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le laboratoire

Les nostalgiques de l’Ecole Freudienne de Paris mélangent souvent plusieurs époques. Il y eut l’époque héroïque des débuts, puis celle de son développement spectaculaire s’accompagnant d’une production théorique passionnante et passionnée par Lacan et ceux qui l’entouraient, puis peu à peu la bureaucratie, les rivalités, les courants, les silences et les petits arrangements ont finit par avoir sa peau. En 68-69, au bouillonnement de la société civile a répondu celle des institutions et L’Ecole Freudienne de Paris n’y pas échappé évidemment .

Parmi les recherches « en acte » qui eurent lieu à cette époque « le Laboratoire » me paraît constituer un intéressant point de repère.

En fouillant dans mes archives personnelles, j’ai retrouvé ce document. J’ai demandé à deux collègues Renaude Gosset qui en fut l’une des fondatrices et Pascale Hassoun qui a suivi de près son fonctionnement de le présenter à tous ceux nombreux aujourd’hui qui n’en ont probablement jamais entendu parler.

Je pense en effet qu’il est important de faire connaître par l’intermédiaire du site quelques éléments d’histoire récente du mouvement psychanalytique.

Laurent Le Vaguerèse

C’est autour de Mai 68 que ce projet nous est venu à l’idée, à Pierre Alien et à moi. A ce moment-là, je participais au groupe Lander qui était une réunion de jeunes psychanalystes médecins et non-médecins travaillant en institution et qui se proposait de réfléchir aux problèmes que posait la pratique psychanalytique en institution. Pierre et moi avons donc soumis le projet du Laboratoire à ce groupe qui avait en général des préoccupations proches de celles exprimées dans le texte.

Nous n’avons pas suscité un enthousiasme extraordinaire et en tous cas aucun désir d’y participer mais cependant une certaine sympathie. Je suis incapable de me rappeler les objections qui nous ont été faites. Evidemment nous n’étions que deux trublions sans œuvre et sans réputation et peut-être notre position tranchée sur la guérison et aventuriste sur l’argent et la formation, n’inspirait pas vraiment confiance …

Un peu plus tard, nous avons rencontré Anne-Lise Stern. Le projet l’a séduite immédiatement. Elle avait plus ou moins elle aussi, avec des collègues des Enfants Malades, l’idée d’une sorte de dispensaire psychanalytique privé. Elle et moi nous étions aperçues dans une réunion en plein Mai 68, dans la contestation radicale de l’hôpital et ce jour-là, le débat portait sur la coexistence de la psychanalyse et de la révolution…..

Donc , Anne-Lise se faisant « mécène » de l’entreprise, (avec l’argent reçu des réparations allemandes pour sa déportation à Auschwitz) comme elle le disait elle-même, par plaisanterie et pour ne pas s’exposer aux commentaires inamicaux, nous pûmes acheter le bail et louer un ancien grand atelier de menuiserie, place de la Bastille.

Curieusement, à partir de ce moment il n’a plus été question de recruter qui que ce soit d’autre et nous ne nous en sommes rendu compte qu’à l’occasion-rare- d’une demande de quelqu’un de travailler avec nous. Nous étions trois et nous resterions trois, comme une sorte de point d’origine qu’il ne pouvait être question de pervertir en institution. C’est ce que je dis maintenant, à l’époque nous ne le pensions pas dans ces termes. Anne Lise mettait en avant nos liens respectifs avec la déportation et les camps.

Chacun de notre côté et pas ensemble, nous avons mis en œuvre nos passions « révolutionnaires » personnelles. Pierre créant une communauté dans un grenier de la rue de la Roquette, Anne-Lise commençant son travail à Marmottan avec les toxicos, et moi faisant de l’agitation dans les usines de Soissons, ce qui provoqua un certain remue-ménage dans les CMPP de la région où je travaillais. Dans ce domaine non plus nous ne faisions pas institution, plutôt une dispersion dans le « champ social »Pendant ce temps-là, malgré tout, nous travaillions et assez dur. Les demandeurs d’analyse, attirés par nos propositions, étaient nombreux. Nous ne pouvions y suffire et nous avons dû en adresser beaucoup à d’autres analystes, en particulier ceux du groupe Lander, qui ont été finalement associés involontairement à notre entreprise.

