Alain Abelhauser Mal de femme. La perversion au féminin

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On raconte qu'un hypocondriaque avait fait inscrire sur sa tombe l'épitaphe suivante « Vous voyez bien que j'étais vraiment malade ». La mort serait-elle la seule preuve valable d'un discours avant tout inscrit dans le registre de la plainte ? Si l'on songe en premier lie u à l'hystérie sous ses différentes formes, celle-ci fort heureusement ne conduit pas la patiente ou le patient à de telles extrémités. La souffrance est bien réelle, mais la mort ne vient pas en confirmer de façon absolue l'existence.

Bien différente est la position de celles dont nous entretient Alain Abelhauser. La rencontre dont il témoigne, pourrait bien être ce qui l’a conduit à devenir analyste, soit une énigme suffisamment consistante pour entraîner celui qui s’y confronte à tenter d’en déchiffrer l’énigme. Toute l’histoire de la psychanalyse et des psychanalystes est ponctuée d’épisodes semblables. Freud fut le premier d’une longue lignée et l’on serait fondé, pour chaque analyste, à chercher ce qui dans sa rencontre avec un autre, l’a poussé à tel moment de sa vie à chercher à mettre des mots sur la plaie ainsi ouverte.

C’est avec un sentiment de gratitude que j’ai refermé le livre d’Alain Abelhauser. Sa lecture m’a permis en effet d’éclairer un tant soit peu une clinique dans laquelle j’avais le plus grand mal à trouver mes repères, tant sur le plan métapsychologique que sur celui bien plus complexe du ressenti transférentiel, et ce, en dépit d’une littérature foisonnante et pas toujours pertinente sur le sujet.

Alain Abelhauser a, à mes yeux, au moins trois qualités essentielles dont témoigne son écriture. C’est un pédagogue. Il sait faire entendre sans faux-semblant ce qu’il cherche à démontrer. Les concepts, qu’il emprunte à Lacan principalement, il en donne sa propre définition. Autrement dit, il les fait siens et s’en explique. C’est un homme modeste. Il prétend que certains rapprochements qu’il soumet au lecteur ont été faits avant lui. Et enfin, c’est un homme plein d’humour, ce qui rend son livre particulièrement agréable à lire.

Il faut dire qu'il est particulièrement servi par son sujet. Non pas tant les anorexiques « graves », c'est-à-dire celles qui offrent à leur environnement le spectacle d'un corps décharné, moribond, que les pathologies qui, quelques qu'en soient les dénominations : pathomimies, syndrome de Münchausen, Lasthéniques de Ferjol, Meadow etc., se caractérisent par un comportement à la fois fascinant et incompréhensible, simulant des maladies sans bénéfice perceptible et les entraînant parfois, pour mieux persuader l'autre de la réalité de leur maladie, à procéder à des actes autodestructeurs : malades portant directement atteinte à leur corps ou à celui d'un enfant et venant demander aux médecins avec patience et bonne volonté, de les guérir. Stupéfaction de ceux-ci et de l'entourage lorsque la supercherie est démasquée, jouissance évidente du patient lors de cette révélation malgré le risque mortel encouru et parfois sanctionné comme tel.

Si les histoires que rapporte Alain Abelhauser relèvent du meilleur roman policier, il serait vain d’en rester à cet aspect des choses. La clinique ici évoquée n’est pas banale et ne se rencontre guère dans nos cabinets. Il n’en est pas de même des anorexiques graves. Or, c’est dans le rapprochement avec les pathologies de l’anorexie que s’est produit pour moi le déclic. On y retrouve en effet le même type de transfert dont Alain Abelhauser nous fournit plusieurs exemples. Sentiment d’impuissance et par voie de conséquence sentiment de culpabilité voire d’incompétence, trouble face au silence de la patiente sur tout ce qui pourrait permettre au moins d’approcher quelque peu ce qui fait le point vif de la question, inquiétude fondée sur l’éventualité d’un décès dont on peut alors imaginer qu’il faudra tant de façon personnelle que sociale et professionnelle assumer la responsabilité.

