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Pourquoi Ferenczi ?
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DANIEL KUPERMANN
POURQUOI FERENCZI?
Le style empathique dans la clinique psychanalytique
Traduit du portugais (Brésil) par Fernando Aguiar
Connu pour sa volonté d'accueillir les cas dits « difficiles », Sândor Ferenczi a développé une théorie originale de la traumatogénèse, fondée sur la notion de déni (Verleugnung) de la douleur indicible du sujet traumatisé par l'autre, et vers lequel il se tourne en quête de témoignage, de reconnaissance et de réparation. Ce faisant, Ferenczi a étendu la conception freudienne du traumatisme sexuel aux traumatismes relationnels et sociaux.
Sa compréhension subtile du fait que le traumatisme psychique entraîne chez le sujet une identification à l'agresseur suivie d'un clivage narcissique indiquait la nécessité de repenser la clinique d'après une éthique psychanalytique du soin guidée par le principe de l'hospitalité à l'égard de l'enfant qui habite chaque analysant et qui s'exprime par le langage de l'empathie comme phénomène modulateur du champ d'entre-affectation de l'analyste et de l'analysant ; elle posait, en outre, la santé de l'analyste comme condition de la disponibilité sensible requise par la rencontre clinique. Autorisant ainsi l'affectivité dans le champ transferentiel, le style clinique empathique permet, à travers l'expérience de la régression thalassîque et du jeu partagé, la récupération de la puissance introjective capable de libérer le sujet de la tyrannie des objets traumatiquement incorporés.
En un mot, le style empathique développé par Ferenczi a été la principale inspiration pour les changements ultimes dans la conception clinique de Freud - notamment pour sa formulation des constructions dans l'analyse -, mais a aussi compté pour des auteurs comme Winnicott et Lacan, pour qui le travail psychique de l'analyste ouvre vers la perlaboration en analyse.
978-2-490350-23-0
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Bien sûr Ferenczi
Daniel Kupermann Pourquoi Ferenczi ? Le style empathique dans la clinique psychanalytique, traduit du portugais par Fernando Aguiar, préface de François Chiantaretto, Paris, Ithaque, 2022.
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Lecture faite des passionnantes et érudites pages de Pourquoi Ferenczi ? qui vient de paraître, une réponse d’enfant aussitôt se présente : parce que Ferenczi !
On pourrait s’en tenir là… si ce n’était que le vif intérêt suscité par le livre tient à plusieurs facettes aussi instructives les unes que les autres. Comme on le dit aujourd’hui, elles « déplacent les lignes ». N’est-ce pas ce que l’on peut attendre de mieux d’une étude qui paraît après tant d’autres, monumentales (Freud, Klein, Bion, Winnicott, Lacan, etc.) ? D’autant que cet ouvrage vient comme couronner les efforts de ceux qui, en France, ont tenu à mettre à l’ordre du jour les positions de Ferenczi.
Ferenczi fit école, une « école d’authenticité » selon Lacan (Écrits, p. 347, Kupermann p. 137 sq.) la saluant ainsi. Ce disant, il ne précisait ni à quel point ni sur quel point il en avait reçu un enseignement (à l’occasion il le fait ailleurs). Côtoyant son « retour à Freud » il y eut chez Jacques Lacan une « reprise de Ferenczi » qui saute aux yeux à la lecture de Pourquoi Ferenczi ? – ce que Kupermann ne manque pas de signaler plusieurs fois. Reprise est ici à entendre en un sens reçu de Kierkegaard (on a d’abord traduit Gentagelsen par « répétition » avant de rectifier le tir). « Répétition », « retour à… » restent orientés vers un passé ; « reprise » est un geste au présent ; il tourne le dos à la réminiscence. Je n’affirme pas que Lacan ait voulu cette reprise de Ferenczi, ni l’ait pensée, moins encore proclamée. Elle fut de fait, ce que cet ouvrage permet d’apercevoir. Comment ?
La chose s’est jouée non pas à deux mais à trois : Freud, Ferenczi, Lacan (S. F., S. F., J. L.). Ce dernier aura rebondi sur l’écart que Ferenczi instaurait vis-à-vis de Freud. Que fut donc ce « terrain dangereux » que disait Freud (cité p. 48) sur lequel Ferenczi se serait engagé en refusant (façon Lacan ?) de toujours s’en tenir au « principe d’abstinence » ? Il y était poussé, il le pouvait pour la raison qu’en recevant quelqu’un il n’envisageait pas plus que ça avoir affaire à de l’« intrapsychique » (p. 89). Son empathie, Einfühlung (son tact), sera sensible à celui qui, du divan, lui parle. Il est, lui, averti que cette parole n’aura de portée que par cette hospitalité, qu’au lieu où elle s’éprouve et que Kupermann dénomme « altérité ». Qu’aura donc fait Lacan ? Il aura d’abord présenté cette altérité non pas au sens global d’un environnement, où, déjà, la psychologie se trouve délaissée, mais à celui, réduit, d’un langage.
Ainsi se trouve confirmée la remarque de Freud (citée p. 22) affirmant que Ferenczi a fait de « tous les analystes ses élèves ». Lacan fut de ceux-là (la radicale nouveauté de son séminaire présentant l’acte psychanalytique peut être qualifiée de « ferenczienne »). Il fut de ceux-là, et encore autrement que ce que l’on vient de préciser.
Car une autre et non moins importante facette de l’ouvrage tient à son approche du traumatisme. L’auteur fait plus que de présenter la conception déjà originale qu’en avait Ferenczi. Il la précise en écrivant la sienne (centrée sur le démenti, Verleugnung), s’octroyant une liberté à l’endroit de Ferenczi que l’on salue plus que volontiers. Il serait malvenu de la préciser, ce qui pourrait priver qui lit ces lignes d’aller la découvrir dans l’ouvrage. À un moment, en Occident, où l’on s’élève contre bien des formes de violence sans souvent bien pouvoir dire ni où précisément ni comment cette violence s’exerce (qu’est-ce qu’une « violence psychologique » ?), on trouvera là d’importantes remarques qui, là aussi, annoncent Lacan.
Lacan déclarait que chaque psychanalyste est amené à réinventer la psychanalyse. Il en fut ainsi pour Ferenczi, qui le fit dans une permanente et toujours plus accentuée tension avec Freud. Il y a un effet d’école dès lors que des publications ou séminaires rendent publiques ces manières d’analyse réinventées par chacun. Telle est la véritable raison de la dispersion des groupes analytiques que les belles âmes déplorent en y voyant, en y malvoyant souvent des enjeux de pouvoir ou de narcissisme.
Ferenczi fut déclaré « enfant terrible » de la psychanalyse, ce qui inspira à Daniel Kupermann l’humoristique remarque suivante (p. 87) : « Il est tout de même surprenant que Ferenczi, théoricien du nourrisson savant et de l’enfant traumatisé, précocement mûr, avait gagné le surnom d’“enfant terrible de la psychanalyse”. »
Ferenczi ne fut pas seulement ce « théoricien du nourrisson savant » que présente Kupermann. L’ouvrage permet aussi d’apercevoir comment la « technique active » a rapproché psychanalyse d’enfants et psychanalyse d’adultes. Ce qui sera fort éclairant notamment pour ceux, quel que soit leur statut, qui reçoivent des enfants.
Jean Allouch
ITHAQUE