Avec son dernier livre, A. GREEN s’attelle à visiter les échecs de la psychanalyse. Il poursuit par là l’exploration des pathologies non-névrotiques, ce vaste champ des états limites, dont il est un auteur majeur. C’est aussi le prétexte d’une réflexion plus large, sur la psychanalyse, son cadre, son fonctionnement, certains aspects de son histoire ainsi que d’un retour et d’une mise au point d’idées et de concepts métapsychologiques qui lui sont particulièrement chers (le narcissisme avec ses deux valences, le négatif, la pulsion de mort et la destructivité, la fonction métaphorisante du cadre etc.).

Le livre s’ouvre sur un récit clinique, celui du cas célèbre de « Marylin Monroe ». Si la pertinence de ce choix pour illustrer son propos n’est pas d’emblée visible tant le travail accomplit par R. GREENSON avec Marylin se situe loin de la cure type, il apparaît dans une seconde lecture que l’essentiel des intentions de l’auteur y est condensé.

Marylin est présentée comme « un cas exemplaire d’échec du traitement psychanalytique ». Son histoire, comme le souligne A. GREEN plus loin, témoignerait de l’importance des traumatismes précoces et répétés, des défaillances de l’environnement et plus particulièrement de la mère dans la genèse de ses formes de structurations psychopathologiques. Il montrerait aussi les limites d’une attitude qui se voudrait trop réparatrice de la part du psychanalyste, R. GREENSON étant allé jusqu’à faire entrer Marylin dans son cercle familial avec l’idée de lui donner le climat affectif qui lui avait manqué, cela avec l’issue que nous connaissons. R. GREENSON, peu de temps après ces événements, aurait lui-même envisagé d’écrire un ouvrage sur les échecs de la psychanalyse, projet qu’il aurait ensuite abandonné.

« Illusions et désillusions » est donc aussi une interrogation sur le couple analytique. A partir de la personnalité de R. GREENSON, psychanalyste intègre, passionné par le cinéma, fasciné par Hollywood où il avait ses entrées, et peut-être par Marylin, A GREEN montre comment la coïncidence et la collusion d’enjeux narcissiques bilatéraux sont un obstacle au traitement psychanalytique, comment le contre transfert du psychanalyste est pris dans une structure qui dépasse l’espace du cabinet de l’analyste et peut constituer un véritable obstacle au travail analytique. Ce qu’illustrent pour partie certains des cas cliniques qu’il nous propose plus loin (Cette patiente qui partage avec son analyste une passion pour la musique classique ; cette autre qui est personnellement adressée à A. GREEN, jeune psychanalyste, par Lacan lui-même déjà en pleine renommée etc.).

Les références théoriques d’A. GREEN sont multiples. S’il tient fermement à la relation d’objet il n’abandonne pas pour autant les pulsions ; s’il défend avec ardeur la dernière théorie des pulsions et plus particulièrement la pertinence de la pulsion de mort, il tient avec beaucoup d’insistance aux narcissismes, positif et négatif ; de même, gardien des lois d’airain de la cure type il n’hésite pas à envisager des variantes de cadre ou de modalités de présence de l’analyste imposées par la nécessité de contenir, de protéger, de venir en aide à des patients en grande souffrance et parfois en grand danger.

De même, en remerciant dès les premières pages les auteurs qui ont compté dans son parcours intellectuel A. Green rend hommage à quelques une des principales figures de ce premier siècle de la psychanalyse : S. FREUD évidement qui lui est une référence constante, mais aussi Lacan bien qu’il soit très critique envers lui et enfin WINNICOTT et BION. Il brosse à ce sujet quelques pages très didactiques sur les apports de l’école anglaise.

Cette pensée foisonnante ainsi que l’ordonnance de l’ouvrage (un récit clinique sur Marylin Monroe ; une succession de chapitres théoriques de longueur très variable, l’exposé détaillée de plusieurs situations cliniques, et enfin de deux chapitres, dont l’auteur nous annonce qu’ils n’ont plus rien à voir avec ce qui précède et qui explorent les rapports de la pulsion de mort et du négatif entre phénomènes sociopolitiques et psychopathologie) donnent peut-être en première lecture une impression de manque de cohésion à laquelle semble répondre en contre point le projet de la postface de Fernando Urribarri qui nous propose, lui, un itinéraire chronologique et ordonné de la pensée d’André Green dans lequel il restitue une place à ce dernier livre.

Cette construction pourrait être une illustration de ce que GREEN à lui-même définit en un temps comme « La pensée clinique » (2002), c'est-à-dire différemment d’une théorie de la clinique, qui lui coexiste ou qui la précède, « un mode original et spécifique de rationalité issu de l’expérience pratique ». L’entrée en matière par un récit clinique (Marylin) n’est ici pas quelconque d’autant qu’une grande partie du livre est dédié à des récits de cas (les exposés cliniques, nombreux, constituent géographiquement et symboliquement le cœur du livre). Si nombres d’ouvrages sont construits autour d’une idée directrice ou d’une hypothèse qui est explorée ou poussée (usée) dans toutes les directions possibles, « Illusions et désillusions » trouve sa logique à être construit autour de cette interrogation portant sur un problème lié à la pratique : l’échec de l’analyse. A parti de là, la pensée de l’auteur emprunte différentes voies, explore les concepts, les auteurs, le cadre analytique, les fonctions du langage ; passe de l’intrapsychique à l’intersubjectif ; de la destructivité comme manifestation intime à son expression en tant que phénomène historique. « Illusions et désillusions » évoquerait ainsi, en plus ordonnée et complexe, marquée par l’exigence de son auteur, la pensée vagabonde du psychanalyste en séance ; sa logique narrative conserverait la marque de ses origines.

