Une question de personne, un problème de société

Dans un contexte difficile pour la psychanalyse, le livre de Catherine Grangeard arrive à point nommé pour qui veut prendre soin des personnes souffrant d’un excès pondéral. En rappelant que : 30% des femmes à IMC normal plus 15% des femmes minces (IMC inférieur à 22) ont suivi un régime l’année précédent l’enquête de l’Anses et que cette enquête montre que 32% de la population est en surpoids et 14, 5% en obésité, Catherine Grangeard rappelle, si besoin était, que les régimes sont devenus un problème de santé publique et que la question d'une personne devient un problème de société. En faisant de l’obésité une question de personne et non pas une « maladie » avec son corollaire ontologique qui ferait exister l’obésité comme une entité à part entière comme par exemple le diabète, Catherine Grangeard rappelle que derrière le visible de l’obésité, il y a un sujet qui parle et qui souffre et qui, en tant que tel, doit être « compris » c'est-à-dire que cela impose d’accepter cette part étrangère à soi, ce qui évite de faire de l’obèse un bouc émissaire. Envisager la personne obèse autrement que comme quelqu'un à faire maigrir d'emblée et se poser des questions sur les raisons ayant mené cette personne là où elle en est, voilà l’essentiel de ce livre.

Ce livre ne peut donc qu’intéresser les professionnels de santé qui travaillent autour du problème de la surcharge pondérale et ce d’autant plus que Catherine Grangeard évite soigneusement d’utiliser un jargon psychanalytique. L’utilisation de « vignettes cliniques » ne sont pas là pour faire jolie ou montrer l’efficacité d’une méthode sur une autre mais pour pointer le malaise qui règne devant la façade adipeuse qui enveloppe le sujet obèse. En en faisant une expression du Malaise dans la civilisation de Freud, Catherine Grangeard reste très fidèle aux principes d’écoute active et d’alliance thérapeutique prônée par l’inventeur de la psychanalyse. Certes, les références à Winnicott et, plus proche de nous à Philippe Jeammet nécessiteraient un peu plus d’approfondissements, en particulier en ce qui concerne le concept de peur fondamentale qui pourrait être discuté avec ce que dit Lacan dans son séminaire de 1962-1963 (L'angoisse) mais l’auteure de Comprendre l'obésité nous a peut-être ainsi épargné la lourdeur de la terminologie parfois complexe des concepts psychanalytiques. (Simplement et à titre personnel, je regrette que la question de la psychose ne soit pas plus évoquée dans le cadre des pathologies du surpoids).

Tous les coachs sportifs vous diront que pour être efficace, une idée doit être simple voire stupide (c’est le sens de l’acronyme KISS, keep it simple and stupid) ; cette efficacité fut à l’origine de nombreux « régimes » dont Catherine Grangeard fait la critique, car en matière de conduite alimentaire, la stupidité a de fâcheuses conséquences car c’est elle qui génère les comportements aberrants et les automatismes mortifères. La psychanalyse, en mettant de l’intelligence sur ces comportements, offre une possibilité de liberté au patient. A partir d’un propos d’un de ses patients étudiant en droit, Catherine Grangeard reposera la question de la soumission du sujet à la loi comme expression de la volonté générale (Rousseau). Selon Becarria (Des délits et des peines, 1764) pour la loi il ne s’agit jamais de punir un individu mais un comportement. Ainsi, si la nature se charge de punir le boulimique en lui faisant prendre les kilos qui le mèneront à l’inconfort d’une vie dans laquelle il sera de moins en moins libre, ce n’est pas à la société qu’il appartient d’en rajouter ; au contraire, rendre la liberté à un sujet c’est aussi lui permettre de reprendre ses responsabilités, le corps obéira d’autant plus à l’esprit qu’il est lui-même libre et en bonne santé. Éduquer le patient obèse en lui apprenant à maitriser ses pulsions pour lui faire changer son comportement n’est donc pas la solution que propose Catherine Grangeard dans son livre, elle propose dans un contexte pluridisciplinaire le cadre qu’offre la cure psychanalytique, comme lieu de passage du soma à la psyché ouvre un possible dans des approches qui ont toutes été des ratés.

