Chronique d'une psychanalyste en Chine

Un dragon sur le divan. Chronique d’une psychanalyste en Chine. Erès 286 p 14.50 Euros

 

« Mes bibles freudiennes et lacaniennes à la main, je suis partie en 2003 évangéliser la Chine avec un enthousiasme certain. Au moment où j’écris ces lignes, c’est-à-dire treize ans plus tard, mon regard est plus nuancé et sans doute plus réaliste ».

 

C’est par ces mots que commence le récit d’une aventure vécue et racontée comme un récit de voyage par Pascale Hassoun. Il n’est sans doute pas anodin qu’il y soit fait d’emblée référence à un projet d’évangélisation comme si, des siècles plus tard et de façon incontournable, notre élan vers la Chine reprenait celui des Jésuites, celui de la parole révélée aux peuples dont il faut assurer le salut. Pascale Hassoun n’est pas la première venue. Elle a derrière elle un long passé de clinicienne et elle est connue et reconnue depuis ses premières armes à l’École Freudienne de Paris, comme une figure du mouvement psychanalytique. Et ce n’est sans doute pas sans une certaine dose d’autodérision qu’elle commence ainsi ce livre qui la révèle à nous tout autant qu’elle nous instruit de la Chine et de la psychanalyse dans ses balbutiements.

 

On rappellera rapidement, tant cela est maintenant connu, que le premier à faire le voyage fut M. Huo Datong venu en France se former à la psychanalyse dite lacaniennne auprès de Michel Guibal . Un document vidéo est disponible sur le site œdipe qui raconte en détail cette autre aventure. De retour en Chine, Huo Datong créa le premier centre psychanalytique dans la ville de Chengdu et c’est précisément dans cette ville et en relation avec ce lieu de formation à la psychanalyse situé dans le campus des étudiants, que Pascale Hassoun est allée à la rencontre de ceux qui, sous la houlette de Huo Datong, viennent se former à la psychanalyse.

 

Mais après tout, l’intérêt pour la Chine et pour l’Asie en général fut de tout temps réciproque et Louis XIV qui, dans sa lutte pour la domination du commerce international, reçut à la Cour les ambassadeurs venus du Siam en 1686, en fit le premier l’expérience.

 

Sans surprise, partir ainsi à l’aventure , sans rien en connaître et tout spécialement sans connaissance de la langue, c’est partir à la découverte de soi-même et pour un psychanalyste ouvrir les yeux sur ce que le quotidien nous dissimule si adroitement. La principale qualité du psychanalyste c’est la curiosité, l’intérêt pour l’autre, son parcours, son cheminement intérieur, ses angoisses, ses certitudes si fragiles en somme. Classer, répertorier, poser un diagnostic n’est pas notre démarche première même si elle n’est pas absente de notre écoute. Notre première question est: « qu’est-ce qui vous amène ? » ; La Chine est ici l’analyste de Pascale Hassoun. C’est elle, « La Chine » qui lui pose sans relâche cette question .

 

Et tout à la fois, au fil des pages, dans sa tentative de transmettre quelque chose de la psychanalyse, elle nous enseigne tout naturellement ce qu’est pour elle le métier de psychanalyste. Pour qui la connaît, ce livre est tout entier son reflet. Il est fidèle à ce qu’elle est au quotidien ; Un livre vivant rempli de questionnement mais tentant à chaque page de réfléchir aux obstacles qu’elle rencontre. Car ceux-ci on s’en doute sont particulièrement nombreux et tout d’abord parce que rien ne prépare les postulants au titre de psychanalyste – on verra que la plupart sont fort éloignés de percevoir ce dont il s’agit réellement.

 

Comme cela était prévisible, les interlocuteurs de P. Hassoun attendent des réponses à leurs questions, des solutions à leurs problèmes ; Du prêt-à-porter en quelque sorte. Quant à la théorie analytique , on sait à quel point elle peut virer au dogme ce qui évite de penser par soi-même , l’expérience française est à ce titre particulièrement parlante. Et l’on ne voit pas par quel miracle, les chinois ne se confronteraient pas à ce risque.

On devine au fil des pages comment P.Hassoun cherche, tout en n’excluant pas d’éclairer dans la mesure du possible ses interlocuteurs, en recourant à ce que sa clinique lui a enseigné et qu’elle nous transmet et en s’appuyant autant que faire se peut sur les écrits des grands auteurs de la pensée psychanalytique, à les conduire dans une démarche plus approfondie des problèmes soulevés tout en n’ignorant pas que ces questions prennent place dans un système culturel auquel la notion de choix individuel se heurte rapidement. P. Hassoun nous fait comprendre le dilemme dans lequel elle se trouve propulsée d’emblée tant il est vrai  qu’on ne raye pas ces derniers d’un trait de plume. Sans doute, plus qu’ailleurs, le choix individuel s’oppose radicalement aux règles instituées par la collectivité et celles régissant tout particulièrement la cellule familiale.

 

Si dire ce qui vient, sans tabou et sans écarter quelque sujet que ce soit apparaît difficile à tout un chacun, en Chine cela relève d’une sorte de mission impossible très proche comme le relève P. Hassoun du délire. D’où une nécessaire prudence ; Cependant, en treize ans certaines difficultés ont pu commencer à être levées, ce qui ne veut pas dire que, sur le fond, elles ont disparu : « Au fil des années, parallèlement au développement économique, je perçois une atténuation de cet interdit de penser et de parler. Je sens les choses changer. Il devient possible, individuellement, d’évoquer le passé et de se situer non seulement dans son histoire personnelle, familiale, œdipienne, mais dans l’histoire du pays. Une sorte de honte à avoir vécu tel événement, à avoir été marqué d’un bannissement, par exemple, semble pouvoir s’exprimer au sein d’échanges personnels. Cependant, collectivement, il reste des pans de l’histoire nationale absolument tabous »

 

 

Dans son transfert avec « La Chine » P.Hassoun en vient à tenter un véritable enseignement avec des cours, des textes à lire durant son absence etc. « À peine sommes-nous rentrés à Paris que déjà nous pensons au « devoir » que nous allons leur envoyer (Je suis en contact avec mes amis chinois jour et nuit. Je veille sur eux, pense à ce qui serait le meilleur pour eux (…) Pour eux je parcours les textes psychanalytiques pour cerner ce que je pourrais leur transmettre. A chaque lecture, je me dis que ce passage est essentiel. J’aimerai tellement qu’ils le connaissent. »

 

Oui mais voilà, au bout du compte s’impose cette douloureuse réalité à laquelle il faut bien se résoudre: « Non, il n’y aura pas de transmission telle que je la rêve » peut-être alors pouvons-nous conclure avec elle que la question de fond est bien celle-ci : ce qui sera transmis sera soit une nouvelle technique soit une nouvelle façon de regarder. Et c’est bien au fond l’essentiel en effet du choix qui se présente en sachant que ce sera sans doute ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre.

 

L’amitié ancienne qui me lie à Pascale Hassoun comme celle qui me liait autrefois à son mari Jacques Hassoun n’est pas pour moi un obstacle à cette lecture car je retrouve dans ce livre toutes les qualités que j’estime chez elle. Chaleureuse, créative, intuitive. Par moments elle nous fait partager ses rêveries de petites filles, les fous rires qui surgissent d’une complicité féminine redécouverte à l’occasion d’une rencontre. C’est un livre accessible à tous et qui sans vocabulaire pédant nous indique comment cheminer avec les patients aujourd’hui en Chine… et ailleurs.

 

Laurent Le vaguerèse