Les faits et les fantasmes . À propos d'une affaire de parricide .Le juge et l'expert psy .

Le texte qui nous est proposé par Daniel Boulet, a pour but d'alimenter le débat et la réflexion de chacun à propos de la question des expertises psychologiques et psychiatriques requises notamment dans les affaires criminelles dont le procès d'Outreau est un exemple Cette question a amené un débat sur le forum « Une politique pour la psychanalyse » , débat nécessaire et que diverses réflexions viendront alimenter sur le fond dans le « Petit Journal ».

Le terme « psy » utilisé par D.Boulet dans son texte appellerait bien des remarques. Il était particulièrement prisé à l'époque de la parution initiale de ce texte. D. Boulet a bien voulu nous préciser qu'en l'occurrence deux professionnels sont intervenus dans l'affaire dont il rend compte : un expert psychiatre des hôpitaux et un expert psychologue clinicien. Le rapport proprement dit comprenant un examen médical et psychiatrique ( 9 lignes) et psychologique (2 pages) le tout précédé d'un chapitre "antécédents et curriculum vitae"et suivi d'un résumé conclusions. »
Laurent Le Vaguerèse




L'affaire dont il est question dans l'article ci-dessous avait déjà été succinctement exposée à la maison de la chimie à Paris lors des journées d'étude de l'ANREP mi-avril 1983. cette conférence fut d'abord publiée sous le titre « Le juge des enfants entre la tentation des sciences humaines et la prise de pouvoir » dans les cahiers de l'ANREP, n°1/2 1984.

Ce texte est donc une reprise, remaniée et complétée, publiée en 1995, dans le volume 1 des travaux du Laboratoire européen pour l'Etude de la Filiation, édités par Pierre Legendre.

Dès 1983 j'avais attiré l'attention des psy sur les risques qu'il y a à se mêler, dans une expertise, même indirectement, de l'établissement des faits.

L'affaire dite d'Outreau vient de relancer ce débat, bien qu'il ne s'agisse plus, dans le procès d'Outreau, comme dans le cas exposé, de l'expertise psychologique d'un accusé, mais davantage des fameuses expertises de crédibilité des victimes qui ont vu le jour depuis cette affaire de parricide qui remonte aux années 80.

Pourtant, si on y réfléchit bien, l'enjeu est le même, bien que non sanctionné par un texte, car en déclarant crédibles les dires d'une victime, d'une certaine façon l'expert psy authentifie la version des faits de cette victime, et s'engage donc dans une voie qu'il devrait s'interdire d'emprunter.

Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre leur réflexion sur ce thème du rapport entre la justice et les psy je conseille de lire « Entre l'expert et le juge. La science des souvenirs refoulés dans le droit américain » de Laurent Mayali et Jasmine Samrad, étude publiée dans le volume 2 des travaux du Laboratoire européen pour l'Etude de la Filiation (1998).


LES FAITS ET LES FANTASMES

À PROPOS D'UNE AFFAIRE DE PARRICIDE :

LE JUGE ET L'EXPERT PSY

Daniel Boulet*

L'interprétation de l'article D.16 du Code de procédure pénale n'a, à ma connaissance, pas fait l' objet de commentaires doctrinaux ni de publications de jugement ou d'arrêt. Dans le maquis de la réglementation, ce texte passe quasiment inaperçu.

Que dit-il? Il dispose essentiellement que le dossier de personnalité - enquête sur la personnalité et sur la situation matérielle, familiale ou sociale, examens médical et médico-psychologique - « ne saurait avoir pour but la recherche des preuves de la culpabilité »1.

Dans l'espèce qui nous occupe, les faits se présentaient de la façon suivante :

EXPOSÉ DU CAS – LES FAITS ET LA PROCÉDURE

Le 16 juin 1980, vers 22 heures, le cadavre d'une femme de 33 ans était découvert par un voisin intrigué par les aboiements continuels de chien et le son d'un poste de télévision en marche depuis la veille au soir.

