Vers des associations de consommateurs de psychothérapie

Vers des associations de consommateurs de psychothérapies…

Sophie Mendelsohn

 Plusieurs choses étonnent dans cet amendement Accoyer, tant par son contenu qu'à cause du contexte où il intervient : d'abord la rapidité avec laquelle il a été voté et qui a pris tout le monde de court ; ensuite, la mise en équivalence de toutes formes de psychothérapies qu'il induit – équivalence où la psychanalyse se trouve dépossédée de toute singularité, ravalée à n'être qu'une parmi tant d'autres dans l'oubli coupable de son histoire propre aussi bien que de l'histoire de la pensée du sujet et des modes de subjectivation à laquelle elle a activement et publiquement participé. On peut sans doute voir là un effet de l'attaque sur tous les fronts que subissent actuellement les sciences humaines, à l'Université et ailleurs. Le journal Libération, dans son édition du samedi 25 octobre, n'a pas manqué de faire écho à l'ère nouvelle qui s'ouvre avec cet amendement, celle des « actes psychothérapeutiques ».

Dans un court article à visée informative plus qu'analytique intitulé « Un fourre-tout de pratiques » et sous-titré « Les victimes de thérapeutes autoproclamés tentent de s'organiser », on y découvre – avec une certaine stupeur – la récente existence d'une association Loi 1901, « Psychothérapie vigilance », qui rassemble des patients mécontents des « services » de leur psychothérapeute. Cette association vise donc à permettre aux patients de s'organiser pour collaborer avec les instances régulatrices de l'Etat afin d' « inventer une technique d'évaluation et de contrôle » pour éviter les dérives et les abus que ce grand  « fourre-tout » que sont les psychothérapies ne manquent pas d'engendrer, semble-t-il… et certes l'on peut douter de l'effet sur les patients du rebirth ou de la programmation neurolinguistique (PNL). Mais ce grand fourre-tout contient aussi la psychanalyse… c'est là que les choses se gâtent.

Il semble bien, dans cet article tout au moins, mais il reflète assez fidèlement l'esprit de l'amendement, que le critère de définition de ce qui rentre dans le fameux fourre-tout soit le terme – dont on sentira bien vite les relents de souffre - : « autoproclamé ». Sur ce terrain-là, effectivement, le psychanalyste peut être mis en équivalence, du point de vue implicite de l'amendement, avec l'animateur des séances de PNL ou le « metteur en scène » du rebirth. C'est de là que vient la possibilité du nivellement dont se charge l'amendement. C'est ce qui permet en effet à l'Etat de s'autoriser de cet « état de fait » pour envisager le grand ménage, qui pourrait bien s'avérer le grand marasme de la psychanalyse. Pas vraiment à cause de l'organisation contrôlée des pratiques via la vérification des diplômes universitaires, non ; pas non plus vraiment à cause de la grande illusion de transparence que cela convoque au lieu même où se maintenait quand même encore une certaine opacité, une certaine marginalité, au mieux une certaine subversion, puisque la psychanalyse avait su se maintenir indépendante du système des pratiques de soin ; mais parce que le psychanalyste se trouvera bien dépourvu lorsque son patient, insatisfait d'une cure qui, certes, ne lui aura sans doute pas apporté toutes les réponses qu'il était venu y chercher, pas plus qu'il n'y aura trouvé le long fleuve tranquille du bonheur dont la quête lui a fait débourser tant d'argent, ralliera les associations de patients mécontents et se retournera contre « son psy » publiquement, par voie légale éventuellement (on ne voit pas bien comment l'Etat qui favorise ces pratiques par tous les moyens, pourrait ensuite les contrecarrer), pour cause de « tromperie sur la marchandise ». On objectera à juste titre qu'une cure bien menée ne saurait provoquer ce genre de résultat (un « plus-de-jouir » particulièrement pervers arraché à la cure même), mais cet argument est un peu court. Car le divan n'est pas seul en cause, mais son inscription dans l'espace social tout aussi bien, ainsi que l'idéologie dûment orchestrée au sein de ce même espace social : si le mode d'inscription de la psychanalyse dans le social change, alors le mode d'approche de cette pratique par les individus qui le constituent changera aussi. Lacan ne s'est-il pas efforcé de démontrer de différentes manières que les discours qui agissent au sein de la cure psychanalytique ne sont autres que ceux qui agitent l'espace social ? Certes, les psychanalystes sont portés par leur histoire, leurs écoles, leurs revues et publications, et l'on fait encore généralement la différence entre leurs pratiques à eux et celles des sophrologues. Mais l'article de Libé sonne le glas de ces distinctions : deux types de glissement y apparaissent, qui, véritablement, font froid dans le dos.

D'une part, pour ceux qui l'ignoraient, on y apprend qu'en 1998, le Centre Georges-Devereux de l'Université Paris VIII a été chargé par le ministère des Affaires sociales d'un mandat « visant à mettre en place un outil clinique pour répondre aux victimes d'expériences sectaires ». Or, que s'est-il passé immédiatement et comme de bien entendu : « On a vu apparaître des gens qui n'avaient pas été victimes de sectes, mais de thérapies déviantes ou abusives », rapporte un des psychologues qui ont travaillé dans cette équipe de recherche. Où commence la déviance, l'abus ? Qu'appelle-t-on ou que peut-on appeler « secte » et « pratiques sectaires »? Naturellement, l'article ne le dit pas, ce qui ne manque pas de laisser planer un doute insidieux sur toutes les pratiques. Et si, comme c'est le cas par contre dans l'article, on met ces écueils en lien avec la faiblesse de la formation clinique à l'Université, ce qui oblige les étudiants, toujours selon le même psychologue, à aller chercher des outils à l'extérieur dans « des écoles privées, des écoles de pensée, qui vont former des gens adeptes de théories auxquelles ils sont parfois complètement inféodés », alors on voit pointer l'anathème sur la psychanalyse, ses chapelles, sa diaspora, son terrorisme intellectuel, etc…. Premier glissement, pour le moins problématique. Le second ne l'est pas moins toutefois, puisqu'il permet de mettre en cause ceux-là mêmes qui sont « autorisés » par la loi à exercer la psychothérapie en toute légalité : soient les psychiatres et les psychologues. En effet, la quasi-dénonciation de ceux qui exercent en tant que psychothérapeutes « autoproclamés » rend possible, et ce de façon simultanée, la mise en cause de tous les psychothérapeutes : le même psychologue, toujours lui, considère ainsi que « si le psychothérapeute autoproclamé peut provoquer une ‘catastrophe, qui dissimule une autre visée, comme un intérêt purement économique ou des bricolages d'initiation au New Age' [on constatera que la secte n'est jamais bien loin, malgré tout], la question ne s'arrête pas là. Parmi les abîmés des thérapies qui sont orientés vers le Centre Georges-Devereux, se trouvent aussi des gens qui ont consulté un psychiatre ou un psychologue diplômé. »

Et, voilà, le tour est joué, il suffisait de se permettre ce petit glissement pour ouvrir la voie à une stigmatisation générale, qui n'est pas sans soutenir la nouvelle figure de martyr du néo-libéralisme : la victime. Et de la victime à l'adhérant à « Psychothérapie vigilance », il n'y a qu'un pas, celui que le patient-consommateur, invité par l'Etat lui-même à soutenir cette nouvelle identité, ne mettra sans doute pas longtemps à franchir…