Décès d'Anne Clancier

Anne Clancier

Née à Limoges en 1913, Anne Clancier s’est éteinte à son domicile parisien le 18 Décembre 2014, après un itinéraire de vie bien rempli, vécu avec simplicité, énergie et passion.
Ancienne externe des Hôpitaux de Paris, elle est tout d’abord médecin généraliste à Limoges, puis médecin inspecteur de la santé toujours en Limousin et à Versailles, elle a rapidement manifesté un goût pour la psychiatrie. Ne trouvant pas suffisamment efficace l’abord pharmacologique de la maladie mentale, elle se tourna rapidement vers la psychanalyse vers laquelle son goût pour la littérature, les arts et les sciences humaines la guidaient naturellement (elle avait fait sa thèse de médecine sur les manifestations de la « mentalité primitive » en limousin) ; des points de son histoire personnelle lui avaient donné le désir de comprendre le cheminement des mécanismes psychiques.
Après avoir exercé quelques temps à l’hôpital psychiatrique d’Ayné-le-Château dans l’Allier, puis de Chezal-Benoit dans le Cher, elle décide de s’installer à Paris où elle travaillera de très nombreuses années à l’Institut Claparède à Neuilly tout en ayant une pratique privée.
Ayant commencé une analyse à Paris dans l’immédiat après-guerre, elle rencontrera nombre de figures historiques de la psychanalyse en France : Sacha Nacht et Maurice Bouvet avec qui elle fera une tranche de travail, mais aussi Marie Bonaparte, Lacan, et Winnicott avec qui elle fera pendant plusieurs années un contrôle à Londres ; elle publiera d’ailleurs en collaboration avec Janine Kalmanovitch qui avait été sa première traductrice le premier ouvrage sur Winnicott paru en français ( Le Paradoxe de Winnicott, Editions In Press 1999).

Née Gravelat, c’est en 1939 qu’elle épouse Georges-Emmanuel Clancier, avec qui elle aura deux enfants, Juliette et Sylvestre.
Psychanalyse, arts, poésie, littérature, création, l’environnement culturel du couple Clancier est exceptionnel. La position d’écrivain de Georges-Emmanuel Clancier et ses fonctions à l’ORTF (Office de Radio et Télévision Française) feront qu’ensemble ils croiseront, fréquenteront et tisseront des amitiés multiples dans le milieu littéraire et artistique ; Robert Margerit, René Rougerie, Jean Blanzat, Claude Roy, Marc Bernard, Jean Ballard, Raymond Queneau, Michel Leiris, , D.H. Kahnweiller, Gaétan Picon, Max-Pol Fouchet, Louis-René des Forêts, André Frénaud, Eugène Guillevic, Jean Follain, Pierre Seghers, Jean Tardieu, Jean Tortel, Jean Lescure, Philippe Soupault, Noël Arnaud, Claude Vigée, mais aussi les peintres et sculpteurs Lucien Coutaud, Elie Lascaux, Louis Thibaudet, Marcel Gili, Michel Brigand, Françoise Dufay, Albert Flocon, Georges Badin, Pierre Frilay, Sergio Ceccoti, Martine Boilleau, Roger Chastel, Alfred Manessier, Michel Thompson, Julius Balthazar sont des amis personnels.
Membre de la Société Psychanalytique de Paris, mais toujours ouverte à la rencontre avec d’autres, Anne Clancier développe rapidement un axe de travail centré sur les rapports psychanalyse – création littéraire qu’elle poursuivra toute sa vie, à la fois à travers son séminaire sur psychanalyse et littérature qu’elle tiendra jusqu’à 99 ans révolus, et à travers de nombreuses communications et publications. On citera notamment « Psychanalyse et Critique littéraire » paru en 1973, « Raymond Queneau et la psychanalyse » 1994 ed du Limon, « C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant, Noël Arnaud, entretiens avec Anne Clancier » 2004, Patrick Fréchet éditeur, « Apollinaire et les incertitudes de l’identité » L’Harmattan 2006.

Amie de Michel Décaudin et membre active de son séminaire sur Apollinaire, elle sera chargée de cours à l’Université de Nanterre pendant plus de 10 ans dans la section dirigée par le Pr Guy Michaux pour une unité de valeur intitulée « psychanalyse et littérature », elle aura aussi l’occasion d’être une des premières à enseigner la psychanalyse en Chine, invitée pendant plusieurs mois en 1984, peu de temps après la mort de Mao Tse Toung, par les universités de Canton et de Nankin.

Anne Clancier jouera également un rôle très actif dans l’aventure du Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. Elle sera vice-présidente de l’Association des amis de Pontigny - Cerisy jusqu’à ses 100 ans où le statut de membre d’honneur sera inauguré pour elle. Elle assurera la direction ou co-direction de nombreuses décades.
C’est d’ailleurs dans une de ces décades, celle sur Boris Vian en 1976, qu’elle inventera le concept de « contre-texte » pour approcher l’ensemble des réactions inconscientes produites sur le lecteur (fût il critique littéraire) par le texte qu’il lit et ce qui de l’auteur s’y trouve crypté. Ce concept n’aura pas l’audience qu’il aurait mérité dans la communauté psychanalytique, mais trouvera un écho important chez les littéraires. Un numéro récent et très complet de la revue La Lecture Littéraire fait le point sur ce concept, sa pertinence toujours actuelle et son incidence. (La Lecture Littéraire n° 12, le Contre-Texte, sous la direction d’Alain Trouvé).
En 1970, Anne Clancier créera avec Jean Thuillier la revue F, F comme fantasme, fantastique, fête, fantaisie, fable, Freud…qui hélas ne connaîtra que quelques numéros.
Constamment animée par une ouverture d’esprit et de curiosité, se situant toujours plus en « apprenante » qu’en « sachante », Anne Clancier se formera à l’animation d’ateliers d’écriture à un âge dépassant largement celui de la retraite. Si cet âge-là rendait impossible d’engager un travail auprès de nouveaux analysants, il permettra qu’elle anime de nombreuses sessions d’ateliers avec tact et talent.
Anne Clancier, amie des arts et des lettres, mettait aussi ses idées en pratique : titulaire d’une licence en histoire de l’art, elle s’adonnait volontiers au dessin et à la peinture avec un talent certain ; elle a également publié un recueil de contes et récits personnels, « La Traversée », (2009 chez l’Harmattan).

Dotée d’une énergie peu commune, d’une ouverture d’esprit généreuse, d’un style personnel d’une discrète fantaisie, Anne Clancier laisse derrière elle une œuvre originale et attachante qui mérite l’estime, l’attention et l’étude des amis des lettres et de la psychanalyse.

Serge Bédère

Serge Bédère