En conclusion, à un moment où l’éducation thérapeutique du patient est au centre des préoccupations de la nouvelle loi Hôpital Patient Santé Territoire, et que la politique du care semble faire consensus, le livre de Catherine Grangeard, en réintroduisant la psychanalyse dans les équipes pluridisciplinaires qui prendront soin de la personne obèse, ne fait que traduire à nouveaux frais le Wo es war, soll ich verden freudien. En évitant que la psychanalyse ne s’extraterritorialise davantage sous l’action conjuguée de la mode comportementaliste et des psychanalystes eux-même, Comprendre l'obésité devrait contribuer à maintenir la rationalité de la psychanalyse dans le champ du soin.

Dr Jean-Paul Kornobis, avril 2012

Comments (9)

Le livre de la psychanalyste Catherine Grangeard «Comprendre l’obésité» se différencie par sa double lecture du problème, comme le laisse pressentir le sous-titre : « une question de personne, un problème de société ».Il invite d’abord à prendre la personne en considération dans son intégrité et non pas comme un chiffre, tout en la replaçant dans le contexte de la société actuelle où la minceur est perçue comme positive, preuve de réussite sociale et de force d’esprit.
Son originalité tient également dans la simplicité des termes et la clarté du langage, qui le rendent accessible à tous et notamment aux adolescents.

Pour traiter l’obésité, Catherine Grangeard ne s’intéresse pas spécialement à l’assiette, mais à l’individu. Elle considère l'obésité comme un symptôme qui exprime des difficultés liées à l’histoire personnelle de chaque personne. On comprend alors aisément les limites du régime comme remède miracle. Ce dernier, longtemps considéré commel’uniquesolution à ce mal qui se répand à vitesse croissante, s’acharne à estomper la partie visible, presque gênante du problème, sans prendre en compte le sujet en tant que personne. C’est pourquoi, selon l’auteur, il est voué à l'échec. Cela rejoint d’ailleurs la tendance actuelle qui est de dénoncer les régimes sévères, qui ont souvent un résultat inverse de celui escompté, d’autant plus chez les enfants !

Mais si on ne parle pas de régime, de quoi parle-t-on alors ? Quel rôle pour la psychanalyse dans la prise en charge de la personne obèse ?
Par les petits bouts d’histoire que les personnages nous livrent, il apparait que la volonté est bien impuissante làoù se trouventdes peurs et des douleurs archaïques s’inscrivant dans l’enfance et l’histoire familiale. La nourriture ne serait plus finalement un objet de gourmandise, maisservirait de pansement, un outil de survie peut-être, ces kilos en trop comme une protection ? Sauf que la carapace n’est pas bien solide sous le poidsdes regards, de la moquerie et de l’intolérance pour ces corps « pas comme les autres ».

On ne se lasse pas de Lucas, de son langage à la fois enfantin et si vrai, poignantmais jamais plaintif. On vit avec lui son débat intérieur entre son désir d'être " normal" et celui de rester dans le clan familial,où«on est tous gros ». Et surtout on aperçoit, derrière le corps qui prend de la place, l’enfant comme tout les autres, plus sensible, plus généreux peut être.
Ainsi le livre amène le lecteur à se poser de nombreuses questions sur les «pourquoi » des normes sociales, mais aussi sur sa propre tolérance…une réflexion sur sa propre représentation de la personne en surpoids. Car après tout chacunde nous est partie intégrante de cette société qui norme, juge et reproche.

La succession desdifférents patients permet de rendre compte à quel point l’idée de rassembler des individus par une caractéristique physique, l’obésité, est erronée : « Karamel », « 35 Tonnes », «Dorine », tous montrent à quel point ils sont fragiles derrière les faux-semblants, et àquel point ils sont uniques dans leur souffrance aussi.
Tous semblent surpris de trouver dans cette rencontre avec la thérapeute, une écoute vraie, empathique et bienveillante. Une personne à qui livrer ce qui a été tu si longtemps.

Pour conclure, il est primordial de replacer la personne au centredes soins, de la considérer comme un individu unique avec son histoire, ses qualités et ses défauts, sa pluralité en somme.
L'alternance des témoignages et de l'analyse permet de comprendre ce qui se joue réellement chez le psychanalyste pour celui qui ose s’y rendre : ni magie, ni jugement, mais une main tendue sans condition à celui qui vient rechercher les mots de son histoire personnelle, les mots de ses maux…

Marion CHABERT, étudiante en psychologie à Paris 8.

