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Psychanalyse
La vie sexuelle d'Anna G. Article paru dans l'édition du 26.02.10 Le récit inédit d'une analyse menée par Sigmund Freud en 1921 Aggrandir la taille du texte Diminuer la taille du texte Imprimer cet article l y a toujours eu dans l'histoire des médecines de l'âme plusieurs manières d'exposer les cas cliniques. Tantôt c'est le thérapeute qui reconstruit une fiction vraie afin d'éprouver la validité de ses thèses, tout en conservant l'anonymat du patient ; tantôt c'est le patient qui rédige son journal de cure : on a alors affaire à un témoignage écrit qui exprime une tout autre vision du déroulement de l'expérience. Depuis des décennies, les historiens de la psychanalyse ont, de leur côté, révisé et réécrit l'histoire des patients anonymes en dévoilant leur véritable identité. Ils se sont aperçus que, bien souvent, cette histoire était très différente de la fiction reconstruite par le thérapeute. Dans ce type de recherche, l'historien donne la parole à un patient sans écriture après avoir retrouvé sa trace dans des archives. S'agissant de Freud, les grands cas originels ont été identifiés, commentés et réinterprétés par les historiens. Et l'on sait désormais que les reconstructions du maître viennois - Dora, l'Homme aux loups, le petit Hans, notamment - ne rendent pas forcément compte de la destinée ultérieure des patients traités. Pour autant, elles ne sont ni des falsifications ni des affabulations. Conseils d'abstinence C'est à Anna Koellreuter que l'on doit la découverte d'un récit d'Anna Guggenbühl (1896-1982), sa grand-mère, dans lequel se trouvent à la fois le commentaire de celle-ci sur sa cure et un verbatim des interventions de Freud. A l'âge de 27 ans, le 1er avril 1921, cette jeune psychiatre formée dans le sérail de la célèbre clinique du Burghölzli, à Zurich, se rend à Vienne pour suivre une analyse avec le fameux professeur, laquelle s'achèvera le 14 juillet. Fiancée depuis des années avec Richard, un camarade d'études, et ayant eu de nombreuses aventures amoureuses, Anna a des doutes sur son envie de l'épouser. Son désir s'émousse, alors que le mariage est programmé, dans ses moindres détails, par sa famille. Décidée à comprendre les raisons inconscientes de son hésitation, elle quitte ses parents et son travail d'autant plus librement qu'elle souhaite rencontrer celui qu'elle considère comme la plus grande oreille de son époque. Elle ne sera pas déçue ! En virtuose de l'interprétation foudroyante, Freud, après l'avoir écoutée, lui explique qu'à l' « étage supérieur » de sa vie se déploie son conflit avec son fiancée. Pour en saisir la signification, ajoute-t-il, il faut explorer l' « étage intermédiaire », qui la renvoie à sa relation névrotique avec son frère, puis l' « étage inférieur » - totalement inconscient - qui concerne sa relation avec ses parents. En d'autres termes, il lui explique qu'elle est amoureuse de son père, qu'elle souhaite la mort de sa mère et que c'est son attachement à son frère, substitut de son père, qui explique sa valse hésitation permanente : « Vos amants sont des substituts de vos frères, c'est pourquoi ils ont tous le même âge alors qu'ils sont moins mûrs. » Comme toujours, Freud se passionne pour son concept du complexe d'Œdipe. Soucieux aussi de l'avenir de sa patiente, il ne peut s'empêcher de lui donner des conseils d'abstinence qu'elle ne suit guère. Au fil des associations libres - où l'on découvre de fantastiques histoires de masturbation, de chats, de borgnes, de gardeurs d'oies et d'airs d'opéra -, elle décide d'annuler son mariage, de partir pour Paris et d'épouser Arnold, fameux sculpteur de Brienz (canton de Berne), qui lui a fait savoir combien il l'aime. Ils fonderont une famille et resteront unis une vie entière. La cure s'achève sans que soient explicités ni le pourquoi ni la raison de cette décision. Cependant, on saisit qu'elle se produit au moment où Freud dit à Anna qu'elle est sous l'emprise d'un défi lancé à ses parents. Et l'on peut supposer que c'est la levée de ce désir refoulé d'emprise qui la conduit à rompre ses fiançailles et à désobéir enfin à son père. Celui-ci la poussait à ne pas quitter son fiancé et lui avait demandé un jour : « Comment se comporte-t-il au juste, ce professeur Freud ? Quand rentres-tu et qu'as-tu décidé concernant R. ? Voilà ce que te demande ton papa en t'adressant ses pensées affectueuses. » Les meilleurs spécialistes du freudisme germanophone et anglophone ont été convoqués pour commenter chaque mot de ce journal magnifiquement traduit en français par Jean-Claude Capèle : Ernst Falzeder, Karl Fallend, Thomas Aichhorn, John Forrester, Pierre Passett, Juliet Mitchell, André Haynal, Ulrike May, August Ruhs. Chacun livre une interprétation personnelle du cas, ajoutant au corpus initial une vaste narration post-freudienne, kleinienne, lacanienne ou simplement historiographique. Cette passionnante anthologie contribue à enrichir les annales de l'histoire de la psychanalyse. On regrettera toutefois que l'éditeur français ait trouvé bon de substituer un titre banal ( Mon analyse avec...) à celui de l'édition allemande, qui reprenait le fragment de la lettre adressée à Anna par son père ( Comment se comporte-t-il au juste, ce professeur Freud ?). Notons aussi que le patronyme de l'auteure a été supprimé et que plusieurs contributions ont été enlevées sans être résumées dans la présentation. Par ailleurs, la bibliographie est défaillante : certains titres devraient être mentionnés en français et d'autres en anglais. Enfin, il manque des notices biographiques concernant les contributeurs, peu connus du public français. Dommage, car le document est bel et bien fascinant. Elisabeth Roudinesco

