La haine meurtrière

                                                  La haine meurtrière   

Chez un individu, l'acte homicide, précipité d'un bloc de haine, illumine toute l'histoire secrète qui porte l'acte meurtrier, pensé, ruminé, ressassé. Le crime des soeurs Papin est tellement exemplaire qu'il en est le prototype. Actuellement, dans un procès aux Assises de Valence, on entend la haine qui a tissé l'enfance de Gabriel Fortin confronté, comparé à un frère favorisé, dévalorisé même dans son nom propre qui n'est pas celui de son frère. Ils ont été abandonnés avec leur mère par leur père à la naissance du cadet. L'autre, ce père qui a fui, est le peu de chose qui entrave son existence. Porté par le seul nom de sa mère, elle-même très fragile, G.Fortin a construit scrupuleusement et méthodiquement son acte qu'il a pensé réparateur du chaos qui s'est imposé à lui quand tous ses employeurs successifs l'ont rejeté, licencié et humilié. L'un d'eux a même proposé à cet ingénieur un emploi de manutentionnaire... Le redoublement par les licenciements de l'humiliation qui trame toute son existence, rend vaine son exigence d'avoir acquis des diplômes réparateurs et normalisateurs. L'humiliation redoublée fait éclater son désir d'existence.

  Il a fallu deux actes pour porter son désir de destruction: le premier fut son abandon à sa naissance par son père, le second fut révélé par les échecs qui dévoilent l'inconsistance dans son  enfance.

  Si on se met dans la logique de l'acte, on en comprend la raison, si on se met dans l'exigence sociale, l'acte fou, dont le déterminisme est compréhensible, ne peut que suscite l'horreur. Mais il faut aussi remarquer qu'un troisième terme est mis de côté. Les personnes qui ont rejeté G.Fortin en l'humiliant ont dénié l'éthique qui exige que chacun soit attentif aux conséquences de ses paroles et de son acte. On peut dire ainsi que l'horreur de ce triple assassinat est le reflet de la violence et de la cécité sociales aux effets destructeurs lors de l'énonciation d'une parole de pouvoir adressée. Elle devient ainsi une parole de haine individualisée. La pensée d'un acte de haine meurtrier nait alors en réponse chez celui qui en subit l'effet.

  L'apprentissage du pouvoir est aussi celui de connaître l'effet de ces paroles qui pourraient être banales au "café du commerce" mais qui emplissent un sujet d'une haine d'autant plus intense qu'elles sont prononcées par une personne investie d'un pouvoir. La pratique de la psychanalyse le fait entendre impérativement. L'écoute de la politique dans ses petites phrases apparemment anodines en montre l'effet ravageur. La violence de la haine libérée par cette parole, attendue et perçue sans bienveillance, exprime le refus radical de l'autre dont l'altérité est niée. Il est devenu le "peu de chose", objet de vindict et de haine, qui fait obstacle.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Alain DENIAU