Oublier Foucault : mode remploi

de David M. HALPERIN

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Isabelle Châtelet

Dès le vivant de Foucault, en 1977, le titre d'un pamphlet célèbre proposait de l'oublier.
L'injonction est loin d'avoir été suivie. Mais il y a eu et il y a, depuis sa mort, une façon de
l'encenser, de citer ses livres et de se servir de certaines de ses formules qui aboutit à un résultat
analogue en négligeant tout ce que sa pensée a d'incisif, de tranchant et surtout de résolument
critique.

C'est ce mode d'abrasement, de réduction, sous couvert de fidélité, que David Halperin
montre à l'œuvre, en particulier aux États-Unis où son essai a été très remarqué lors de sa première
publication en 1998, puis deux fois réédité. Traduit ici d'après sa dernière version (qui constitue le
premier chapitre de How to Do thé Hisîory of Homosexuality, Chicago et Londres, 2002), il a été
quelque peu modifié par l'auteur pour le lecteur français.

S'en prenant à l'une des erreurs de lecture emblématiques d'un passage cent fois ressassé de
La Volonté de savoir, David Halperin entreprend d'en démonter les ressorts et d'en dénoncer les
répercussions : avant le XIXe siècle, a-t-on déduit du passage en question, la déviance sexuelle
s'appliquait seulement aux actes, non aux personnes ou aux identités. Dénonçant le schématisme
grossier de ce dogme historique attribué à Foucault, Halperin, à l'appui de sa relecture, convoque
les enquêtes menées sur la figure du kinaidos dans la cité grecque antique et celle du sodomite au
Moyen Âge. Les actes sexuels sont des composantes représentatives, montre-t-il, de la morphologie
sexuelle de l'individu dans le premier cas et de la subjectivité sexuelle dans le second. La sodomie
dans le monde de Boccace, comme la kinaidia dans l'Antiquité classique, est une propriété des êtres
sociaux, elle ne se limite pas aux actes sexuels.

Halperin précise qu'il ne s'agissait pas pour autant d'identité ou d'orientation sexuelle au sens
moderne.

Avec de tels contresens, les disciples autoproclamés de Foucault oublient qu'il n'a jamais
élaboré de théorie de la sexualité. A rebours de sa résistance à toute totalisation théorique, on
impute à Foucault la tentative de décrire ce qu'est la sexualité alors qu'il s'efforçait au contraire de
préciser comment elle opère dans la pratique discursive et institutionnelle. Là où l'on prétend
trouver une théorie de la sexualité, Foucault s'en tenait strictement à court-circuiter la liaison entre
sexualité, vérité et pouvoir.

On l'aura saisi. Oublier Foucault : mode d'emploi ne pouvait être qu'un petit livre bref,
enlevé, ironique.

Graciela BOUSQUET
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graciela.bousquet@noos.fr