Le cas Paramord
obsession et contrainte psychique, aujourd'hui

Sur l'auteur

Pierre-Henri Castel, philosophe et historien des sciences, exerce la psychanalyse à Paris.

Critiques du livre

Le cas Paramord
Un cas pour la psychanalyse : le Cas Paramord [1] Le geste éditorial est rare : les éditions Ithaque publient à nouveau le récit très détaillé d’une cure psychanalytique après l’avoir déjà intégralement publié il y a de cela à peine quatre années. Le récit de la cure de Paramord que propose ce livre figurait en effet déjà comme épilogue de l’imposant essai que le même auteur, le psychanalyste Pierre-Henri Castel, avait publié en 2011 et 2012 et qui traitait de l’histoire des obsessions et de la contrainte psychique intérieure ainsi que de leurs traitements de l’Antiquité à nos jours [2] . Il...
Le cas Paramord
Pierre-Henri Castel présente le cas Paramord comme constituant la première pierre d’un nouvel édifice qu’il souhaite contribuer à construire et dont on perçoit rapidement l’ambition qui est de transformer de fond en comble aussi bien la théorie que la pratique de la psychanalyse. Il n’est ni le premier ni le seul à avoir cette ambition. Ce n’est pas son premier livre. Celui-ci a été précédé de plusieurs autres portant en particulier sur la critique de la psychanalyse ( à quoi résiste la psychanalyse ? en 2007) ainsi que sur la question des relations entre la symptomatologie obsessionnelle et...

Pierre-Henri Castel : Le cas Paramord. Obsession et contrainte psychique, aujourd’hui. Paris, Ithaque Colllection Psychanalyse 2016. 166p 16€.

 

Pierre-Henri Castel présente le cas Paramord comme constituant la première pierre d’un nouvel édifice qu’il souhaite contribuer à construire et dont on perçoit rapidement l’ambition qui est de transformer de fond en comble aussi bien la théorie que la pratique de la psychanalyse. Il n’est ni le premier ni le seul à avoir cette ambition. Ce n’est pas son premier livre. Celui-ci a été précédé de plusieurs autres portant en particulier sur la critique de la psychanalyse (à quoi résiste la psychanalyse ? en 2007) ainsi que sur la question des relations entre la symptomatologie obsessionnelle et la structure anthropologique des sociétés modernes (Âmes scrupuleuses, vies d’angoisse, tristes obsédés 2011 et la fin des coupables, 2012)

 

Dans ce dernier ouvrage figurait déjà Le cas Paramord mais s’y ajoute ici une longue postface qui donne toute sa dimension à ce projet et fait de ce livre un ouvrage à part entière.

 

La première partie est donc consacrée au récit de cette cure dont P-H Castel souligne pour lui l’importance. Paramord constitue à ses yeux le patient zéro, celui qui conduit le psychanalyste qui en dirige la cure, à une révision conceptuelle et technique en profondeur. Celle-ci s’étale sur 4 ans et P-H Castel reconnaît qu’il ne peut ici nous en livrer qu’une faible partie, essentiellement le milieu de celle-ci. Il a également l’humilité de ne pas considérer son patient comme étant « guéri ,» mais ayant, à l’issue de sa cure, retrouvé une plus grande aisance dans sa vie personnelle et sociale.

 

« Tout dans ma vie est si compliqué »

 

La richesse des pistes explorées par P-H castel rend difficile une vue d’ensemble de l’ouvrage et ce malgré l’épaisseur relativement modeste de celui-ci. Commençons par l’intitulé du cas : « Paramord » reprend deux éléments de la cure de cet homme dans la cinquantaine, suivi par ailleurs au plan médicamenteux par un psychiatre, et qui présente les traits d’une névrose obsessionnelle grave. Chacun des actes de sa vie quotidienne est en effet marqué par une impossibilité non seulement de décider mais surtout de s’autoriser à décider et donc d’exister.

 

Le premier élément qui rend compte du nom donné par P-H Castel à ce patient est constitué par la reprise d’une parole paternelle qui l’a fortement marqué « pas de regret pas de remord » dont on perçoit tout le caractère paradoxal au regard des embarras dont sa vie quotidienne est faite. Le second élément est la carapace psychique que s’est forgée Paramord en anticipation à l’effondrement psychique perçu comme lié à la mort imminente de son père. Paramord c’est le bouclier psychique contre les effets de cette mort.

 

De l’autonomie aspiration à l’autonomie condition

 

Le cadre général de la réflexion anthropologique qui soutient la démarche de l’auteur tient dans l’affirmation d’un changement radical existant entre l’époque où Freud établit la théorie du refoulement et des mécanismes de défense de l’homme moderne et qui l’ont conduit à l’approche que l’on sait de la maladie obsessionnelle et celles qui président actuellement à la constitution de celle-ci. La contrainte psychique qui s’exerce sur l’individu au temps de Freud c’est, écrit-il, celle de l’autonomie aspiration. L’homme aspire à cette autonomie. Il s’agit pour le psychanalyste de l’aider à dégager le processus moteur du désir qui doit le conduire à cette autonomie. Celle-ci se trouve entravée par des processus de culpabilisation de nature oedipienne.

 

Au contraire aujourd’hui nous ne serions plus dans une problématique d’autonomie aspiration mais bien au contraire dans une autonomie élevée au rang de condition normative et impérative. Hors de celle-ci point de salut pourrait-on dire.

 

 

 

La Honte

 

Cela conduit P-H Castel à mettre en avant la question dominante de la honte du père et pour le père en place de la question de la culpabilité des désirs ambivalents du fils à l’égard de son père.

