LACAN, » L'inconscient réinventé », 2009, PUF Colette Soler

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Ce texte reprend et  problématise des développements issus de plusieurs années de séminaires à l’école de Psychanalyse des Forums du Champ Lacanien. En quelques 200 pages, Colette Soler, réinterroge dans son long la trajectoire de l'enseignement de Lacan. Le lecteur habitué aux grandes synthèses de l'enseignement de Lacan trouvera ici un bon capitonnage. Mais cet ouvrage va bien plus loin qu'une synthèse puisqu’au-delà et par-delà les points d’impasses, au détour des « moments féconds » de la recherche chez Lacan  – qui n’apparaissaient souvent que dans une fulgurance déconcertante – , l’auteur cherche ce qui en animait, dans son fond, la démarche et ce qui en résulte aujourd’hui « pour la clinique des sujets, des symptômes, des affects et pour la pratique de la cure, sa fin, et sa portée. »  Les deux derniers chapitres seront consacrés respectivement aux conséquences cliniques et à la politique de la psychanalyse. Je parlerai ici du premier consacré à la concrescence de cet aspect inouï de l’inconscient lacanien.  

Il y a là une volontaire façon de travailler le gap central opéré par Lacan en tenant ensemble le plan des remaniements et celui plus chronologique des sauts épistémologiques, le plan de l'énonciation et de celui de l'énoncé – bref celui de la synchronie et de la diachronie. Colette Soler tente de saisir, démonstrations à l'appui, montre que ce qui constitue la véritable recherche est solidaire – dépendante– d'une invention sans précédent : l'inconscient dit Réel : ICSR. Suffisait-il à Lacan d'insister sur ce qui n'avait pas été compris du champ freudien, ni par les intellectuels d'avant-garde, ni par les psychanalystes ?  Au-delà du retour à Freud, bien nécessaire, le ton de l'auteur nous invite et nous incite à penser un retour à Lacan (C’est bien sûr ici moi qui le dit et non explicitement l’auteur.) Il faudra préalablement  se déplacer au-delà de l’ancienne (mais non triviale) opposition entre le Lacan structuraliste et celui du nœud borroméen pour apprécier l’hypothèse d’un Lacan inventeur de l’inconscient et non pas seulement de celui du « retour à  Freud » ou encore de celui de l’inventeur de l’objet a – soit ce qui objectait au seul pouvoir du Symbolique.

De  "Radiophonie" au séminaire Encore, les indices sont présents tout au long de l'enseignement comme autant de verdicts qui résonnent encore aux oreilles de ceux qui l'on "entendu" : de l'objet du fantasme "Savoir vain d'un être qui se dérobe..."  verdict de 1967 ou mirage d'une fin qui se ferait Savoir, au « nœud-bo »  Lacan n'a jamais eu de cesse de traquer ce qui pouvait valoir comme fin et finalité dans le procès analytique.

Autre ponctuation: celle de 73, tout à la fin du séminaire Encore, où il précise l'idée d'un savoir sans sujet constituant de ce qui a pu s'appeler  un appareil de jouissance : des signifiants désarrimés de leur fonction de représentation, soit ce que Lacan épinglera sous le néologisme de lalangue  qui « articule [1]des choses qui vont beaucoup plus loin que ce que l'être parlant supporte de savoir énoncé ». C'est en effet la question du savoir qui devra être revisitée, non pas tant pour ses accointances avec celui de la science qu'au regard de ce qui dans l'insu fait pourtant signe ? Signe et non pas signifiance, renvoi – en somme le chemin de l'expérience de l'Autre dans la cure – d'un reste, d'un quelque chose, insu, in-associable mais indissociable des ratés  du discours – « intégrale des équivoques » disait Lacan. Cet en-deçà du signifiant, matérialité du signe (d'un ça jouit), Colette Soler nous en donne le modèle (réduit) à travers, non pas du rêve où se dénonce une certaine plasticité imaginaire propre à l'association et qui ouvre d'abord sur « dit-mension » imaginaire, mais via le lapsus qui dispose différemment de l'imaginaire : le lapsus produit une sorte de faute de frappe, un saut de lettre, une substitution, ce que fait le rêve aussi, mais sans l'aide de l'imaginaire. Reprenant avec clarté une expression comme l « esp d'un laps » du séminaire Encore,  soit ce qu'il faut de temps pour que le sujet « hystorise » - tente d'atteindre une vérité, L'auteur revient sur une question cruciale : Que devient le laps, ce temps du dit « raté », soit le mot pris dans sa forme néologique, hors chaîne, hors sens, ombilic, une fois les sens épuisés ? C'est de ce « noyau psychotique » qu'est donné le modèle dans la cure – de la chute du sujet supposé savoir qui fait le rond du transfert (soit la supposition imaginaire de l'union du savoir et du sujet)  -