La femme était étendue au sol, à plat ventre, la face enfouie dans une couverture ; de très nombreuses blessures sur le dos ; près du corps se trouvait un couteau de boucher de 30,5 cm portant des traces de sang.

La serrure n'était pas verrouillée et la clef se trouvait à l'intérieur ; un morceau de fusil à la crosse brisée et aux queue de détente et pontet écrasés ainsi que deux galets maculés de sang attiraient l'attention des enquêteurs.

Le concubin de la victime et son fils étaient entendus et fournissaient leur emploi du temps détaillé.

Le 20 juin, une seconde visite des enquêteurs sur les lieux permettait de découvrir de nouveaux indices, des tâches de sang sur le lavabo et dans la baignoire à l'intérieur de laquelle les enquêteurs découvraient sous le linge sale un morceau de crosse de fusil de chasse ainsi qu'un couteau de cuisine à manche de bois et dont la lame tordue paraissait avoir été nettoyée.

Dans une boîte de carton, un tricot de peau blanc, de marque Éminence taille 3, était dissimulé. À l'examen, il présentait des tâches de sang ayant manifestement été lavées. Un matelas et un fer à repasser, tachés de sang, étaient découverts à proximité d'un meuble ; des traces palmaires et digitales sur la poignée étaient encore visibles ; un bloc de papier avec des empreintes de doigt était saisi ainsi que toutes les pièces à conviction.

La multitude des plaies et leur emplacement, les traces de strangulation et les signes de lutte ne laissaient aux enquêteurs aucun doute sur l'intention homicide de l'auteur des violences.

L'enquête révélait que la victime avait eu de nombreux amants au cours de sa vie ; amants avec lesquels elle était restée en plus ou moins bons termes. Ses plus récentes relations appartenaient à un milieu marginal, proxénète ou délinquant et la plaçaient dans une position délicate et insécurisante qu'elle faisait partager à son fils âgé d'à peine 16 ans.

La trace palmaire laissée sur la poignée du fer à repasser était identifiée comme étant l'empreinte de la paume de la main droite du fils.

Devant les policiers, le 9 juillet 1980, celui-ci passait aux aveux. Aveux réitérés devant le juge d'instruction auquel le jeune homme aurait relaté un certain nombre de détails corroborant point par point les indices découverts lors de l'enquête.

Il aurait tué sa mère lorsque celle-ci lui aurait dit qu'elle voulait quitter son actuel concubin « qu'il aimait comme un père» pour se remettre avec un autre amant.

Placé en détention provisoire, il revenait sur ses aveux le 22 août 1980.

19 mois et 10 jours après sa mise en détention, il comparaissait devant la juridiction de jugement.

Peu loquace, lors de l'audience, il maintenait pourtant ne pas être l'auteur du meurtre de sa mère.

Pour appuyer sa démonstration, le représentant du parquet reprenait et complétait l'hypothèse du meurtre passionnel émise pourtant avec des réserves par la psychologue expert, le substitut régleur ayant omis de transcrire intégralement la partie du rapport dans laquelle la psychologue expert prenait la précaution de noter « si B. ..est l'auteur du meurtre »…

Au terme des débats, le jeune homme est acquitté. Dans le jugement, toutes les charges étaient analysées et discutées.

Tout d'abord, les aveux du prévenu devant les services de police réitérés devant le juge d'instruction ; la forme de ces aveux, leur contenu, la contestation de ces aveux dans la forme et le fond ; les circonstances et les moyens du crime. Ensuite étaient discutées l'empreinte palmaire relevée sur le fer à repasser, puis l'expertise psychologique. Enfin, les autres éléments de discussion : les expertises sanguines, les pistes abandonnées par les enquêteurs et les magistrats instructeurs.

Le parquet interjetait appel de la décision.

