Le parcours et la pensée de Slavoj Zizek sont éminemment liés à la fois à l’histoire politique (européenne au moins) et à l’histoire des idées : son premier ouvrage ‘Le sublime objet de l’idéologie’(1989) déconstruit les systèmes ou projets politiques (idéologie et mise en pratique) au regard de la philosophie et de la psychanalyse, notamment de la théorie de l’objet a de Lacan. Au cœur de toutes ces références, une préoccupation semble se dessiner de manière transversale : l’avènement de la subjectivité (voir ‘Le sujet qui fâche’1999) en référence à trois auteurs et courants : Hegel, Marx et Lacan.

La densité théorique pourrait a priori effrayer le lecteur, les concepts psychanalytiques ne renvoyant pas aux mêmes définitions dans le champ philosophique. Or l’une des grandes qualités de Slavoj Zizek réside en une pédagogie illustrée.

Cinéphile plus qu’averti, friand d’anecdotes de tournages, Slavoj Zizek nous a habitués à des analyses peu conventionnelles d’œuvres cinématographiques. Si certains lui reprochent une certaine redondance, concrètement, le fil par lequel l’œuvre est attrapée permet une relecture, un complément, plutôt qu’une redite.

Plus qu’une analyse filmique, il propose une nouvelle lecture d’œuvres devenues des classiques (La Corde d’Hitchcock, Allemagne année zéro de Rossellini), d’œuvres plus récentes (Matrix) ou encore analyse l’émergence d’un style, ici le roman noir. Loin de la psychanalyse appliquée, Slavoj Zizek semble préférer poser la question dans l’autre sens : qu’est-ce que cette production (aujourd’hui dans la culture populaire) peut nous dire du monde ?

La naissance du roman noir, et plus encore son pendant visuel le film noir est analysée par opposition au roman/film policier classique (codes, structure narrative, et surtout nouvelle position subjective du héros) qu’il met en lien avec un contexte post seconde guerre mondiale qui tend à remanier les systèmes de pensée.

Nombre de clichés, symboles, récurrences trouvent peu à peu une signification plus complexe. Ainsi, le personnage de la femme fatale, propre au roman noir, n’existe que par rapport à un héros ou anti-héros, lui-même n’existant (littérairement) que suite à un contexte et une évolution socio-politique… autrement dit, une évolution (sans idée de progrès) de la vie et des vies humaines.

Peu de psychanalyse en tant que telle, mais Philip Marlowe, héros récurrent des romans de Raymond Chandler, incarné à l’écran notamment par Humphrey Bogart, devient sous la plume de Zizek l’un des points de capiton par lequel les différentes questions vont être abordées : la femme est-elle le symptôme de l’homme ? (la femme fatale est-elle le symptôme du détective ?). Pourquoi y a-t-il toujours deux pères ? l’auteur compare Philip Marlow et Dale Cooper (le détective de Twin Peaks, la série de David Lynch), selon qu’il s’agit d’un rapport à un père humilié ou à un Autre paranoïaque.

Le lecteur néophyte pourra se familiariser avec des concepts expliqués simplement, définis et redéfinis (le passage du point de vue lacanien au point de vue hégélien est clair) par le biais d’analyses originales d’œuvres cultes. Le lecteur plus averti sera quant à lui probablement plus sensible aux points de jonction et/ou divergence entre les points de vue analytique et philosophique ; tous deux auront pourtant probablement envie de courir jusqu’à la librairie la plus proche ou de passer un week-end à visionner les films évoqués !

Deux aspects semblent devoir donc être mis en avant : la finesse et la rigueur des concepts psychanalytiques déployés tout comme les illustrations ou exemples à portée pédagogique d’une part, et d’autre part, mais par contingence, une approche structuraliste non-figée qui finalement semble pouvoir renverser la dimension de psychanalyse appliquée pour se muer en une approche du monde par l’intermédiaire de ses productions.

Alors si un auteur écrit toujours le même livre, seront préférées à tout autre ouvrage se revendiquant de la psychanalyse, les déclinaisons des avènements et/ou annihilations du sujet dans le monde contemporain dépoussiéré selon Slavoj Zizek.