Un livre absolument indispensable. Un véritable outil de travail innovant et juste. Je vote pour cet ouvrage qui traite d'un sujet souvent délaissé qui bat en brèche des idées reçues sur la 'bonne' manière de traiter les patients obèses.

Comprendre l’obésité (commentaire)

À une époque où le sujet est souvent réduit à son symptôme et à une existence de plus en plus médicalisée selon les termes de Roland Gori , le livre de Catherine Grangeard constitue une véritable opération de délestage. Les personnes stigmatisées comme obèses peuvent après sa lecture se sentir soulagés d’un grand poids, celui d’une parole enfermée depuis longtemps dans un corps vécu comme difforme et pesant. Le sujet qui l’occupe ne le reconnait plus car il s’avère de moins en moins conforme à l’mage que lui avait laissé l’expérience du stade du miroir décrite par Lacan celle qui fonde la première identification. L’épreuve spéculaire devient insoutenable. De ce point de vue, la clinique du grand âge nous montre le même écart entre cette image spéculaire originelle qui, comme le dit Paul Laurent Assoun ne prend pas une ride et celle de la réalité d’un corps vieillissant qui est devenue insupportable et de plus, trop souvent confirmée par un discours et des représentations négatives voire mortifères.
Par manque d’identifications, l’identité en prend un coup
Comme son corps suscite un malaise chez les autres et chez lui-même, voire lui fait horreur, le sujet en surcharge pondérale, pour user d’une expression médicalement correcte, se tourne désespérément vers la réduction draconienne de ses besoins à l’aide d’un régime amaigrissant sous contrôle médical.
Les réponses qu’il reçoit du côté de cette hygiène de vie médicalisée font l’impasse sur sa vie psychique. Pour trouver ou retrouver la demande et le désir il faudra repasser plusieurs fois les plats en se posant des questions sur le plaisir et la satisfaction qui s’enracinent dans les premiers soins et qui ont tant marqués notre corps. On oublie souvent les rituels alimentaires de notre enfance : Une cuillérée pour papa, une cuillérée pour maman ou… pour ton grand frère.
De quoi le sujet en surpoids se nourrit- il hormis de la nourriture terrestre qui lui est interdite par les régimes ? Quel rôle et quelle fonction cette nourriture a-t-elle pour lui ? Comment peut-on vivre son obésité dans une médecine hygiéniste qui ramène le patient obèse à un consommateur abusant de la nourriture sans souci authentique pour sa souffrance psychique ?
Cette fracture et ce malaise dans la psychosomatique réduit immanquablement le sujet à son surpoids au détriment de son histoire personnelle.
Donner du sens peut alléger le corps et l’âme. C’est ce dont les patients de C.Grangeard témoignent dans leur histoire de vie
Ces témoignages cliniques sont particulièrement éloquents. Ainsi la dénommée 35 tonnes par son propre frère qui ne s’aimant plus elle même ne cherche plus à se faire aimer par un homme qui deviendrait objet de remplacement d’un amour paternel vécu comme irremplaçable. La représentation de la perte d’amour paternel avec la culpabilité qui s’y attache nécessaire à la poursuite de sa vie de femme est vécue comme un risque difficile à assumer. Une telle représentation lui permettrait pourtant peut être de se refaire un corps délesté du poids d’un amour Oedipien mais aussi de se libérer d’un amour fraternel trop protecteur en dépit de la haine que ce frère lui voue.
Pour conclure Catherine Grangeard conduit avec son écoute analytique, à travers ce livre, des patients obèses parfois maltraités d’un point de vue social et relationnel mais aussi « mal traités » sur le plan de la médecine vers cette « talking cure » chère à Freud. Ces rencontres thérapeutiques s’avèrent salutaires pour certains, sans doute plus difficiles à poursuivre pour d’autres mais elles font dire et penser au petit Lucas dont l’histoire est jalonnée de honte, de rejet et de culpabilité que quand nous arrivons à parler « nous ne sommes pas que gros »