Par un arrêt utilisant les formules habituelles en la matière, la chambre chargée des affaires de mineurs de la Cour d'appel confirmait l'acquittement.

COMMENTAIRE

Le cadre juridique de l'affaire

Bien qu'accusé du crime de parricide, le jeune homme n'était pas renvoyé devant une Cour d'assises, mais devant un tribunal pour enfants, les faits ayant été commis alors qu'il n'était pas encore âgé de16 ans. La Cour d'assises aurait été composée de trois magistrats professionnels, dont au moins un juge des enfants, et de neuf jurés. Le tribunal pour enfants, lui, était présidé par un juge des enfants assisté de deux assesseurs siégeant habituellement dans cette juridiction. En Cour d'assises, l'arrêt n'aurait pas été motivé car insusceptible d'appel, seulement susceptible d'un pourvoi en cassation pour vice de forme.

L'accusé eût-il été reconnu coupable, que la juridiction aurait eu à trancher entre l'application de l'excuse atténuante de minorité (art.66 du Code pénal) applicable sans pouvoir être écartée pour le mineur de 16 ans, et les dispositions de l'article 323 du même Code pour qui « le parricide n'est jamais excusable ».

Dans l'hypothèse d'une condamnation, la juridiction de jugement, Cour d'assises ou tribunal pour enfants, aurait dû prononcer des mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation ; elle aurait pu, « lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant lui paraîtront l'exiger », prononcer à l'égard du mineur âgé de plus de 13 ans une condamnation pénale.

L'économie de l'ordonnance de 1945, dite plus couramment Charte de l'enfance délinquante, et plus tard celle de l'ordonnance de 1958, reprise en 1970 dans la loi sur l'assistance éducative, visent à déplacer l'objet même du procès. Ce ne sont plus les seuls faits qui intéressent le juge, mais aussi les éventuelles failles d'une personnalité telles que pourraient les faire apparaître les techniques d'investigation maniées par les « spécialistes de l'invisible » suivant la belle expression de J. Donzelot. Depuis la promulgation de ces textes, le choix de l'orientation éducative résulte presque toujours des bilans médico-psychologiques pratiqués. Point de travail psychologique ou éducatif en profondeur sans que soit analysé un « noyau dur », comme a priori. La vérité du sujet gît dans ce noyau dur. Le corps, les symptômes, le fantasme agi, ne mentent pas. Mais encore faut-il que cette mise en acte ait eu lieu. D'une façon générale, l'étude de la personnalité permet aux avocats de plaider, bien souvent, l'atténuation des responsabilités et aux magistrats de juger des circonstances atténuantes.

Il n'est peut-être pas inutile de retracer brièvement les étapes de l'évolution législative. La loi de 1912, qui a créé les tribunaux pour enfants, prévoyait de confier à un corps de rapporteurs l'examen de la personnalité du mineur; en 1925, le juge Henri Rollet créait la clinique annexe de neuropsychiatrie infantile pour dépister les anomalies mentales des adolescents délinquants, mais c'est le décret-loi du 30 octobre 1935 qui a rendu obligatoire l'examen médico-psychologique et l'enquête sociale pour les mineurs. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Dans l'ordonnance de 1945, il est dit que le juge des enfants « recueillera par une enquête sociale, des renseignements sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents du mineur, sur sa fréquentation scolaire, son attitude à l'école, sur les conditions dans lesquelles il a vécu ou a été élevé ».

« Il ordonnera un examen médical et, s'il y a lieu, un examen médico-psychiatrique. Il décidera, le cas échéant, le placement du mineur dans un centre d'accueil ou dans un centre d'observation ».

« Il pourra n'ordonner aucune de ces mesures ou ne prescrire que l'une d'entre elles. Dans ce cas, il rendra une ordonnance motivée ».