MON ANALYSE

AVEC LE PROFESSEUR FREUD

Anna G.

Ouvrage édité sous la Direction d'Anna Koelireuter

Vienne, 26 avril 1921, dans le cabinet du professeur Freud. Allongée
sur le divan, Anna G. lui déclare: «Je vous aime d'une façon si indescriptible, comme jamais auparavant je n'ai aimé quelqu'un. » Cette jeune
femme de vingt-sept ans est entrée en analyse il y a un mois. Elle a
quitté Zurich pour la capitale autrichienne, laissant derrière elle son
fiancé, sa famille et le Burghôlzli, la clinique où elle exerce le métier de
psychiatre. Après sept ans de fiançailles vécues dans l'ambivalence et
le doute, son mariage est annoncé pour l'automne. Cependant, Anna G.
continue d'hésiter.

La découverte posthume de deux cahiers d'écolier, dont Anna G.
n'avait jamais parlé et qu'elle ne destinait pas à la publication, jette une
lumière inattendue sur Freud: une partie des séances et des propos
échangés y sont consignés. À l'écoute des rêves, des associations, des
fantasmes sexuels de son analysante, Freud, alors en pleine maturité,
explique, interprète, provoque, sonde. Et il évoque ses propres théories:

le complexe d'Œdipe, le transfert, le cas Dora, le fantasme de l'enfant
battu (que sa fille, prénommée Anna elle aussi, lui a inspiré)...

La petite-fille d'Anna G., Anna Koellreuter, docteur en philosophie et
analyste à Zurich, a dirigé l'édition de cet ouvrage, paru en 2009 en
Allemagne. Elle a convié des historiens et des psychanalystes allemands
et anglo-saxons à réagir à ce document exceptionnel, témoignage
aussi de la façon dont une jeune femme peut, par l'analyse, sortir d'une
souffrance affective et se découvrir un nouveau destin.

Traduit de l'allemand par Jean-Claude Capèle