La Petite de Anna Nozieres au Théâtre de la Colline

la petite

La Petite Texte et mise en scène Anna NozièreLa Colline – théâtre national

Du 27 septembre au 27 octobre 2012.

La colline

La répétition au théâtre est censée affiner le jeu et le rapport au texte ; pour la psychanalyse, la répétition est un mécanisme qui écrit le texte du symptôme. Une demande d’analyse est souvent faite au moment où quelqu’un a repéré qu’il répétait des situations ou des actes qui lui compliquent la vie et le font souffrir.

La répétition, à un certain point, peut rendre malade et la différence entre les générations se troubler...

Anna Nozière raconte l’histoire de La Petite. L’action se déroule dans un théâtre. La Petite est comédienne et joue chaque soir, une histoire qui s’apparente à sa propre vie. Six comédiens sont sur scène, deux hommes et quatre femmes. Parmi eux donc, La Petite, qui est enceinte de cinq mois. On apprend par une voix off que son fœtus a cessé de grandir mais qu’il est en bonne santé. Les médias, les médecins et le théâtre s’inquiètent et interpellent la troupe puis protestent et hurlent au scandale, ils se déchaînent. Pourquoi continue-t-elle à jouer ? Se met-elle en danger ainsi que son bébé ? On apprend par la voix off que la mère de La Petite était également comédienne et qu’elle est morte en accouchant de La Petite dans ce même théâtre. Le fantôme de sa mère est présent sur scène, plus jeune que sa fille, les générations sont croisées.

Cette pièce est une vertigineuse mise en abyme de cette question de la répétition. L’actrice est enceinte et son personnage l’est aussi ; la réalité et l’imaginaire se mélangent. La pièce montre bien cette confusion entre les plans de génération et entre le jeu et la réalité. D’ailleurs, La Petite a le même nom dans les deux dimensions.

C’est aussi une mise en abyme de la question du devenir femme et du devenir mère : La Petite « retient son enfant », comme lui dit un des personnages et elle a une voix d’enfant. Elle-même est arrêtée et figée dans le temps, sans pouvoir « grandir » ; elle est coincée dans son symptôme et dans sa répétition. Deux poupées sont également sur scène, un bébé et une petite fille, qui viennent souligner cet arrêt dans le temps, elles sont comme mortes, suspendues à un âge d’enfant.

La mère de La Petite n’a pas pu être mère puisqu’elle est morte en couches et La Petite ne parvient pas non plus à le devenir. Et comme son nom l’indique, elle est petite, c’est ce qui la définit ; elle n’a pas d’autre nom.

Cette difficulté de La Petite à devenir mère et femme se mêle à la ritournelle du théâtre : on répète au sens de la répétition théâtrale, et les choses se répètent : on ne sait plus s’il est question de l’enfant ou de sa mère, du jeu ou de la réalité. Les acteurs disent des phrases réitératives ; les mots, les actes et les phrases se répètent.

Il y a le discours du public, les médias, le savoir médical, et l’institution théâtrale elle-même incarnée par le personnage du metteur en scène, qui défend le théâtre et sa pièce. Les discours institutionnels s’entremêlent mais la Petite ne s’y retrouve pas pour autant ; elle s’y embourbe même. Les cris des spectateurs mécontents se font entendre dans le théâtre, de plus en plus fort, ce dernier fait caisse de résonance à cette répétition familiale mortifère. Le public va presque faire tomber les murs du théâtre : il y a une remise en question de cette institution qui en l’occurrence alimente cette répétition, sans cesse.

Lors de la dernière scène, La Petite parle enfin avec sa mère qui lui demande de la laisser partir. Ceci présentifie le dénouement, une sortie possible car lorsque la petite libère sa mère et son fantôme, la fin de cette répétition morbide se produit ; à cet instant elle sent son propre enfant bouger dans son ventre. Ne retrouve-t-on pas là le couple aliénation-séparation ? N’y a-t-il pas également une métaphore du travail psychanalytique dans ce rapport au passé qui se répète ? Un passé qui ne passe pas.

Les comédiens sont justes, mais les enjeux un peu trop démontrés : il m’a semblé que les poupées étaient en trop. La pièce aurait pu être moins chargée car il y a une voix off, de la musique, les bruitages d’un public qui s’énerve, des voix, alors que le texte lui-même est assez fort et aurait pu se suffire à lui-même.

La mise en scène a été prise dans une répétition de ce que le public doit comprendre, à moins que cela n’ait été voulu par la metteure en scène. Dans l’ensemble la pièce reste par trop collée à l’objet lui-même.

Lorena Escuredo-Diener