L'ordonnance de 1958, intégrée en 1970 dans les articles 375 et suivants du Code civil et 888 et suivants du Code de procédure civile concernant l'assistance éducative, dispose que « le juge peut décider toute mesure d'information et faire notamment procéder à une enquête de personnalité du mineur, en particulier par le moyen d'une enquête sociale, d'examen médical, psychiatrique et psychologique, d'une observation du comportement ou d'un examen d'orientation professionnelle (art. 888 du Code procédure civile) ...le mineur peut encore être confié à un centre d'observation ».

En matière criminelle, pour les mineurs, l'article 9 de l'ordonnance de 1945 renvoie aux alinéas 4,5,6 de l'article 8. Le texte dit : « le juge d'instruction ordonnera les mesures provisoires, etc. ». Tel est donc le principe. Pour y déroger (art. 8 al. 6) et seulement dans l'intérêt du mineur, le juge d'instruction peut n'ordonner aucune de ces mesures. Dans ce cas, il rendra une ordonnance motivée.

Pour les majeurs, si aux termes de l'article 81 du Code de procédure pénale, l'enquête de personnalité est obligatoire en matière criminelle, l' examen médical ou l'examen médico-psychologique est facultatif, sauf à être demandé par l'inculpé ou son conseil; le juge d'instruction ne peut alors les refuser que par ordonnance motivée.

Le travail des experts psy

Dans une lettre au juge d'instruction, l'expert psy écrivait: « il nous semble important de signaler combien il est difficile de pratiquer un examen médico-psychologique quand le sujet nie les faits pour lesquels il est inculpé; les experts ne peuvent alors qu'émettre des hypothèses ne pouvant replacer le geste criminel dans le vécu du sujet ».

Au vu du résultat des entretiens et tests pratiqués, les experts vont donc « émettre des hypothèses ». Il y a tout d'abord « les blocages insurmontables à l'évocation de toute image maternelle et féminine; le choc ressenti par le sujet peut être lié au meurtre de sa mère, qu'il en soit ou non l'auteur ». Il y a ensuite « 1'exacerbation des désirs incestueux du garçon, le meurtre, si B. en est l'auteur, peut alors s'inscrire dans le registre passionnel ». Pour conclure, les experts indiquent qu'il pourrait être intéressant de procéder à un nouvel examen médico-psychologique « au cas où l'attitude de B. par rapport aux faits serait modifiée, en cours d'instruction ».

Dans la lettre précitée, l'expert poursuit: « B. niant les faits reconnus antérieurement s'est montré extrêmement fermé et réticent lors de ma première visite. Vu la gravité de l'affaire et l'attitude du garçon, j'ai dû multiplier les méthodes d'investigation pour tenter de cerner sa personnalité. J'ai donc pratiqué un test de niveau: le W.A.I.S., un test de personnalité sous forme de questions écrites, deux tests de personnalité basés sur l'interprétation et stimuli visuels, test de Rorshach et test de patte noire, deux tests de dessin: test de la famille et test de l'arbre; j ai ponctué le tout de plusieurs entretiens. ..»

On aperçoit clairement la frontière ténue qui sépare l'exploration de la personnalité, de la dérive inquisitoriale.

L'utilisation de dessins, tests, entretiens permettra de reconstruire un scénario de meurtre passionnel. « Si B. est l'auteur du meurtre, ce serait pour maintenir son omnipotence sur l'objet maternel que le garçon aurait tué sa mère, car jouissant de cette omnipotence à travers

l'amant de sa mère, celle-ci abandonnant son amant, par ricochet, c'est B. qui perdrait son emprise sur elle ».

Les faits sont appelés ici à authentifier les interprétations, mais ce sont les interprétations qui rendent les faits plausibles et le mensonge patent.

Dès lors, qu'en est-il de la présomption d'innocence ?

Établir une motivation psychologique du meurtre d'une mère par son fils ne peut pas être synonyme de culpabilité quant aux faits. C'est pourtant dans cette voie qu'allait s'engouffrer l'accusation dans son réquisitoire oral à l'audience, même si le rapport d'appel tentait d'en nuancer la portée.