Patrick Linx psychologue –psychanalyste
Le Kremlin Bicêtre juin 2012

J'ai beaucoup aimé le livre de C. Grangeard. Travaillant moi-même comme psychologue clinicienne dans un service de chirurgie bariatrique je me suis souvent retrouvée dans les descriptions des histoires des patients et cela m' a donné un éclairage clinique précieux pour ma pratique. Comment éviter le rejet, la moralisation devant ces comportements dérangeants et complexes ! Difficile de toucher à la psyché avec ces patients, tout est somatique et on s'abrite derrière, conforté par le médical... et pourtant dès que l'on parle avec eux on s'aperçoit très vite de la dimension thérapeutique de l'objet "nourriture"! J'ai été très intéressée aussi par le travail avec les médecins et le médical, me trouvant parfois en difficulté pour faire entendre une voix différente, celle du psychisme peu familier des médecins alors qu'il serait tellement plus efficace d'en tenir compte. Si l'on peut penser que ces opérations représentent un échec de la prise en charge de soi, ce dont on peut convenir d'ailleurs, il est important de souligner que malgré tout un travail en amont ou même après peut être le point de départ d'une vraie prise en charge psychothérapeutique ou psychanalytique, ce qui permettra de faire de l'opération un succès avec un réaménagement des pulsions destructrices, ce qui n'est déja pas si mal.

Un livre d'une actualité saisissante. Les troubles des conduites alimentaires ont toujours été un défi pour las psychanalystes, mais l'obésité n'est pas assez étudiée. Catherine Grangeard réussit le pari de rendre la clinique accessible et d'induire une réflexion théorique qui appelle des suites.
A lire absolument

Un livre clair et intelligent, à lire aussi bien en tant que professionnel que par toute personne s'intéressant à cette problématique à la fois sociétale et personnelle.

A l'heure où la société ne parle que régime, minceur et consommation, le monde des psys n'aborde pas assez le thème de l'obésité, qui est pourtant une « épidémie mondiale » selon l'OMS. Les chiffres sont affolants : en hausse dans tous les pays, l'obésité n'est cependant pas abordée dans sa complexité, et la mode des régimes ne fait qu'empirer le phénomène, provoquant des dommages corporels et psychiques parfois terribles.

Si comme le dit Nietszche notre corps est notre grande raison, il traduit bien notre comportement inconscient, l'obésité représentant alors un symptôme de mal être. Comment gérer le fait que si la surconsommation est prônée, l'obésité quant à elle choque et reste un tabou ?

Les nombreuses personnes en surpoids et en obésité qui souffrent de leur excès de poids vont s’adresser pour ce problème de corps à divers praticiens : des médecins, généralistes et spécialistes, des chirurgiens, des diététiciens. En général, ces professionnels ne les dirigent jamais vers nous alors que cela ne serait pas inutile ! Cette demande est celle du coaching. Avons-nous réfléchi sur ce qui est sous cet engouement ? La régression derrière la recherche de prise en charge, le maternage dont le sevrage n’est pas encore supporté, tout ceci dans les régimes est un cas d’école…
Un médecin soigne une maladie. Il ne s’occupe pas de l’histoire du patient. Mais avant de vouloir maigrir, il faut déjà se poser des questions sur les actions et les comportements, d’où l’important du travail en réseau et de la pluridisciplinarité. Puis il est essentiel de se souvenir que les personnes obèses ont aussi une histoire…

L’alimentation comme un rapport à soi et au monde
Nous vivons dans un monde où la minceur est la norme, où tout va vite. Emportés par le tourbillon du travail et de la consommation, comment retrouve-ton le rapport à soi, à l'être, mais aussi au monde ? Jean- Francois Amadieu parle du « poids des apparences » : un obèse est bien trop souvent réduit à son poids, et est discriminé par le discours culpabilisateur. Un autre sociologue, Thibaut de Saint Pol souligne que l’IMC ignore le genre !

Lutter contre l'obésité, c'est se réapproprier son corps, c'est verbaliser des traumatismes qui se sont ancrés dans notre chair. Derrière l'obésité, il y a un sujet qui souffre et qui parle. Pourquoi mangeons-nous ? Quel est notre rapport à la nourriture ?

