Un si long chemin. Paroles de réfugiés au Maroc. J. Bennani par H. Abdelouahed

un si long chemin J. Bennani

Un si long chemin. Paroles de réfugiés au Maroc

De Jalil Bennani. Éditions La Croisée des chemins, 2016 (réédition 2017)

 

 

 

Après Le corps suspect (Galilée, 1980), Psychanalyse en terre d'islam (Arcanes Érès, 2008), Un psy dans la Cité  (La croisée des chemins 2013), Jalil Bennani (psychiatre et psychanalyste) nous offre aujourd'hui Un si long chemin. Paroles de réfugiés au Maroc, livre sur la question migratoire, le déracinement et la façon de construire le lieu.

 

Sollicité par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés venus au Maroc du Moyen Orient, de l'Afrique ou de l'Asie, Jalil Bennani, au lieu d'écrire un texte psychanalytique sur l'exil et le trauma, a préféré occuper la position d'un témoin à l'écoute de la langue et de la parole de chacun : Marwan le syrien[1], Diane la centrafricaine, Soulayman le soudanais, Jamil le yéminite, Ibrahim l'ivoirien, Sarah la congolaise, Boubakar le malien... qui ont « considéré que leur vie n'en était plus une ». Alors, « risquer le départ ou être assuré de mourir : Tel a été le défi de milliers de réfugiés arrivant au Maroc ».

Ces réfugiés racontent leurs souvenirs, leur histoire, leurs souffrances, parlent de la mort qu'ils ont côtoyée et vue de près, l'assassinat du père ou de la mère ou des deux, d'un frère ou de plusieurs, des membres de famille terrassés par les terroristes, ils racontent la maladie, la famine, et surtout leur odyssée : la prostitution pour survivre, l'émigration de village en village, de ville en ville, de pays en pays, en bus ou en avion ou à pied. Que le chemin est long ! Que le traumatisme est lourd, interminable avant d'atteindre la terre d'asile. Sur le chemin « la guerre détruit tout, n'épargne pas les faibles ». Les rescapés se laissent petit à petit gagner par la joie d'atteindre la terre d'asile.

 

On peut parler d'un livre-témoignage qui nous met au contact de la parole vivante des humains qui ont opté pour la vie. Mais quel partage sur cette nouvelle terre ? Comment se vivent l'étrangeté ou la familiarité, l'accueil ou l'hostilité ? Depuis les paroles des réfugiés, nous rencontrons des croyances et des langues différentes, des traditions ancestrales et des pratiques religieuses diverses. Nous réalisons les ravages de la guerre au nom de la religion. « Avant le conflit, dit Boubakar qui cachait au Mali son christianisme, la religion n'avait pas d'importance ».  

 

Ces gens venus d'ailleurs, nous dit l'auteur, « questionnent notre ouverture sur le monde » et notre rapport au monde. Tel un miroir, ils permettent de voir comment les Marocains produisent sur leur sol les mêmes attitudes que « leurs compatriotes subissent en France ».

 

 

Un si long chemin se termine par une réflexion sur l'exil, sur la pulsion de mort et les pulsions de vie, l'ambivalence, l'exclusion, l'hospitalité, l'identité et l'altérité.

Devant le flux des réfugiés, quel impact sur la société de demain ? Se laisseront-ils se transformer ? Produiront-ils un changement de vie ou de mentalité? Questions qui portent sur la marche de l'altérité. Le soi n'est pas uniquement hôte. Il accueille également la générosité de l'autre. À la phrase de Derrida : « (il n'y a) pas de culture ni de lien social sans un principe d'hospitalité »[2], il faut ajouter que chacun se fait l'hôte de l'autre. Le don est dans la réciprocité.  

           

Le livre-témoignage est un livre-images. Images prises par M'Hmmed Kilito qui confère aux récits une grande sensorialité. Des corps de femmes et d'hommes, soucieux ou souriants, en face ou de dos. Le corps est là. Malade des fois, affaibli souvent, mais toujours vivant, il nous rappelle cette phrase d'Ibn Arabi au sujet de Moïse : « Il n'a pas fui par peur de la mort, mais par amour de la vie ».

 

Houria Abdelouahed

 

 

 

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[1]          Parmi les réfugiés, figurent beaucoup de Syriens. Historiquement, lorsque Abderrahman Addâkhil (qui deviendra le fondateur de la dynastie omayyades en Andalousie) fuit les Abbassides, il trouva refuge au Maroc car sa mère était une berbère du Maroc.

[2]   J. Derrida, (Derrida dans une interview parue dans le Monde 02-12-1997).