Discussion

Il faut remarquer que, pour réfuter les arguments du parquet appuyant la démonstration de culpabilité sur l' expertise psychologique, il n' a pas été fait référence à l' article D.16 du Code pénal, tant dans le jugement du tribunal pour enfants que dans l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel. Notons donc :

Lorsque la construction de la vérité des faits résulte d'un aveu, qu'ensuite cet aveu est rétracté, la culpabilité qui n'est plus soutenue par cet aveu peut-elle être étayée par des constructions psy et quelle qu'en soit par ailleurs la pertinence ?

3.1. Du point de vue du juge

Que le juge dans sa recherche de la vérité des faits -je pense ici plus particulièrement au juge d'instruction -interroge l'inculpé en mobilisant le sentiment inconscient de culpabilité, cela n'a rien que de très banal, à condition bien sûr que soient respectés les formes procédurales et le mode du dire juridique. Mais qu'il joue le psy, il n'est plus à sa place de juge et la décision rendue sera susceptible d'être infirmée, annulée, cassée, par ces procédures de contrôle de la légalité que constituent les voies de recours.

Dans notre cas, la procédure de chargement des deux plateaux de la balance, représentés par le Ministère public et la défense, se devait d'être absolument égalitaire en respectant les mêmes règles de forme.

On peut alors se demander si le substitut pouvait reprendre, tant dans son réquisitoire écrit que dans son réquisitoire oral à l' audience, la construction par laquelle l'expert psychologue expliquait les faits dans l'hypothèse où l'inculpé aurait été coupable. N'était-ce pas entrer dans

la question du sujet sur un mode non juridique, donc interdit aux juges ?

Pour approfondir ce point, on peut se référer à la Cour d'assises, où la construction de la vérité se fait sous les yeux des juges, assesseurs et jurés, et sous le contrôle du Ministère public et de la défense. Le montage de la vérité dans ce procès - montage qui aboutit à l'intime conviction des juges - ne peut résulter que d'une démonstration qui ne laisse rien dans l'ombre: tout ce qui est à charge ou à décharge doit être examiné. Et si le doute, qui est en l'occurrence une catégorie juridique et non pas une catégorie subjective, demeure, c'est que la démonstration de la culpabilité n' est pas convaincante. Le doute doit donc profiter à l'accusé.

Nous touchons là à la question de la vérité dans les procès criminels, au dispositif qui sépare les places de discours et fait jouer les formes, pour que précisément la mise en scène judiciaire ne dévie pas de son but. La question de la vérité doit être posée, examinée et tranchée selon les conditions instituées du montage, qui sont en définitive un système de garantie au service de l'essentiel en cause dans une scène de procès. C'est pour cela que l'instruction à l'audience, c'est-à-dire littéralement ce qui est construit, assemblé, suit un rituel extrêmement contraignant.

J'insiste donc là-dessus. Le respect tatillon des formes est l'obsession des présidents d'assises, car seul ce respect des formes assure au juge sa propre place. Pour un président d'assises, la police de l'audience selon l'expression consacrée - c'est-à-dire au sens le plus concret, maintenir l'ordre - est à entendre comme garantie de l'ordre, de la différenciation, de la hiérarchie des places et des discours. Discours contradictoires, égalité devant la preuve des faits, reconnaissance de la place propre de chaque discours, y compris donc du discours de la « personnalité », de la vérité subjective de l'accusé.

Un président d'assises applique ainsi à sa personne et à sa fonction le principe de limite et de division, comme il l'applique aux autres acteurs du procès; il n'est pas maître de la vérité, il ne peut se laisser emporter par ses convictions personnelles. Jugeant « au Nom de », il se doit d'être le loyal architecte (au sens de construire, faire tenir une charpente) du procès. Si les formes, si la construction de la garantie ne tiennent pas, l'édifice de la vérité ne tient pas. C'est pourquoi il est nécessaire de redire ceci : devant la justice, on ne peut être déclaré coupable que de faits établis, c'est-à-dire littéralement qui sont fermes, solides car construits selon les règles.

