Ce livre aborde à partir de cette question première, nombre de questions (l’oedipe, le diagnostic, la violence, la perversion, le discours capitaliste, l’homosexualité, le gadget et la honte, Dieu, le bonheur et le bien-être, le symptôme…) qui se posent aujourd’hui aux psychanalystes dans une civilisation qui n’est plus vraiment celle du temps de Freud.

Un fil sous tend l’élaboration de chacune, une précision rétablie au sujet d’une citation souvent entendue « se passer du père à condition de s’en servir », qui a pu parfois prendre statut d’aphorisme, de formule quasi-magique en transformant le propos de Lacan :

« L'hypothèse de l'inconscient, Freud le souligne, ne peut tenir qu'à supposer le Nom-du-Père. Supposer le Nom-du-Père c'est Dieu. C'est en quoi la psychanalyse, de réussir, prouve que le Nom-du-Père on peut aussi bien s'en passer à condition de s'en servir. » (Séminaire XXIII- Le sinthome p 136 - Editions du Seuil)

Ce signifiant « Nom-du-Père » n’est pas facile à concevoir et théoriser, le malentendu y est peut-être plus qu’ailleurs de mise. Lacan a travaillé à le dissiper au fil de son oeuvre, en le dégageant de son fondement religieux, allant jusqu’à le pluraliser puis le situer en fonction de semblant…

Et c’est en quelque sorte un retour à Lacan qu’opère Christian Demoulin dans son ouvrage en interrogeant et éclairant les impasses psychologisantes ou idéologiques dans lesquels la psychanalyse et les « post-lacaniens » sont parfois conduits aujourd’hui à se fourvoyer.

Cheminant au plus près d’une démarche analytique (analysis : décomposer un tout en ses parties, envers de sunthesis : réunir des parties en un tout), Christian Demoulin fait la part de ce qui relève la fonction symbolique et de la consistance imaginaire.

Il affirme dés lors «La psychanalyse n'est pas une idéologie. Sa tâche de la ne consiste pas à définir ce que devrait être le système symbolique de notre société. Elle est d'abord une pratique… », hors de tout parti pris idéologique, qu’il soit conservateur côté nostalgie du patriarcat ou libertaire versant droit à la jouissance.

Sa mise en garde reste dans le droit fil de la découverte freudienne « La psychanalyse est incapable de créer une Weltanschauung (conception du monde, solution homogène à des problèmes différents) qui lui soit particulière ». (« Sur une Weltanschauung » in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse - p 243 - Editions Gallimard)

Au cours de cet ouvrage, Christian Demoulin, à l’appui de ses travaux antérieurs, s’applique quelle que soit la question abordée, à différencier, décoller ce qui tend, de structure, à être si souvent confondu :

- la place et la fonction du père et celle du Nom du Père

- le père réel effectif et le père réel mythique,

- la fonction de la métaphore et celle de la métonymie

- l’oedipe synchronique (celui de la métaphore) et l’oedipe diachronique de référence familialiste

- le père qui nomme et le dire qui nomme (qu’il soit ou pas paternel)

- la nomination qui participe d’un dire et le « nommé à » participant de la prescription quelquefois impérative

- l’idéal familial propre au discours du maître et l’idéal de réussite individuelle promu par le discours capitaliste

- la consommation et la sublimation : deux possibles et contemporains destins de la pulsion 

- la psychanalyse et la religion

- le bonheur imprescriptible et le bien-être planifié

Il propose au lecteur un parcours qui peut paraître de prime abord quelque peu dispersé compte tenu de la diversité des questions abordées, c’est au fil de l’ouvrage que s’affirme clairement son propos essentiel et le désir persévérant de son auteur : éviter la dérive du discours psychanalytique vers le discours du maître.

Christian Demoulin chemin faisant en vient ainsi au terme de cet écrit à avancer pas sans humour, et quelque audace à l’envers du discours courant : « il n'y a de bonheur que du symptôme ».