Si, en effet ces patientes ne mangent rien, elles n’en disent pas davantage, parlant volontiers, et ce dès le premier entretien, de leur maladie comme d’un élément étranger dont elles ne peuvent soit disant rien dire sinon qu’elles subissent cela comme une fatalité qui leur met un pied dans la tombe. Pourtant le rapprochement que fait Alain Abelhauser s’impose dans la mesure où évidemment la solution semble pourtant aussi simple que « mange » ce que l’on pourrait rapprocher de « arrête donc de te rendre malade pour ensuite prétendre que tu n’y es pour rien. »

C’est en partant d’histoires cliniques et en retraçant l’historique des différentes appellations retenues dans différents pays, puis en prenant appui sur la littérature et tout particulièrement sur le roman de Barbey d’Aurevilly, l’auteur des « Diaboliques » et du récit publié sous le titre « Une histoire sans nom », que l’auteur tisse prudemment sa toile. C’est qu’il a en tête de démontrer l’existence d’une structure spécifique dont il soutient qu’elle permet de mettre un dénominatif commun référé à une structure perverse dont les traits sont spécifiquement féminins et dont les caractéristiques l’écartent absolument – au moins pour une part - de la solution phallique propre au pervers masculin.

Pour les classiques, la perversion se définit par le fait de mettre en acte un désir dont le but n'est pas la procréation. À ce titre, avoir des relations sexuelles en utilisant un préservatif est une perversion. La réflexion de Freud vient balayer cette conception. Elle aboutit à considérer que tout individu est, si l'on s'en tient à cette définition, pervers puisque son but est d'abord la satisfaction de la pulsion. Reste à savoir en quoi se caractérise la structure perverse ?

Pour l'auteur cette position peut se définir ainsi : « le pervers cherche à confronter l'autre avec son manque (tel l'exhibitionniste qui guette l'effroi de la passante) et il peut se proposer lui, comme objet, pour le combler » Cet objet, l'objet a, est dans le registre de la perversion, phallique. Faut-il en conclure que la perversion en tant que structure est réservée aux hommes ?

Pour répondre à cette question il faut alors interroger la spécificité du désir dans sa version féminine. Les femmes et ceux qui se placent de ce côté de la barrière seraient-ils des êtres à part, échappant au signifiant, au langage d'où le sujet tire sa structure ? Certainement pas mais ne fondant pas totalement leur désir du côté de l'objet a, de l'objet phallique, elles sont en quête d'un supplément ravageur qui prend naissance dans l'amour pour la mère.

Si donc il existe une spécificité de la jouissance féminine qui n'est pas complètement phallique alors ne peut-on concevoir qu'il existe aussi une modalité spécifique pour venir habiter la structure perverse et qui soit donc spécifique de cette jouissance. La réponse est alors pour Alain Abelhauser la suivante : certes il s'agit toujours bien de diviser l'autre, comme dans la forme masculine de la perversion, mais cette fois, en s'arrêtant sur son inconsistance en en faisant matière à une jouissance absolue, et en ne proposant comme figuration d'un Autre consistant que celle de la mort incarnée, incarnée dans son corps décharné, mutilé. C'est bien ce que ressent le psychanalyste lorsqu'il est confronté à cette question. Le plus difficile est alors à venir pour conduire le patient, si cela se peut, hors de cette logique cruelle, mais l'ouvrage d'Alain Abelhauser nous fournit sur ce parcours un appui indispensable. Car, après tout, que ce corps soit le lieu de l'Autre, que la division du sujet fasse énigme pour le patient lui-même, et qu'il se figure dans le corps, ne saurait nous surprendre. Toute la question demeure de savoir y mettre des mots qui viennent dire à la fois l'énigme et y suppléer. Et c'est alors un long parcours semé d'embûche qui s'ouvre devant l'analyste et son patient. Un parcours dont, explicitement, Alain Abelhauser nous invite à témoigner en écho à son propre travail.