Notre idée n’était pas de faire de la clinique expérimentale. Pourtant, à un moment, nous avons essayé de proposer aux postulants analysants une « analyse courte » qui consistait en un nombre de séances fixé à l’avance, au terme desquelles il n’y aurait pas de prolongation ; espérant ainsi stimuler l’analyste et l’analysant à entrer sans temporiser « dans le vif du sujet », c’est le cas de le dire…. ! Nous voulions tenter cette expérience qui rappelait celles de Otto Rank (dans les années 20) d’ « analyse active » dans le but d’avancer sur le thème de l’action possible de la psychanalyse sur « la société » . Mais l’entreprise a tourné court, les postulants-analysants ne s’étant pas avérés nombreux…

La chose importante à mon avis, c’était d’avoir énoncé ce qui présidait à notre pratique ….et de le pratiquer. J’ai dit plus tard que l’énoncé aurait suffi, mais ce n’est pas tout-à-fait vrai. L’offrir concrètement, dans un lieu, était proposer une autre vision de l’analyse que celle qui avait cours dans les institutions analytiques de l’époque, mis à part Lacan et certains membres de l’Ecole Freudienne, et dans la pratique des dispensaires et des consultations hospitalières Et nous voulions passer à l’action et le marquer par cette « ouverture » ….Trois ans plus tard, nous ne voyions plus d’intérêt à poursuivre. L’expérience avait eu lieu, il y avait eu « de l’analyse »….et bien d’autres choses et nous décidions de laisser la trace de cette initiative se produire d’elle-même.

Renaude Gosset

Septembre 2014

Pascale Hassoun

Le « Laboratoire de Psychanalyse »

Nous sommes fin 68 - début 69.

A l'origine du « Laboratoire de Psychanalyse »,

Trois personnes : Pierre Alien, Renaude Gosset et Anne-Lise Stern.

Un texte.

Trois personnes : Pas n'importe lesquelles : on se méfiait de l'un, il était peut-être psychotique; l'autre nous touchait par sa manière d'être dans la parole et la troisième finança la réalisation de ce qui sans elle ne serait resté qu'un texte. Elle le rendit possible en donnant le montant des réparations versées par l’Allemagne à sa mère, morte l’année précédente, en dédommagement de la perte du cabinet médical de son père. Elle-même avait déjà payé le prix fort puisqu'elle fut déportée en camp de concentration.

Un texte intitulé Ouverture .

Ce texte est particulièrement important, car il fut à l'origine du « Labo ». Il est encore ce qui reste de plus consistant. « Le texte aurait suffi », dit Renaude Gosset qui ajoute : « Ce texte était nous. Nous étions ce texte. Nous n'avons rien fait d'autre que de l'actualiser. Nous n'avons jamais pu aller au-delà de ce texte. »

Texte écrit sur le mode performatif. Texte-acte.

Pour Anne Lise Stern la psychanalyse a bien été la discipline capable de questionner le désir médical lui-même, au plus proche de ce que Lacan nomme « l’effet de vérité » du message de Freud1. Cependant dans  Ouverture la psychanalyse est dénoncée comme étant perdue dans la mesure où elle ne se justifierait que par sa fonction de réassurance et de renouvellement de la médecine, de la philosophie et de la psychologie.

Des questions importantes y sont développées telles que : Qu'est-ce que le psychanalyste ? Qu'est-ce que l'argent ? Quels sont les liens du savoir et du pouvoir ? L'argent est-il indispensable pour que cela fasse de l'analyse ? Jusqu'où la psychanalyse a-t-elle à assurer le confort matériel et moral de l'analyste ? La psychanalyse dans ses principes récuse un certain rapport au savoir (cf. hystérie), mais en pratique ne le reconstitue-t-elle pas à l’identique ? Comment alors penser la formation et la transmission ?

Mais ce qui fait la spécificité d'ouverture est que le texte prend position sur le rapport du savoir à la réalité de son action. On peut y lire que « la psychanalyse a dans la science une place unique d'où elle renvoie tout savoir à la réalité de son action ». C'est cette authentification par l'action qui fut un des axes centraux du « Laboratoire », mais sans doute aussi son talon d'Achille.

Lacan dans son séminaire de l’année précédente 1967-1968, intitulé  l'Acte Psychanalytique , avait ouvert la porte à une profonde réflexion sur la spécificité de l’Acte, qu’il différenciait du faire, de l’action et de l’agir. De même que Lacan ne fut pas sans articuler son séminaire aux débats en cours (le séminaire de l’année 1969-1970, intitulé « l’envers de la psychanalyse », introduira en miroir de la notion de «  plus value » chère à Marx, celle du « plus de jouir »), de même, dans le contexte de Mai 68, grand mouvement qui voulait associer le dire et l'action, le « Labo » et d’autres donnèrent voix à l’action. On verra ainsi un grand nombre d'intellectuels « s'établir ». Il s’agissait non seulement de « parler » au nom des ouvriers, mais « d’être » soi-même ouvrier.

