Double-Issue de Désirée Boillot

double issue

Double issue, Désirée Boillot (Zonaires éditions : http://www.zonaires.com , 12 euros, 119 p)

L’amère tension du manque

Le mythe de Cendrillon réactivé ? C’est bien le moins pour une telle figure, en attente éternelle de la reconnaissance d’un regard… Double issue, c’est le récit d’une jeune déshéritée, une « desdichada » que tout prédestinait au bonheur : son intelligence, sa curiosité des choses de la vie, son goût pour la rêverie et son amour immense des livres. De la déshéritée elle a toutes les qualités : du regret de l’enfance perdue à la douceur nostalgique d’un amour pour le père défunt, de la tendresse déchirante pour une mère obligée de se mettre en quatre pour l’éduquer à l’admiration sans faille pour l’amie au nom de fleur et de ville italienne : « Florence »…

Son prénom à elle, c’est « Arielle ». Un prénom aux consonances aériennes, légères, à la fois comme l’ « air » et comme « elle ». Ce qui fait : « elle air »… « elle erre » ? C’est bien vers la Méditerranée heureuse que ses errances imaginaires entraînent par exemple les rêves de notre « desdichada ». En l’occurrence vers Palerme, patrie lointaine du clan maternel que la mère devra rejoindre au cours du récit à la faveur d’un coup fâcheux du hasard. Laissant sa petite Arielle aux prises avec le monstre – la « tante Thérèse » -, la mère bien aimée abandonne sa fille aux serres d’une véritable harpie, acariâtre, jalouse et avare, qui réactualise la figure de la marâtre des contes. Entretemps d’autres prises – de bec, de risques, mais surtout de mesures radicales, définitives et sans appel – auront été assumées par cette Cendrillon d’un nouveau genre qui, décidément, n’a pas froid aux yeux.

Ce qui est beau ici, c’est le miroitement des figures féminines dont le récit est le prisme. Sommes-nous bien dans une nouvelle version de Cendrillon ? Ou bien dans un « Pays des Merveilles » qui serait comme le retournement maudit d’une réalité perdue dont le chemin passe par l’exploration d’une cave habitée par les rats ? Car il y a aussi, chez l’Arielle de Double issue, de Désirée Boillot, un peu d’Alice, qui va de découverte en épouvante mais sait si bien, finalement, se rire des monstres… Et il y a, enfin, une « fille du feu », qui regarde vers le volcan au loin, attendant l’éruption, mais qui se montrera capable de la provoquer. Double de l’ « Octavie » nervalienne qui ne peut, en guise d’amour, que s’attacher à la figure tyrannique d’un vieillard malade et impotent qui requiert sans cesse ses soins vigilants, « Arielle » est surtout en effet un prénom auquel il manque, durant tout le récit, un nom : le nom du père, évanoui dans les limbes profonds de la mort et de l’oubli , mais pourtant si présent dans l’amère tension du manque qu’il suscite, et dont le récit se nourrit jusqu’à la déflagration réparatrice.

Eliane Thépot