Sous la direction de:

ARECS
Franck Chaumon est psychanalyste et psychiatre de service public. Avec la participation de : Paul-Laurent Assoun, Marie-Claire Boons-Graffé, Guy Dana, Denis Duclos, Jean-Claude Maleval, Solal Rabinovitch, Simone Wiener Association ARECS : Association de Recherche et d'Enseignement sur la Clinique dans son rapport au lien Social. Délire et construction Sous la direction de Franck Chaumon Erès, 2002. par Sophie menselsohn Depuis Freud, le délire a trouvé une terre d'accueil : la psychanalyse. Cette dernière lui a en effet offert un autre horizon d'attente que la conceptualisation classique, qui en faisait un des éléments les plus spectaculaires du déficit cognitif. Que le délire représente et signifie la problématique du sujet qui veut bien en livrer la structure à celui qui sait l'écouter, voilà bien une découverte majeure de la psychanalyse dans le champ des psychoses. Ce livre collectif s'attache à interroger sous différents angles la façon dont la psychanalyse est mise à la question par le délire : sa vérité est le fruit d'une (re)construction du côté du sujet qui le porte, ainsi que d'un travail de construction avec l'analyste afin que la cure devienne le lieu de production des effets de cette vérité. Paul-Laurent Assoun fait du délire lui-même l'architecte du sujet psychotique, ce qui est bien une manière de dire, après Freud et Lacan, que le sujet est représenté par son délire qui lui tient alors lieu de signifiant – et d'énigme tout en même temps. Prenant dans leur opposition les délires oniriques et les folies raisonnantes, Solal Rabinovitch montre à quel travail de déconstruction la singularité de leur construction invite l'analyste : le délire onirique ne laisse apercevoir son morceau de vérité qu'une fois déconstruite les déformations spécifiques dont il se voile, tandis que ce qui est déconstruit de la construction paranoïaque, c'est l'homomorphie du délire avec la pensée, de la folie et de la raison, puisque dans ce cas-là c'est précisément la manifestation de la pensée de l'Autre dans l'être du sujet qui, comme telle, déclenche le délire. Marie-Claire Boons-Graffé s'interroge sur l'articulation dans la cure entre savoirs et vérités : quels savoirs, quelles vérités, pour que s'y déconstruise ce qui déguise la vérité d'une jouissance sans nom, ce qui implique de risquer à chaque instant la possibilité d'une horreur sidérante. Dans cette perspective, la vérité ne saurait être l'enjeu de la construction totalisante d'un savoir plein, mais plutôt d'un accès au « mi-dire » tant du côté de l'analysant que de celui de l'analyste, qui navigue, lui, entre énigme et citation. Franck Chaumon inscrit quant à lui la folie du côté d'une question adressée à la civilisation : reprenant le titre d'un livre de l'écrivain japonais Kenzaburo Oé, il s'interroge sur les diverses modalités d'existence qui sont offertes à la folie par la culture au sens large, tant à la folie délirante qu'à la folie qui traverse sans arrêt, et toujours plus spectaculairement, la raison, jusqu'à la faire vaciller à l'extrême. Dites-nous comment survivre à notre folie… mais quel est le visage de cette folie, et à qui adresser cette impossible question ? La folie, donc, n'est pas qu'affaire privée : elle est présente dans l'espace de la communauté, y créant tout autant des lignes de fracture que des lignes de démarcation. Simone Wiener se demande ainsi si le délire peut être une tentative d'inventer un mythe, une solution originale aux apories ouvertes par la psychose, visant une origine qui ne serait pas seulement individuelle, mais qui concernerait l'humanité comme telle : c'est là la fonction même du mythe, qui fait d'une fiction la condition même de réalisation de la vérité. L'article que Jean-Claude Maleval consacre à Antoine Tounens n'est pas sans faire écho à cette parenté du délire et du mythe : ainsi ce Gascon du XIXème siècle a-t-il pu rêver de devenir roi d'Araucanie, cette contrée de Patagonie peuplée d'Indigènes, et le devenir effectivement, contre toute vraisemblance. Devenir roi au bout du monde en une époque régicide : délire ou simple désir ? Enfin Guy Dana et Denis Duclos travaillent respectivement sur l'institution psychiatrique et sur la constitution du collectif comme faisant éventuellement et paradoxalement fonction de support au délire suicidaire : comment faire du lieu psychiatrique un lieu psychique d'une part, et comment ne pas ériger d'autre part le collectif en un idéal unificateur de tout et de tous. Si rien ne multiplie et ne pluralise ce collectif, ne se trouve-t-il pas pris alors dans la même logique que celle qui préside à la clôture délirante de l'être, dont l'issue ne peut parfois être trouvée que dans le suicide ? A travers des cas cliniques et une réflexion sur l'état de notre culture, dans une référence constante et explicite à Freud et à Lacan, ce livre ouvre un champ de questionnement sur la folie au singulier et au pluriel qui n'est pas sans trouver des résonances étrangement inquiétantes dans l'essor des nouvelles croisades auquel nous sommes en train d'assister. Sophie Mendelsohn

Le délire est une tentative de guérison, un travail rigoureux du patient qui produit une forme originale, une véritable création de la pensée pour répondre à l'effondrement qu'il a subi. Ce n'est pas une errance arbitraire de l'esprit, une aberration ; c'est au contraire la tentative rigoureuse de bâtir une architecture signifiante autour d'un " noyau de vérité historique ". À cette entreprise aventureuse, le psychanalyste répond par une construction, une proposition d'égale dignité théorique.
Délire et construction sont ainsi les deux faces d'une même entreprise transférentielle. Telle est l'audacieuse proposition de Freud dans son texte "Constructions dans l'analyse ", dont la portée théorique et éthique est aujourd'hui tellement actuelle.
Le délirant, comme le psychanalyste, participe d'un travail de la culture dont tout nous montre qu'il concerne non pas seulement chacun dans sa singularité mais le collectif en tant que possibilité de vivre ensemble.
Les textes réunis dans cet ouvrage traversent les différents registres de l'énoncé freudien, de la cure analytique à la pratique psychiatrique et jusqu'au collectif comme tel, qu'il se soutienne par le mythe ou se massifie dans le délire de la secte.