L’obésité est une pathologie plurifactorielle. Comprendre l’obésité montre au lecteur quels sont les déterminants psychiques pour quelques personnes. Catherine Grangeard dresse alors le portrait de plusieurs cas d’obésités. « Mon semblable, mon frère, » disait Baudelaire, car chaque cas nous parle à sa manière, que l’on souffre de problème de poids ou non. Lequel d’entre nous n’a jamais fait de régime ? Une femme passe en moyenne sept années de sa vie à se priver en essayant à chaque fois de nouvelles méthodes. Nous avons tous en nous un peu de chaque personnage, comme « 35 tonnes » qui se trouve toujours trop grosse et a peur de gêner, ou comme le petit Lucas écartelé entre l'appel du clan, de la sécurité de la famille, et l'envie de connaître un ailleurs, de fonder d'autres appartenances. L'obésité n'est qu'un fil conducteur, un lien commun de tous ces cas qui nous rappellent la complexité de notre être.

Vous l’aurez compris j’ai beaucoup aimé Comprendre l’obésité, une question de personne, un problème de société . L’approche psychanalytique présentée comme cela, pour un public qui n’est pas un « entre soi », ça a l’intérêt de sensibiliser des jeunes qui apprécient qu’une psychanalyste sorte de sa tour d’ivoire et fasse saisir ce qui s’y passe …

Elise Buet
Etudiante en Lettres et Sciences Humaines

Le livre de Catherine Grangeard sait montrer concrètement que derrière la notion d'obésité, il y a des personnes avec un trajet qui leur est propre et non des cas d'obésité. Le fait d'aborder cette pathologie au travers du travail effectué par des individus comme Lucas, Karamel ou celle que son frère a surnommée "35 tonnes" avec le concours de Catherine Grangeard, nous met d'emblée face à des êtres sensibles, pensants dont le corps manifeste à leur insu ce qu'ils essaient de se dissimuler à eux-mêmes. Nietzsche disait du corps qu'il est notre "grande raison" par opposition à la "petite raison" qu'est la la conscience, ces récits en sont le témoignage. Le corps y apparait comme le messager de l'inconscient qui utilise toutes les stratégies pour dire indirectement au travers de l'obésité la filiation avec les siens, l'autodestruction, le refus de plaire mais aussi la volonté d'atteindre l'autre dont nous ne savons pas retenir l'attention autrement que par le dégoût inspiré par le corps obèse. Autant de personnes, autant de situations qu'une écoute différenciée de l'inconscient, qui se construit et s'élabore à chaque fois de façon unique peut entendre. Ce livre nous offre aussi l'occasion de voir à l'oeuvre la nécessité d'un investissement du psychanalyste "en situation" car aucune structure pré-établie ne peut remplacer l'ouverture à l'écoute d'une parole dans ce qu'elle a d'unique. Pas plus qu'il n'y a d'"obèse", il n'y a de "psychanalyste" ni de "psychanalyse" comme notion universelle. Là aussi, il y des personnes, des rencontres et des trajets. Et pourtant quelque chose d'universel s'y joue dans le rapport au manque, à la séparation (d'ailleurs présents dans d'autres conduites addictives) qui définit notre condition humaine, dans la nécessité d'être reconnu comme une personne. Ces témoignages montrent aussi qu'au-delà de la rencontre entre des personnes singulières quelque chose de structurel se donne ni tout à fait identiquement ni tout à fait différemment. C'est par l'accent mis sur la singularité de toutes ces rencontres que ce livre est original et constitue un acte de résistance à une volonté de normalisation et d'uniformisation tant des individus appréhendés comme des catégories, des maladies comme un ensemble de critères pré-diagnostiqués que des thérapeutes formés à appliquer des procédures de soin pré-définies. Catherine Grangeard nous fait part également de son indignation à l'égard de l'exploitation par les instances dirigeantes de notre immaturité pulsionnelle liée à l'enfance ou aux diverses pathologies alors que les règles qui nous encadrent devraient contribuer à notre libération même si notre aliénation est plus rentable, l'acte de résistance se poursuit sous un angle plus politique car la personne dépendante pulsionnellement est encore plus réceptive aux sollicitations piègeantes des sociétés d'abondance. Le fil conducteur est au fond la lutte contre ce qui nous aliène pour la réappropriation de nous-mêmes.