De plus, on remarquera - ce point est essentiel pour l' affaire que je commente - qu'il y a chez le législateur comme une certaine méfiance à l'égard de l'aveu, lequel « comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges »2. En somme, l'aveu trop facilement produit serait de lui-même suspect. Il y a dans ce texte la prise en compte de l'ambiguïté de l'aveu, de l'éventualité d'une compulsion d'aveu.

3.2. Du point de vue de l'expert

De même que les juges ne peuvent pas utiliser l'examen médico-psychologique en tant que preuve de la culpabilité de l'inculpé (article D 16), de même la mission de l'expert n'est pas d'anticiper sur l'innocence ou la culpabilité de l'inculpé, mais d'apporter un éclairage sur sa personnalité. En l'espèce, il y a eu subversion du montage, de part et d'autre.

Deux plans sont ici à distinguer: la culpabilité quant aux faits et la culpabilité fantasmatique. À partir de tests ou d'entretiens, mettre à nu la vérité subjective de l'inculpé et la lui restituer sous la forme de la construction d'une interprétation mettant au jour un fantasme incestueux, est une chose. Mais, tabler sur la culpabilité quant aux faits, en décrivant ces faits comme la mise en acte du fantasme, même si cette hypothèse est intellectuellement plausible, c'est perdre de vue l'essentiel. La voie des faits, mode du dire juridique, et la voie du fantasme, mode du dire psy, sont deux voies parallèles qui doivent demeurer séparées, car les places d'interprétation ne sont pas les mêmes.

Dans l'hypothèse où l'inculpé nie les faits, l'expertise psychologique ne peut pas non plus avoir pour but de débusquer le mensonge.

Lorsqu'on interroge des experts psy à ce sujet, ils indiquent que, bien que cela ne figure pas dans l'ordonnance leur donnant mission, nombreux sont les magistrats qui souhaitent savoir, à travers les résultats des examens, si les inculpés mentent ou disent la vérité. Quel que soit le sacrifice qui est demandé là aux experts, mais aussi aux juges, il ne doit pas soit directement, soit indirectement, être répondu à cette demande.

Dans notre cas, le rôle des experts était particulièrement important. S'agissant d'un mineur, la voie éducative devait prévaloir. Or, aucune mesure éducative d'accompagnement n'est pensable sans une appréhension de la personnalité. Ici, les examens médico-psychologiques ont été détournés de leur but et utilisés pour l'établissement de la culpabilité. La voie des faits et la voie du fantasme se sont trouvées confondues.

Quand il y a maniement inconsidéré des savoirs sur le sujet, il y a dévoiement. Les psy ne peuvent prétendre à un travail d'humanisation, quelles que soient par ailleurs leurs qualités personnelles, qu'en respectant impérativement la logique des places.

C'est un leurre que de penser que la présence des psy dans le procès est automatiquement source d'humanité.

(*) Ancien juge des enfants, Conseiller à la Cour d'appel de Paris. Magistrat mis à disposition

du Laboratoire européen pour l'Etude de la Filiation.

1- Voici le texte en son entier: « L'enquête sur la personnalité des inculpés ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale prévue à l'article 81, alinéa 6 du Code de procédure

pénale et les examens, notamment médical et médico-psychologique mentionnés à l'alinéa 7 dudit article, constituent le dossier de personnalité de l'inculpé. Ce dossier a pour objet de fournir à l'autorité judiciaire, sous une forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l'affaire en cours, des éléments d'appréciation sur le mode de vie passé et présent de l'inculpé. Il ne saurait avoir pour but la recherche des preuves de la culpabilité. »

2- Article 428 du Code de procédure pénale,