Le mystère du corps parlant

Liminaire

Qu’est-ce donc que la psychanalyse ? ! Qu’est-ce qui la spécifie comme pratique et qui en fait, pour tant d’êtres, cette expérience unique ? Comment rendre compte de son efficace au dehors ? Lacan n’a cessé de remettre son ouvrage sur le métier de cette interrogation, avec l’ambition avouée de fonder en raison le discours issu de la découverte freudienne.
Véritable work in progress, son enseignement oral et les écrits qui l’accompagnent déploient leur complexité et leur ampleur dans une incessante mise en question - à l’adresse et à l’usage des psychanalystes - des concepts qui orientent leur praxis. Au premier chef desquels se trouve l’inconscient, objet même de la psychanalyse.
On sait que tout en considérant qu’il n’y a pas à y revenir, Lacan trouvait le mot « inconscient » plutôt mal choisi pour bien dire la chose. D’où ses redéfinitions successives, destinées à en serrer le réel, à déterminer en quoi l’expérience de l’inconscient permet d’affirmer que l’analyse, plus que toute autre praxis, est orientée vers « le noyau du réel ».
Au temps du séminaire Encore, la question porte sur l’articulation entre l’inconscient comme savoir, la langue maternelle dont il est fait et le corps dont le propre est d’habiter le langage. Explorant les limites de l’expérience et de ce qui en est formalisable, Lacan propose alors, en terminant la leçon du 15 mai 1973, de considérer que le réel « c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de l’inconscient ».

« Le mystère du corps parlant » donc, donne son titre au numéro 9 de Champ Lacanien, en reprenant le thème de travail du IVè Rendez-Vous de l’Internationale des Forums et de l’École de psychanalyse des Forums du Champ lacanien, à Rome, les 10 et 11 juillet 2010. Le « Dossier » tout comme la rubrique « Clinique » publient les textes d’un bon nombre des contributions présentées à cette occasion.
Suit la rubrique « Politique de la psychanalyse », réservée à des travaux concernant les axes qui orientent la psychanalyse, sur ses deux versants distincts et difficilement séparables, son intension et son extension. Il s’agit cette fois d’interventions faites à des rencontres qui ont eu lieu dans deux autres villes d’Europe : d’abord, le Colloque « Politiques de la psychanalyse » qui s’est tenu à Berlin en mai 2010. Puis celui sur « Théorie et pratique de la psychanalyse » qui fut organisé en novembre 2010 à Ljubljana.
« Entre champs » présente un échange avec l’historienne Michelle Perrot, à l’occasion de la parution de ses Histoires de chambre. La finesse de sa réflexion, l’étendue et la pertinence de son érudition, rejoignent et enrichissent d’heureuse façon le thème central de ce volume. Traversant les siècles, les lieux et les usages divers que l’on a fait de la chambre, faisant incursion dans la chambre du roi mais aussi dans celle des petites gens, l’historienne rencontre les corps, bien sûr, les corps sexués. Mais elle va bien au-delà, jusqu’à dévoiler, par exemple, que « le corps féminin est une chambre ».
Enfin, « Lectures » prolonge l’entrelacement entre la psychanalyse et d’autres discours. Sont ainsi recensés trois remarquables ouvrages. Chacun solidement ancré dans son champ propre : la psychanalyse, la philosophie et l’expérience singulière d’un peintre. Chacun écrit dans un style qui diffère des autres. Dans des perspectives distinctes, ils traitent pourtant de questions qui leurs sont communes, l’identification et le symptôme, la vérité et la réalité, la folie et la création.
S.A.