C’est que le sujet ce prête à ce type de logique qui témoigne d’une clinique qui se laisse difficilement saisir. Probablement parce qu’il y a derrière ses situations d’échecs des organisations psychiques ou des structures (si l’on tient compte de l’ensemble des éléments qui entourent la cure) très différentes ; mais encore parce que ces patients, notamment si on pense aux organisations dites limites, ont des modalités de fonctionnement psychique très hétérogène, peut-être même d’un moment à l’autre. Ainsi chaque ouverture théorique proposée par A. GREEN, chaque chapitre, prendrait l’empreinte d’aspects éclatés de ces fonctionnement et au final permettrait seulement de cerner une problématique qui ne se laisse pas décrire avec précision.

A. GREEN apporte cependant quelques réponses. Tout en soulignant la nécessaire illusion-désillusion qu’engendre le processus analytique du fait même des vicissitudes du transfert et en relativisant la notion d’échec, il rend responsable de ces défaites avérées « un mélange aux caractéristiques délétères associant des mécanismes de défense archaïques et la violence de la destructivité, potentialisé par une forte composante négative du narcissisme ». Il s’interroge aussi sur la manière dont sont posées les indications de la cure type.

Dans une dernière partie il propose de rapprocher deux formes de négatif : l’un individuel, marqué la destructivité sous l’égide d’un masochisme inconscient ; l’autre, à l’image des totalitarismes du XXème siècle, témoignant d’une forme de perversion du lien humain ; l’un s’ingéniant contre la vie, l’autre contre la vérité. Ce rapprochement peut être compris comme une hypothèse concernant l’étiologie des cas limites : la rencontre dans les premières relations d’objet du négatif sous la forme de la pulsion de mort d’un autre ; et l’introjection des défenses mis en scènes dans cette rencontre, l’identification pour soi à ce mode de fonctionnement par le mécanisme qu’il nomme à cette occasion « intériorisation du négatif » et qui deviendra destructivité interne agissante comme mode de fonctionnement privilégié.

Pour un psychanalyste dont le nom se confond avec l’histoire de son art depuis ces quarante dernières années et dont la voix a porté avec force sur la scène des principaux débats qui ont animés cette période, évoquer ses échecs si ouvertement est gage d’une honnêteté intellectuelle incontestable. Fidèle à son habitude, A. GREEN n’idolâtre personne. Ses remarques, nourries par une très longue expérience clinique ainsi qu’une connaissance approfondie et précise de la métapsychologie, n’épargnent ni S. FREUD, notamment lorsqu’il évoque sa difficulté à théoriser le cadre, ni LACAN bien sûr avec qui malgré des oppositions très nettes sur la conduite des cures ou sa théorie de l’inconscient, il semble entretenir un dialogue contradictoire et fécond ; ni lui-même en fin de compte du fait même de ce qu’il expose de sa pratique avec semble-t-il beaucoup de liberté. Le ton est donc critique mais toujours d’un point de vue des idées ou de la théorie, avec la pratique de l’analyse et la souffrance des analysants comme préoccupation centrale. Pour toutes ces raisons le livre d’André GREEN aurait pu constituer une des réponses les plus adéquates à la mystification de M. ONFRAY. Il en est tout de même une en se tenant à l’écart de cette polémique qu’il semble ignorer (volontairement ou du fait du calendrier éditorial ? ), polémique qui comme l’ouvrage qui l’a suscité n’ont de profonde raison d’être qu’à conforter « la société du spectacle » qui les a rendu possibles.

André GREEN situe son dernier livre dans les prolongements de ses réflexions sur « Le travail du négatif » (1993) et de « Pourquoi les pulsions de mort et de destruction ? » (2007). F. URIBARRI y voit pour sa part le couronnement de la dernière partie de son parcours intellectuel. « Illusions et désillusions » a, il est vrai, les allures d’une synthèse, d’une sorte d’abrégé, mais aussi ceux d’une postface à l’ensemble de son œuvre. Cependant, en raison des apports nouveaux qu’il intègre et des hypothèses qu’il propose, c’est aussi un livre ouvert sur l’avenir.

Michel PICCO

Lyon - Aix en Provence

Comments (1)

green est le genre d'auteur à faire croire au naïf qu'il apporte toujours quelque chose alors qu'il est d'une répétition consternante. sans compter que souvent trois cent de ses pages ne valent pas dix lignes d'un freud . somme toute il ne s'est jamais remis de ne pas enseigner . quelle errance !