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Queer psychanalyse
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Clinique mineure et déconstructions du genre
La visée des théories queer est éthique : rendre un plus grand nombre de vies vivables. A l'heure du triomphe des thérapies cognitivo-comportementalistes et des transformations profondes de la famille, les psychanalystes peuvent-ils se servir de ces avancées pour réinventer une clinique après l'Œdipe? Poser cette question, c'est se demander en quoi et pourquoi le travail de Judith Butler, Eve Kosofsky Sedgwick, Paul B. Preciado et d'une multitude d'autres théoriciennes et théoriciens, dé-fait la psychanalyse. C'est s'offrir des pistes concrètes pour revenir sur des formules et des évidences cliniques parfois trop vite tenues pour acquises. C'est resituer la praxis analytique à la croisée de la théorie et du politique. En retour, c'est mettre les concepts des queer face à la tâche impossible qui anime l'analyste, les confronter au réel singulier qui prévaut dans chaque cure. Il ne s'agit donc pas de transformer la pratique en philosophie ou de faire des dé-constructions du genre une clinique, mais de démontrer l'utilité de l'une et l'acuité de l'autre pour rencontrer les minorités en tous genres.
Queer Psychanalyse
Clinique mineure et déconstructions du genre
Fabrice Bourlez
Éditions Hermann, Collection Psychanalyse en questions, 316p., 25 euros
Paris, octobre 2018
Fabrice Bourlez : « Penser pour inclure au lieu de juger »
Psychanalyste d'origine belge, Fabrice Bourlez est docteur en philosophie (Université de Lille III et Università de Pisa, Italie), enseignant à l'École supérieure d'art et de design de Reims, chargé de cours à Sciences Po Paris, il coordonne le pôle genre et féminisme pour nonfiction.fr. Il est également l'auteur du très beau Pulsions pasoliniennes (Les presses du réel, 2015) et co-dirige la collection entre art et philosophie aux Presses Universitaires de Reims.
Dans son dernier ouvrage, Queer Psychanalyse, Clinique mineure et déconstructions du genre (Éditions Hermann), en librairie depuis le 17 octobre 2018, il apporte un souffle nouveau à la praxis psychanalytique en la confrontant aux différents travaux de théoriciens queer comme ceux de Judith Butler, Ève Kosofsky Sedwick, Paul B. Preciado et tant d'autres. "Je m'efforce de réfléchir à l'incidence des questionnements féministes, post-féministes et des théories du genre au sein même de la discipline analytique".
Dans les années soixante et soixante-dix, le discours psychanalytique était le lieu de la subversion, rappelons-nous le mal que s’est donné Lacan pour que la psychanalyse ne soit pas un métier mais une subversion, le psychanalyste scandalisait la société. De nos jours on pourrait dire que c'est le psychanalyste qui se dit scandalisé par autant de changements au sein de la société. Sont-ils devenus réactionnaires, nostalgiques de l'ordre symbolique, des petits-bourgeois ?
Heureusement il reste encore des psychanalystes pour nous rappeler la véritable dimension révolutionnaire de la découverte freudienne. Fabrice Bourlez est de ceux-là. Ancien militant, homosexuel assumé, il va à l'encontre de ces praticiens de l'inconscient qui en s'appuyant sur leurs propres préjugés, contribuent à ternir l'image de la psychanalyse, la faisant passer pour normative.
Il propose de commencer par quitter le confort du cabinet pour "faire un pas vers le Dehors", au sens foucaldien, pour entendre et accueillir les revendications minoritaires de celles et ceux que l'on s'efforcerait de ne pas voir, les déviants, non conformes, les marginaux. "Il me semble que la singularité de mon désir peut difficilement se départir de mon orientation sexuelle. Celle-ci me donne peut-être un petit avantage pour entendre la stigmatisation, la discrimination, la haine".