L'action préconisée par le « Labo » sera l'action prenant en compte le social : Comment penser l'articulation entre la psychanalyse et le champ social ? Si le « Labo » pose bien la question, il ne peut aller au-delà de la question posée. Si ce n’est à énoncer les paradoxes que la question fait surgir. A titre d’exemple : la misère sociale est-elle névrotisante ou bien la névrose se sert-elle de tout, à commencer par la misère sociale ? Qu’est ce qui est premier : la misère sociale ou la névrose ? Si l’on donne le primat à la névrose peut-on encore agir dans le champ social ? Ces paradoxes après avoir été le départ d’une réflexion profonde et quasi transgressive (pour l’époque) seront objet de vertige et finalement de paralysie de la pensée. Cette position qui contenait un questionnement déjà ouvert par Lacan sur l’étendue du domaine de la psychanalyse se voulait cependant plus radicale. Elle voulait ouvrir un champ plus large que celle de la seule triade oedipienne et intégrer d’emblée le champ de l’environnement historique au sein duquel tout être humain se développe.

Sans doute, à la relecture actuelle, nous pourrions être étonnés que la question des incidences du social et du culturel dans l’acte analytique puisse être posée de cette manière que nous serions tentés de trouver utopiste et limitée. Mais cet « acte », ce « dire », proviennent d’une volonté de réinterroger le clivage du psychanalytique avec le politique, en mettant en évidence combien cette séparation fait retour d’une manière ravageante à l’intérieur même de l’institution psychanalytique.

Emerge une question qui sera reprise plus vivement par d’autres groupes, celle de la distance optimum à maintenir avec l’institution. Faut-il être dedans ou en marge ? Faut-il être dans la contestation ou dans la consolidation de l’institution ? La parole critique est-elle destructrice ou salvatrice de l’institution ?

Ouverture opte pour une non-implication des psychanalystes du « Labo » avec l’institution Ecole Freudienne de Paris. Ceci mettra d’emblée, et pour longtemps, deux d’entre eux à part de la vie même de l’Ecole.

A la pratique libérale de l’argent le « Labo » répond par des prix bas et surtout par une réflexion sur la distribution de l’argent gagné, ce qui aboutira à une redistribution, entre les trois psychanalystes, de l’argent gagné par chacun.

Au risque du pouvoir qui guérit mais au prix de rendre silencieux, le « Labo » répond par une parole qui se veut essentiellement être une question.

Des risques, ils en prirent beaucoup, en particulier dans le travail clinique qui se fit sans filet. S’il fallait dégager la question clinique à laquelle les acteurs du « Labo » furent d’emblée confrontés, ce serait indubitablement celle de l’inceste, sous sa forme singulière et institutionnelle.

Il y eut des demandes d’analyse, il y eut des analyses, il y eut des réunions, il y eut des débats, il y eut la gestion du « Laboratoire » lui même. Il y eut des dérives, en particulier lorsque le « Laboratoire » fut assimilé à une communauté parmi d’autres et qu’il en perdit sa spécificité.

Le « Laboratoire de Psychanalyse » s’est voulu un acte. Il s’est voulu avoir cette dimension d’acte, c'est-à-dire de commencement et de coupure symbolique. A-t-il réussi ? Sans doute de manière plus limitée que le projet de départ ne le proposait. En tous cas, il n'a pas rendu ses protagonistes idiots, puisque d’eux-mêmes, deux ans après son démarrage, ils mettaient la clef sous la porte, les désirs de chacun ayant imposé une limite à leur idéalité.

« Ouvrir » le « Laboratoire »2 avec l’argent des nazis introduisait, par l’intermédiaire du réel de l’argent, un autre réel : celui des camps. Derrière la question du « Laboratoire » et de l’acte, se profilait en effet une question bien plus grave que l’institution psychanalytique de l’époque passait sous silence, celle de l’horreur de l’Histoire et de la Shoah.

De ce point de vue, le «Laboratoire» se voulut être d'abord un acte politique. Ce fut sans doute quelque chose de l'horreur des camps dont le « Laboratoire » tenta d'être le porte-parole. Au silence des camps il fallait répondre par un dire et un acte. « Ce qui fut mis en acte », dit Anne-Lise Stern, « est une réflexion sur les camps en tant que celle-ci était exclue de la communauté analytique. »

Le « Laboratoire » aura fonctionné de décembre 1970 à Février 1972.

Comme le texte  Ouverture l’indique, « il fut ce lieu d’un certain travail, nul n'y entre sans cause, nul n'y reste sans effet ».3

le laboratoire

le laboratoire
  • 1.

    Anne Lise Stern, «  Le savoir déporté », ed. Seuil, 2004, p. 42

  • 2.

    Le choix du terme n’est pas neutre quant à la pratique médicale nazie dans les camps.

  • 3.

    Ce texte reprend en grande partie mon intervention au colloque organisé par la revue internationale d’histoire de la psychanalyse à Londres en 1991.