Confiteor de Jaume Cabré

confiteor

La faute du violon

Le livre de Jaume Cabré, Confiteor a du volume, fait volume, règle son volume au son de ce violon dont l’écho traverse la superposition d’au moins cinq cent ans d’histoire : de l’Inquisition à la solution finale, de la vie cloitrée des monastères au camp d’extermination d’Auschwitz. Là où on meurt par le feu ou par les gaz.

Certes, beaucoup de personnages de ce roman ont joué de cet instrument mais c’est plutôt lui qui les a joués, trompés, abusés. C’est le violon lui-même qui les a instrumentalisés.

«Ce violon n'est pas à moi, c'est moi qui est à lui. C'est toi qui appartiens au violon.»

Sa valeur de jouissance s’avère multiple : à l’oreille, se révèle la clarté de sa résonance, au toucher, se caresse la finesse et la souplesse du bois (peut-être volé dans une forêt) tandis que le nez peut en renifler la subtilité des essences. Il est aussi et surtout, au-delà de tout usage musical ou par-delà toute sensorialité, valeur d’échange, objet de transactions, convoitises, chantages spoliations ou fausses expertises. Les Juifs déportés ou fuyant l’abomination ont besoin d’argent pour survivre et sont donc par là même une proie facile pour ces prédateurs en tout genre. Et du reste, cet instrument garde la marque d’une trace de sang qui éclaboussera aussi la suite de son histoire. C’est le souvenir d’une rixe sanglante et meurtrière entre deux rivaux qui souhaitaient se l’approprier. L’arbre généalogique de son «bois» est branché sur des scènes de vol ou de viol. Un nazi qui a violé une jeune fille juive dans un camp de concentration est l’objet de chantage d’un supérieur (il le dénoncera) qui lui confisque la possession de cet objet.

Ce «vial» appartient à un propriétaire dont le patronyme (Ardèvol) est encore contaminé par cette sonorité. Le fils Adria pourra-t-il réparer les escroqueries de son père Félix qui ne vivait que pour le plaisir impératif des collections et la recherche de pièces rares ? D’autant que la mort du père fut entachée et causée par une méprise funeste. Dans l’étui, à ce Storioni de valeur avait été substitué le violon d’étude ce qui ne fit que déclencher la colère meurtrière de l’acquéreur qui voulait le récupérer. Et lorsqu’Adria reçoit un survivant des camps (accablé par le remords et la faute d’avoir survécu et de ne pas avoir protégé ses enfants) qui veut reprendre ce violon pris à sa petite fille par les nazis, ce n’est encore qu’un malentendu tragique…Il s’agissait en fait d’un comédien imitant le ressassement inextinguible de ce Juif.

Confiteor.je confesse mes fautes. Pardon ? Oui mais…pardon, peut-on tout pardonner, réparer ? Même un confesseur (en principe ouvert à toute contrition des péchés) meurt en écoutant l’horreur des crimes commis par un dignitaire du III ème Reich. Ce survivant juif s’épuise littéralement dans une rumination interminable et cet ancien dignitaire nazi qui faisait ses expériences monstreuses sur des enfants, cherche son salut dans le retrait de la vie monacale puis s’engage dans une mission humanitaire en Afrique pour sauver des nourrissons atteints de grave maladie. Mais l’histoire est impitoyable, il est rattrapé par son passé quand un tueur à gage le descend froidement.

Adria Ardivol, de son côté, finira dans une extrême confusion mentale, (il ne résoudra la question vertigineuse du Mal) comme s’il était responsable de sa descendance et de la cascade d’événements qu’elle a entraînée.

Naître de cette famille était une erreur impardonnable

L’écriture du roman fait passer l’opacité et l’énigme de cet enchaînement du Mal

Le poème hermétique est l'écho du conflit non résolu