Le philosophe et psychanalyste, cherche à redonner du souffle à la pensée, à la rendre moins appesantie par le discours normatif stigmatisant. "En matière de genres et de sexualités, nos manières de vivre, de souffrir et de nous aimer, ne cessent pas d'évoluer" ... "des barrières sautent, de plus en plus, le cadre de la morale chrétienne, victorienne, petite-bourgeoise, hétérosexuelle éclate au profit d'une panoplie de présentations de soi, de comportements, d'orientations diverses et variées".
Fabrice Bourlez ose écrire un livre indubitablement engagé et à contre-courant du psychanalytiquement correct. "J'écris de tout mon cœur, de ma place d'homosexuel, de psychanalyste, d'homme désirant". A l'âge de 18 ans, après la mort de son père, au moment même où il entame des études de philosophie, son frère ainé lui fait découvrir L'Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari. "Ce livre m'a permis de mener la chasse aux idoles, tant dans le champ du savoir que dans ma vie privée, j'y ai trouvé de quoi alimenter ma colère contre les universalismes, les paternalismes, les familialismes et les ratages moralisateurs qu'ils impliquent".
Queer Psychanalyse ? Assurément, car si du queer il y a dans la psychanalyse c'est que depuis son début, la pratique freudienne est aux prises avec une sexualité non biologique, perverse polymorphe. "Il y a du queer dans la psychanalyse, de l'inquiétant, du bizarre, de l'insoumis, de la fierté. Il y a du queer dans la libre association, dans les rêves, dans chacune des manières dont nos corps jouissent. Il y a du queer dans la pulsion".
La science analytique, affirmait Freud, doit sans cesse être remise en question, elle doit avancer et cela au cas par cas. Pratiquer la psychanalyse sur un mode mineur reviendrait selon l'auteur, à "cerner les endroits où la pratique analytique vibrerait de sonorités non conformes, à approfondir les points de rupture vis-à-vis de sa propre doxa, bref, à oser questionner ce qui, pour elle, va de soi" et il ajoute : "La clinique mineure est celle qui ose remettre en cause le bien-fondé de certains dogmes : l'œdipe, le phallus, la loi du symbolique et la castration, le réel symbolique".
«Comment penser le sexuel sans le présupposé hétérosexuel ? Les dé-constructions queer et des théories du genre ont-elles un impact sur la manière de poser un diagnostic psychopathologique ? Influencent-elles les rouages des institutions psychanalytiques ? Comment réussir à appréhender le sexuel comme toujours autre à lui-même ? Comment s'orienter à la boussole de l'inconscient sans valider la logique patriarcale ? Le travail des normes est-il systématiquement incompatible avec celui de l'inconscient ? » Voilà les questions auxquelles nous convie cet ouvrage.
Dans son livre, Fabrice Bourlez plaide pour une ouverture aux revendications minoritaires afin de renouer la praxis analytique avec les changements, les mouvements venant du Dehors, pour sortir du conservatisme, de la bienséance théorique.
"Non pas vouloir ramener les gens à la normalité, mais les entendre dans leurs différences et repenser le dispositif lui-même à partir de ces différences. Du coup, la clinique mineure liera les critiques queer à son exercice, moins pour imaginer une psychanalyse conforme aux identités minoritaires, aux communautarismes, que pour questionner les à priori hétéronormatifs d'une praxis exclusivement centrée sur la question du phallus et de l'œdipe".
En vrai défenseur de la psychanalyse et en relisant les textes qui fustigent sa théorie, Fabrice Bourlez désire plus que jamais rendre vivante la praxis, diriger les regards vers le Dehors, tenter le délicat pari de faire dialoguer les théories de la "folle", du "pédé", du "bizarre" avec la psychanalyse, avec ses accords et désaccords, questionnant la somme de nos préjugés. Si d'un côté les théories queer remettent en cause l'hétéronormativité, la psychanalyse quant à elle doit militer au service de la cause du désir.
Paulo QUEIROZ
Psychanalyste
Octobre, 2018