Marcel Cohen. « Sur la scène intérieure. Sous titre : Faits ». Gallimard 2013.

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Marcel Cohen. « Sur la scène intérieure. Sous titre : Faits ». Gallimard 2013.

Un ami m’a signalé ce volume. Je me suis rendu chez mon libraire pour le commander. Il m’a répondu qu’il croyait bien me l’avoir déjà vendu. Pour me convaincre, il m’a montré la couverture du livre qui effectivement me disait quelque chose. De retour à la maison, j’ai commencé à fouiller dans mes piles de bouquins, et j’ai fini par le retrouver.

Je l'avais déjà parcouru, survolé, croyais-je. Je l'ai repris, et à ma surprise j'ai bien dû constater que je l'avais déjà lu de la première à la dernière ligne, et non sans émoi. Était-ce le parfum de sa mère qui m'avait été insupportable et avait creusé mon oubli, ou bien l'amour de ces deux êtres ? Ou le parfum de son père et ses crans, sa gomina et sa résille qui en donnent une image corporelle proche, comme celle que se font les enfants de leurs parents géants, quand on est monté sur leurs épaules ? Ou bien encore l'eau de Cologne au citron vert d'un oncle aimé ? Il me semble que cette proximité pourtant ténue avec les aimés disparus me renvoyait à quelque chose dont je pense, à tort ou à raison, que je ne l'ai pas eu : cette troublante et aimante proximité corporelle avec ceux dont je suis né.

Mais encore, si je m’affranchis un peu de ma personne, ce livre est troublant par ses manques, car il ne reste à l’auteur que des miettes de souvenirs et d’images qu'il a, tout au long de sa vie, inlassablement colligés ; la récolte est bien maigre et tiendrait dans le creux d’une main, mais elle lui est plus précieuse qu’un bijou d’or : ce sont des traces de son origine. Comme chacun de nous, il est assujetti à leur recherche vitale.

C'est ça l'émotion du livre qui est sans doute la plus troublante : qu'avec ces miettes de souvenirs, il parvienne à rendre ses familiers si intimement présents, pour lui et pour le lecteur. Ce sont aussi les manques qui nous touchent, et l'étendue des déserts qui entourent ces minuscules oasis mémorielles. Une souffrance d'une extrême pudeur est sensible dans les démaillages du texte.

En passant, j'ai appris des choses qui m'étaient restées cachées : la salle de l'hôpital Rothschild où étaient parquées et entassées les jeunes mères avec leur nourrisson, en attendant qu'il ait six mois pour qu'ils aillent à Auschwitz. Le gouvernement français de Vichy avait, en effet, « par souci d'humanité », demandé et obtenu des Allemands qu'on ne déporte pas les jeunes mères ayant dans leurs bras un enfant de moins de six mois.

Joseph Gazengel