Il y aurait  donc une prévalence pour l’inconscient-lapsus chez Lacan comme voie royale à l’inconscient réel.  Deux inconscients, donc ?  Un inconscient révélateur du manque à être, du désir, du symbolique, freudien, et dont l’objet a en livrerait la science et un autre, plus réel, innommable, pur évènement du traumatisme de la langue sur les corps, et qui dénonce le parlêtre, soit, la jouissance du  fait de dire ?  La thèse va bien plus loin et c’est le psychanalyste postfreudien qui en fera les frais au moins au titre du mirage/miracle du nom-du-père comme effet normalisant. A supposer dès le départ que la recherche de Lacan serait structurellement un travail de négativation – ce qui est loin de la pensée de l’auteur – cela ne suffira pas à l’analysant de s’ « épargner le chemin parcouru » (voir  le passage sur Joyce, qui lui, s’est épargné ce chemin) de l’exténuation du sens. Non, tout  au fil de ce travail, Colette Soler s’attache précisément à en montrer l’indissociable nouage (du moins dans le cadre de la cure). Toutefois, ce qui était mis au compte de la parole vide, « remâchant ses ritournelles, s'avère alors n'être pas si vide, car saturée des signes jouis de lalangue,  et elle impose à l'analyste la tâche spécifique que le sujet donne aux mots, cette jouissance opaque posant la question de savoir si le maniement de ces temps n'est pas plus important dans une analyse que celui où se recueille les perles de vérité d'un sujet .» (p. 184).  De là, et depuis le paradigme de l’ICSR,  la  promesse analytique s’en trouve en effet modifiée, car il s’agira de la singularité de la jouissance, d’une fin obtenue au titre des satisfactions du sujet, ou/et de l’indentification au symptôme. 

Revenons sur un point encore à propos de ce type d’ouvrage. Nombreux sont les auteurs qui ont tenté une synthèse de l'enseignement de Lacan. A commencer par Lacan lui-même (cf. Mon enseignement…). Il suffit de nous rappeler cette thèse d'Anika Lemaire dont on retient de la longue préface de Lacan que c'est l'objet d'étude lui-même qui était  impropre à faire thèse. Il ne  s'agissait alors que des "Écrits". Mais n'en est-il pas de même de son enseignement ? Il est un fait que Lacan à toujours échappé à la maladie de la compréhension, aux démons de l'analogie, aux pentes philosophantes, aux rondes  démonstrations infectées par la symétrie, ou pire,  à  l'enforme du modèle universitaire. Qu'a-t-il voulu dire ? Que faut-il en retenir ?  Tout cela se mêle inextricablement à un "Où cela nous entraîne-t-il" ?  Interroger ce qui fonde la  trajectoire d'un enseignement est louable à certaines conditions.  L’une d’elles m’apparaît plus louable que d’autres et la version « du retour à »  a toujours son importance quand un auteur s’y risque. Cet inconscient ré-inventé que déplie avec vigueur et rigueur Colette Soler méritait certainement une version écrite, ouverte à tous ceux que la question de l’inconscient interroge aujourd’hui.

 

 Robert Bitoun.

[1] J. Lacan, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 127.