Colette Soler pratique et enseigne la psychanalyse à Paris. Ancienne élève de l'ENS, agrégée de l'Université, diplômée en psychopathologie et formée par J. Lacan, elle fut membre de son école. Elle s'est trouvée en 1998 à l'origine de l'internationale des Forums du champ lacanien et est membre fondateur de son École internationale de psychanalyse. w.puf.com 20 € TTC France

LACAN
LECTEUR de Joyce

Avec son titre Joyce le symptôme, Lacan faisait un retour à Joyce pour lequel il avait déjà formulé un diagnostic en 1967, le rangeant parmi les Pères des « diologues », entre Moïse et Maître Eckart. Dire symptôme n'exclut pas la logique mais ajoute autre chose, le métabolisme de la jouissance. Tout ce qui dérive de l'Œdipe freudien en tient le père pour responsable. Lacan, lui, s'inscrit en faux, le discours analytique procédant sans « recours au nom du Père ». Ici se place son appel à Joyce.

Ce que Lacan cherchait alors pour la psychanalyse, James Joyce l'a réussi par son art. Il fournit alors à Lacan l'exemple pour ainsi dire spontané, non analytique, qui apporte latéralement de l'eau au moulin de sa thèse d'une psychanalyse... réinventée, qui se passe du Père. Mais surtout un exemple qui montre ce qu'il faut bien appeler l'efficace du sujet, qui loin d'être seulement un effet du language ou du discours comme il l'a d'abord développé, est aussi origine, origine possible d'un dire constituant. Exemple sans prix dans notre époque de déploration des carences du discours.
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Pour le psychiatre, comme pour le patient, le livre de Soler pose une question essentielle touchant aux assises mêmes du sujet qui transparaît et se dévoile, tout en étant mis au travail par ses/son symptôme(s). Cette question est contemporaine des thérapies « nouvelles », puissent-elles être « éternellement nouvelles » (celles qui ne sont pas encore l’objet du travail du négatif comme le refoulement) et des mirages qu’elles offrent en terme de « guérison » dans le champ de la santé mentale.

La réflexion est la suivante : quelles valeurs pouvons-nous accorder à notre /nos symptôme(s) ? À la suite de Lacan, Soler met en évidence que l’œuvre de Joyce ainsi que le processus à l’œuvre, tiennent lieux de symptôme chez le génie littéraire. Au titre de symptôme, l’écriture complexe de Joyce, de par sa richesse polysémique (certains mots pourraient renvoyer à des dizaines de significations dans des dizaines de langues…), entraverait toute compréhension univoque.

De ce que nous comprenons de l’ouvrage de Soler, la richesse polysémique de l’écrit aurait redonné la parole au sujet qui dans sa réalité familiale et relationnelle n’aurait eu de choix que de se taire. À la lumière du nœud borroméen, le symptôme aurait « sauvé » la structure. Si pour certains de ses contemporains cités par Soler, les livres de Joyce ne constituaient pas de la littérature, quelle valeur attribuait-il à cet étrange désir d’écrire sur l’impensable ? Et quelle valeur reconnaissons-nous à ce qui nous reste impensé ?

La clinique des structures non névrotiques renvoient à des contenus psychiques impensables, et aux aménagements symptomatiques auxquele le sujet a recours afin de continuer à se sentir exister. Comme image romantique et littéraire d’un véritable travail de symptôme, l’œuvre de Joyce et les réflexions de grands psychanalystes donnent l’exemple de tels aménagements autour des limites de ce que le sujet peut/doit élaborer.

Benjamin Lévy
Note sur Lacan, lecteur de Joyce