Autant le dire tout de suite ma rencontre avec ce livre dans le cadre du prix Oedipe fut une Blind date

Anne Dufourmantelle, « Blind date. Sexe et philosophie », Paris, Calmann-lévy, 2003.

. L’or déposé par les analysants dont les récits se succèdent au grès de quelques vingt huit chapitres (heureusement très courts) d’En cas d'amour, s’est transformé en ce triste plomb qui fait tomber les livres des mains. Je me suis pourtant résolu à le reprendre en plusieurs fois afin d’en faire ce compte rendu au risque de déplaire à celles et ceux qui ont aimé ce livre.

Anne Dufourmantelle, manifestement attirée par le chant des sirènes, fait avec ce livre un plongeon dans la mer agitée des passions amoureuses. La suivre dans ce mouvement pouvait a priori paraître séduisant car, force est de constater que dans notre monde où dominent les neurosciences, la question de l’amour ne fait plus guère fantasmer que l’industrie pharmaceutique. Le problème est qu’en voulant nous emmener dans les grands fonds de la psychopathologie amoureuse, Anne Dufourmantelle se confronte à l’impossible écriture d’un rapport entre les sexes sans tenir compte des leçons de Lacan qui, lui, avant d’écouter le chant des sirènes, comme Ulysse, avait soin de s’attacher au mât du navire1.

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de l'auteure (Source :France Culture)

- France Culture

C’est en effet une succession de « vignettes » que propose cette philosophe-psychanalyste. On serait tenté de parler de « collection » si une référence était faite au pastout lacanien. Le pastout chez Lacan, en s’opposant à l’universel du tous, rend mieux compte de la psychopathologie de la vie amoureuse que ces vignettes construites comme des exceptions (cf. la particulière minimale de J. Brunschwig), qui ne feraient que confirmer l’existence d’un monde que l’auteure d’En cas d'amour, voudrait nous faire atteindre.

On a bien sur le droit de ne pas aimer Lacan ni d’être lacanien —« Et Lacan, sur ses traces, bien qu’empêtré, jargonnant, hésitant écrit … »2 — mais alors, comment défendre la psychanalyse en 2009 en faisant l’impasse sur la clinique et la structure des cas présentés dans cette psychopathologie ? Parce qu’elle ne « dispose d’aucune carte »3 Anne Dufourmantelle n’hésite pas, pour y voir plus clair, à errer dans Paris avec son analysant de façon  péripatétique4. En voulant faire de son discours un discours qui ne serait pas du semblant, A.D. tombe dans le même travers que les auteurs du DSM qui par leur attachement au symptôme, éliminent le diagnostic de structure et laissent de coté la part de jouissance qui s’y attache.

A un moment où la psychanalyse est de plus en plus menacée par les fausses sciences et la religion, j’attendais de ce livre autre chose que la description de cures envisagées comme l'histoire des Atrides sans cesse recommencée

Ibid., p.167.

. L’analyse n’aurait-elle donc pour Anne Doufourmantelle que la dimension psychothérapeutique de la fonction cathartique ? A la suivre, ne risque-t-on pas de voir le dire de l’analysant une fois recodé par l’écoute « autre » de son analyste5, réaliser le fantasme de l’analyste ?

La question de l’amour qui fait souffrir est une question importante car elle ouvre sur celle de la jouissance et du réel et il est bien dommage que ce livre, en s’attachant trop à une vérité historique reconstruite par le psychanalyste autour de l’archive, privilégie le symbolique et passe à coté de la complexité étiologique de la maladie6. Cédant sur l’indécidabilité de l’événement de l’amour en tentant d’y décerner une vérité sans aborder la question de la psychose, Anne Dufourmantelle est tombée dans les écueils du platonisme dénoncés par Lacan. Ainsi, par exemple, face à la question du suicide de son analysant évoquée dans son chapitre « L’amour l’enfant », on peut se demander si l’auteure d'en cas d'amour ne préfère pas rester éblouie — tout comme l’était le chœur dans les tragédies grecques— par l’éclat de la beauté du drame incarné. Si c’est le cas, le Psychopathologie de la vie amoureuse qui figure sous le titre est de l’ordre d’un mauvais witz.

Jean-Paul Kornobis, septembre 2009

  • 1.

    « C’est sans doute pour ça que le psychanalyste, comme Ulysse le fait en telle conjoncture, reste attaché à un mât... oui ! ... naturellement, pour que ça dure, ce qu’il entend comme le chant des sirènes, c’est-à-dire en restant enchanté, c’est-à-dire en l’entendant tout de travers, eh bien, le mât, ce fameux mât dans lequel naturellement vous ne pouvez pas ne pas reconnaître le phallus, c’est-à-dire le signifié majeur, global, eh bien! il y reste attaché et ça arrange tout le monde. » (J. Lacan. Ou pire ..., déc. 1971).

  • 2.

    Anne Dufourmantelle, « En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse ». Paris, Manuels Payot, 2009, p.48.

  • 3.

    Ibid., p.187.

  • 4.

    Ibid.,. 158.

  • 5.

    Ibid., p. 167. « Parfois il faut brusquer les choses, se mettre à écouter autrement, ne plus faire payer les séances, revenir au silence absolu, écrire ensemble des petits papiers dispersés dans la nuit comme les cailloux du Petit Poucet, inventer des chemins de traverse entre les cauchemars et la veille, s’immerger dans la musique violente, espacer les rencontres, étirer le temps à l’infini, inventer un autre espace, aller ensemble sur les berges d’un fleuve. »

  • 6.

    Sigmund Freud, « Résultats, idées problèmes II », Constructions dans l'analyse, 1937, Paris, Puf, 1985, p.280-281.

Comments (1)

J'ai été très déçu par ce livre, qui mélange des genres difficilement conciliables, l'essai clinique et le roman. L'auteur ne semble pas s'appuyer sur un effet d'après-coup de l'écriture des situations analytiques qu'elle décrit. Elle reste comme fascinée, transportée, captivée - ce sont ses propres termes- par le dire des analysants, ce qui laisse peu de chances et de place pour des effets structurants de l'analyse. Quant à son plaidoyer pour dénoncer le traitement des états maniaques, qui seraient juste proches de l'état amoureux, il est caricatural et pathétique pour le coup. Ecrire que la manie recèle une "extraordinaire réserve de douceur, d'intelligence, de bonté, de créativité", est un défi de funambule, une belle manière de nier la souffrance des personnes ayant des troubles bipolaires...Un auteur explique récemment combien sa créativité était vaine en état maniaque ou mélancolique, et qu'il était prolixe seulement quand il allait bien, sous traitement...Un livre qui se perd donc dans la féerie des contes et dans le "il était une fois.." et laisse dubitatif quant à l'écoute de l'analyste, même si inévitablement l'écriture "ramasse" forcément un peu la description. Analyser, est-ce possible lorsqu'on se laisse séduire et qu'on y va de ses propres fantasmes ou projections?