ce rapprochement soit pertinent ?

J. Sédat : Freud était fasciné par l’inventivité de Ferenczi. Il avait en quelque sorte renoncé à aborder la psychose. Dans la lettre qu’il adresse au fondateur de la « Maison jaune » à Budapest, Istvan Holls, Freud montre sa défiance, voire sa peur du psychotique qu’il trouve « antipathique » et incapable de transfert. Au contraire, Lacan s’intéresse à la psychose dès sa thèse sur la paranoïa. On ne peut donc pas parler de symétrie, mais d’une forme de fascination réciproque. Lacan admirait l’inventivité de Perrier et Perrier était fasciné par la culture de Lacan.

Oedipe : Peut-être peut-on prendre les choses en parlant de leur rapport au savoir dans des positions assez opposées. Lacan, surtout à la fin de sa vie, constitue un savoir formalisé - c’est le Lacan logicien- alors qu’au fond, rien n’était plus étranger pour Perrier que cette ambition.

J.Sédat : On peut noter un changement dans les registres du savoir chez Lacan en rapport avec les lieux où il tient son séminaire et à l’auditoire qui y assiste. À Sainte-Anne, il parle devant un public restreint, composé essentiellement de ses élèves et de quelques psychiatres. Rue d’Ulm, en 1964, il s’adresse à des philosophes et à l’élite intellectuelle. À partir de 1968, à la Faculté de Droit, rue Saint-Jacques, c’est encore un autre public plus large, plus divers, composé de gauchistes, de personnalités comme Deleuze et Guattari, et de jeunes psychiatres ou psychologues. Il y a chez Lacan un mouvement qui tend à autonomiser le savoir de la clinique psychanalytique. Un savoir qui tiendrait par lui-même, et c’est ainsi que Perrier entendait Lacan. Pour sa part, Perrier marquait une profonde différence par rapport à cette autonomisation de la théorie. Pendant les séances, l’analyste ne théorise pas. Au contraire, il se déterritorialise de ses propres positions subjectives pour « se déplacer » dans le transfert « selon les besoins du patient », pour reprendre l’heureuse expression de Freud. Perrier le dit à sa façon : « l’analyste n’est ni un archéologue du savoir ni un logicien », il doit être capable de « rester au bord du puits ».

Oedipe : Pour conclure en quelques mots, qu’est-ce qui, dans l’ouvrage que tu publies, est susceptible d’intéresser un jeune psychiatre d’aujourd’hui ou un jeune analyste ?

J. Sédat : Je pense qu’il pourra s’instruire à partir du travail de Perrier concernant l’abord de la psychose, notamment un texte très court de 1951, absolument génial. Ses textes sur l’hypochondrie et sur l’hystérie sont devenus des classiques. Perrier était un grand clinicien, et à l’époque où la psychiatrie était déjà remise en question, il situait la psychiatrie « entre la médecine qui cherche à guérir et la psychanalyse qui cherche à entendre ». Lire ses textes, c’est donc découvrir une pensée actuelle, à la fois psychanalytique et psychiatrique. Ce ne peut qu’intéresser les jeunes cliniciens et nourrir leur réflexion.

Une journée est organisée le samedi 31 mai 2008 par l'Association internationale d'Histoire de la Psychanalyse. au 100 rue de la santé Paris autour de l'oeuvre de François perrier. Info dans la page "congrès"

Le service Delay avec ses internes Perrier, Smirnoff,Leclaire etc.

Service du Pr Jean  Delay