Les longs silences de Cécile Portier

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Cecile Portier
Les longs silences de Cécile Portier

Quand une femme écrivain, douée et sensible comme l’est Cécile Portier, se fait hospitaliser dans une clinique psychiatrique le temps de résorber ce qu’il est désormais convenu de nommer un « burn out », il peut arriver qu’ensuite un livre garde trace de cet épisode douloureux. Ainsi sont nés Les longs silences, livre grave, doux et décalé qui dessine à traits brefs la couleur des jours passés à l’écart du monde.

Des raisons qui l’ont conduite en ce lieu d’internement (parce que l'interne ment, note-t-elle) l’auteure dira peu de chose, mais ce peu suffit pour entendre que ce qui l’a minée ne concerne pas qu’elle :

Nous devons obéir à des ordres qui se font passer pour l’ordre des choses. Nous échouons. Pourtant nous savons très bien obéir. A quoi obéissons-nous ? A des désirs qui s’avancent masqués. Si on le comprend, même confusément, on essaie de faire pareil. Nous essayons des masques, d’où nous débordons toujours. Nous ne savons pas détourner les ordres, et leur violence, sur d’autres corps que le nôtre.

Et d’ailleurs sait-on jamais ce qui provoque la chute ?

En arriver là pourquoi ? c'est la question que tout le monde voudrait se poser, c'est la question presque impossible.

D’une page à l’autre, par fragments brefs, Cécile Portier décrit le monde d’abord étranger puis plus familier où elle se trouve plongée. Par sa façon précise de nommer les détails du décor et ceux de l’organisation de l’espace et du temps, par son acquiescement étonné à ce qui sera pour un temps une autre façon de vivre, elle entraine le lecteur au cœur de l’expérience d’une hospitalisation en psychiatrie. Et si le texte nomme, il ne juge pas. Il énonce.

Avant d’entrer ici on passe par le service des admissions. C’est sûr que d’entrer ici, c’est difficile à admettre.

Je range ma chambre tous les matins, parce que c’est facile. Elle est petite et je n’ai pas beaucoup d’affaires. Je range ma chambre tous les matins parce que ce n’est pas ma chambre. Tout est blanc et beige dans cette chambre qui n’est pas la mienne.

Ca toque souvent à la porte de cette chambre qui n’est pas la mienne. Ca toque pour apporter le petit déjeuner. Ca toque pour apporter les médicaments. Ca toque pour laver le lavabo, les sanitaires, le sol, ça toque pour la consultation, ça retoque pour prendre la tension, et ainsi de suite, ça toque.

La notion de distance, ici, n'est pas plus atteignable que la notion du temps. Tout se géométrise, en circuit fermé, et cesse d'être orienté. On n'en est pas encore à chercher la sortie.

Avec la même attention et la même disponibilité dirait-on, elle décrit aussi comment peu à peu elle s’approche des autres patients.

Parfois embarrassée de se tenir à l’écart d’eux,

A les observer ainsi, je me sens usurpatrice, témoin aussi, impartial, extérieur, de ma propre faiblesse. Toujours quelque chose en plus, en moins. De la vigilance en plus, de la légitimité en moins.

elle les regarde avec une perplexité jamais dénuée de tendresse. C’est peut-être là d’ailleurs ce qui fait l’originalité des Longs silences. Il ne me semble pas, en effet, avoir souvent lu comment l’expérience d’une hospitalisation en psychiatrie, singulière par nature, confrontait à des autres qui, même défaillants comme on l’est soi-même, peuvent devenir secourables. Car si l’auteur découvre d’abord ces autres comme porteurs d’énigme

(Celle qui tricote une écharpe rouge au fond d’un canapé et qui brusquement s’endort)

ou comme miroir,

Nous ne nous voyons pas comme nous sommes. Nous nous regardons. oui, nous nous regardons. Nous voyons nos faiblesses. Nous voyons comme nous sommes nombreux, comme nous sommes seuls.

de gestes furtifs en regards à peine appuyés et en silences partagés, quelque chose se transformera d’où surgira la possibilité d’une entr’aide,

Nous devenons les uns pour les autres, des animaux familiers. On ne sait pas tout, on sait être à côté, se réconforter.

Et de là, la possibilité d’être une parmi les autres, humaine par les autres humains :

On se dit que ça va être difficile. Mais quand même : nous qui sommes défaillants, nous avons quelque chose à donner.

Les longs silences est un livre délicat. On est ému par les petits signes qui vont construire des rencontres, ou pas, avec ces autres que l’auteure croise, auxquels elle adresse quelques mots qui ne restent pas toujours sans réponse, des autres dont elle s’éloignera par moment,

J’ai repéré une certaine place dans le jardin où l’on n’est pas top vu sauf par le soleil, et s’il n’y a pas de vent on a presque trop chaud. Partout ailleurs, dehors, partout, j’ai froid.

mais avec lesquelles elle pourra aussi jouer, dessiner ou même danser.

Et quand surgira le miracle d’une brève rencontre, aussi mystérieuse qu’inattendue,

Aujourd’hui il fait bleu, le petit monsieur triste qui ne sait pas sourire m’a souri. Vraiment souri. Pas longtemps, mais vraiment.

Alors pourra s’espérer la fin du marasme et celle de la désorientation. car

Nos espaces de réponse s'élargissent.

En ces temps de furie et voix vociférantes, Les longs silences offre une petite plage de douceur et tranquillité, non dépourvue d’humour. Ne nous en privons pas.

Les longs silences, Cécile Portier, éditions publie.net, 2015, 115 pages, 13 €. Préface de Pierre Ménard. Le texte est publié en version papier, donnant accès pour le même prix à sa version électronique.

Pour découvrir mieux le travail de Cécile Portier, on peut aller visiter son site Petite racine. On peut aussi la lire sur le site Remue.net

José Morel Cinq-Mars, décembre 2015