 

Car si pour l’obsessionnel freudien c’est le processus de refoulement lié aux désirs oedipiens qui entravent son fonctionnement psychique, c’est le rapport de l’homme à un père défaillant qui engendre la honte pour lui dont l’ombre se reporte sur le fils. Le père n’a pas, pourrait-on dire, tenu la place que la société lui assigne et qui l’autorise par là même à exister, d’où l’embarras et la honte du fils qui va jusqu’à s’empêcher d’exister.

 

Outre ce cadre anthropologique c’est aux questions actuelles et aux impasses de la théorie et de la pratique psychanalytique que l’ouvrage s’efforce d’ouvrir à de nouvelles perspectives.

 

 

Post post post kleinien ?

 

P-H Castel inscrit sa réflexion dans un mouvement de pensée auquel le lecteur français surtout lacanien est peu coutumier, celui des débats qui ont lieu dans la sphère anglo-saxonne et qui sont issus des héritiers de Mélanie Klein et de ses successeurs en particulier Bion. C’est autour des questions soulevées par ces derniers que P-H Castel s’efforce d’apporter des idées nouvelles. Le lecteur formé à une conceptualisation freudienne et/ou lacanienne de la cure est ici assez désorienté. Si Castel fait clairement le choix de se tourner vers les auteurs post-bioniens c’est que pour lui c’est de leur côté que se trouvent les pistes les plus riches d’un monde marqué de plus en plus par le principe de l’autonomie-condition alors que pour lui les théories qu’elles soient freudiennes ou lacaniennes s’appliquent à un monde en désuétude celui comme on l’a déjà souligné de l’autonomie-aspiration

 

 

Si l’auteur a bien conscience d’ajouter sa pierre à la réflexion présente dans l’ouvrage déjà commenté ici de Laurence Kahn (cf l’interview de L. Kahn pour le prix oedipe 2015), mettant en cause le concept d’empathie et de primat de la relation d’objet dans la cure, qui constituent aujourd’hui la base des pratiques anglo-saxonnes, Castel s’attache plus particulièrement aux concepts forgés par les auteurs post-bioniens (Bollas, Ogden et Ferro notamment) auxquels il emboîte le pas tout en contestant certains points de leur apport.

 

Que reste-t-il de Freud et de Lacan ?

 

Pour le suivre dans sa réflexion, il nous faut mettre de côté toute approche théorique qu’elles soient freudiennes et/ou lacaniennes en tout cas en ce qui concerne ce type de patient soit ceux qui sont, comme Paramord, pris dans le processus de l’ “imposture universelle“ (personne ne fait référence, être le seul et unique juge de ses actes, juger en permanence de leur validité, et substituer la honte à la culpabilité.)

 

Ainsi concernant la théorie du refoulement : « Il va sans dire que cette analyse contredit radicalement un pilier de la psychanalyse freudienne : la séparabilité de l’affect et de la représentation » ou bien ceci : « c’est même le ternaire RSI (réel, imaginaire, symbolique) que je vise en son cœur. ».

 

Par quoi donc substituer cette approche “classique “ ? va-t-on vers une technique, censée se fonder sur les apports du Kleinisme et de l’interprétation de l’identification projective qui aboutirait à quelque chose comme un « épanchement imaginaire » un « parler-rêver » ou les associations du patient et de l’analyste viendraient s’entrelacer ? Un inconscient combiné en quelque sorte.

 

Il ne me paraît pas tellement compliqué de percevoir ce que ce type de conceptualisation a de farfelue, même si en effet l’inconscient de l’analyste se trouve certainement mis en œuvre dans la cure et ce non seulement par les dires du patient mais bien au-delà par tout ce qui s’échange entre eux et qui, qu’on s’en réjouisse ou s’en attriste, se passe pour l’essentiel hors du champ de la conscience. Et, au moins sur ce point, P-H Castel convient que tout cela n’est guère satisfaisant. Sa conclusion est sans appel : « Bollas, Ogden et Ferro (à la différence de Bion) semblent ainsi laisser tomber la question de la cohérence rationnelle de leur entreprise. »

 

Penser en termes d’actes de langage. « Qu’on dise reste oublié derrière ce qu’on dit dans ce qui s’entend ».

 

Pour P-H Castel l’émotion est intrinsèquement relationnelle. En conséquence, cette rêverie à deux que mettrait en œuvre la cure dans sa conception bionienne , trouverait là le principe de sa « vérité » ; “c’est par la médiation d’autrui que je découvre ce que je sens réellement “écrit-il P 142. Plus encore, Castel pose que l’on doit renoncer à séparer le signifiant de l’affect mais considérer tel l’acte de parole comme un tout, repérable seulement à ses effets. (« perlocutoires »). Et pour appuyer son propos il cite… Lacan « Qu’on dise reste oublié derrière ce qu’on dit dans ce qui s’entend ».

 

Comme on le voit, il y a dans les propos de P-H Castel à la fois ambition et interrogations multiples.

« j’ouvre là un chantier immense » dans quel but ? celui de mettre fin à un processus qu’il nomme totémisation de la psychanalyse, soit l’incapacité des psychanalytes à repenser les fondements de la psychanalyse en tenant compte certes de l’expérience et des acquis théoriques du passé mais en acceptant une refondation au regard d’un monde qui lui aussi a changé fondamentalement. La suite nous dira l’écho qui s’en suivra ici et ailleurs

 

 Laurent Le Vaguerèse