Tome 1 Concepts psychanalytiques en mouvement

Florence GUIGNARD Psychologue clinicienne, psychanalyste et chercheuse a travaillé à Genève et à Paris ; elle est membre de l'Association Psychanalytique Internationale et de la Société Psychanalytique de Paris. Elle est  co-fondatrice de la Société européenne pour la psychanalyse de l'enfant et de l'adolescent (SEPEA) . Elle a écrit de nombreux ouvrages en collaboration et publié plus de 250 articles. Elle est aussi l'auteur de deux livres : « Au Vif de l'infantile » (Delachaux & Niestlé 1996), « Épître à l'objet » (P.U.F. 1997)

« Quelle psychanalyse pour le 21 siècle ? » est, comme son titre l'indique, un ouvrage résolument tourné vers les questions actuelles de la psychanalyse. Mais ce premier tome reprend aussi les fils conducteurs d'une pensée qui s'est cherchée dans la deuxième partie du 20° siècle tant au contact de la psychanalyse française que de celle de Mélanie Klein ou Donald Melzer, elle s'est surtout aussi nourrie de l'important apport de W. R. Bion .

Ce parcours fait dire à l'auteure que « La méthode psychanalytique est donc dans un champ extrêmement complexe, dont les paramètres peuvent se laisser définir, mais dont le fonctionnement est constamment en mouvement » (page 26).

« La psychanalyse se réfère à toute l’histoire de la sexualité humaine. Comme celle-ci ne cesse de se développer, de se métamorphoser, en interaction avec les profonds changements de structure sociale et économique pour les individus qui composent une société donnée, on est en droit de se demander quel va être le devenir de son influence au cours de son nouveau millénaire. »

Pour Florence Guignard la nature du compromis entre l'objet du désir et l'objet de la satisfaction est longtemps demeurée peu théorisée. Il a fallu attendre les développements de Wilfred Bion sur la « transformation » dans sa théorie de la pensée pour aborder la question au niveau de ce que l'on pourrait qualifier : « microprocessus psychique ».

Florence Guignard remarque l'importance que la psychopathologie psychiatrique a longtemps occupée dans la compréhension du fonctionnement psychique mais, pour sa part et dans le prolongement de ses recherches, elle préfère s'intéresser à une démarche plus développementale. Ceci l’amène à valoriser la question des mécanismes de défense de base, en particulier celle du clivage ainsi que celle des concepts post freudiens de « position » et de « projection identificatoire ».

Mais,surtout, tout au long de cet ouvrage elle insiste sur une perspective, celle qu'elle appelle les concepts « de troisième type » parce qu'ils présentent une mobilité et une réversibilité propre à la description d'une entité aussi mouvante que les réalités psychiques.

Le premier chapitre est consacré à l'organisation généalogique des pulsions ; on y trouve par exemple cette notation « la proposition générationnelle d'une double inscription pulsionnelle d'élan vers la vie et de destructivité au sein même des pulsions sexuelles mérite d'être soulignée. On ne saurait classer ces dernières sous la seule égide de la libido. On y perdrait la problématique des pulsions du Moi (troisième génération) donc, de tout le domaine du narcissisme et de celui des perversions. On ignorerait aussi la subtile dialectique qui existe entre le plaisir sexuel et la reproduction de l'espèce. En effet l'hominisation et la psychisation de l'instinct implique la diversification des buts et du devenir des pulsions sexuelles. » 

Sa réflexion lui permet de dépasser le manichéisme conscience/inconscient et redonne sa normalité au paradoxe. Elle souligne : « Dans notre civilisation binaire, il est urgent de rappeler que, contrairement au formatage de l'intelligence artificielle, le fonctionnement psychique humain pâtira toujours de sa méconnaissance du « reste » qu'implique toute opération manichéenne de clivage ». C'est le concept de pulsion dans sa généalogie qui constitue le socle principal de cet ouvrage.

Les chapitres suivants revisitent les notions de clivage et de projection identificatoire. Florence Guignard part de la naissance de la vie psychique en reprenant la notion introduite par Bion de « changement catastrophique » que constitue la naissance « qui va, dans un même mouvement imprimer violemment dans l'infans l'inconnu éblouissant d'un objet qualifié avant d'être perçu, vectoriser les pulsions de celui-ci vers cet objet énigmatique, et susciter les fantasmes originaires de vie intra-utérine et de castration chez le sujet en devenir ». C'est cette situation qu'elle désigne comme étant « le conflit pulsionnel primordial » qu'elle déplie à travers une relecture attentive de M. Klein et de D.W. Winnicott.

Le clivage est un mécanisme de défense utilisé pour maintenir le sentiment d'identité « par un Moi qui est encore extrêmement vulnérable » nous dit-elle. Elle montre comment en tenant compte de la manière dont il s'est construit et les fonctions qu'il occupe, de nombreuses implications en découlent dans la conduite de la cure.

Florence Guignard s’intéresse aussi au passage de la pulsion à la pensée à travers une relecture du Petit Hans et de « Souvenir d'enfance de Léonard de Vinci ». Elle remarque que Freud a effleuré dans ce denier texte la notion de « pulsion épistémophilique », mais qu'il faudra attendre les travaux de Bion pour en faire vraiment une pulsion originaire à part entière. Elle consacre d'ailleurs un développement intéressant (de type post kleinien) à l'articulation de la pulsion épistémophilique avec les pulsions sadiques tant sur leur versant normal que pathologique. Elle poursuit cette voie qui relie Bion à Freud à travers une exploration des trajets qui partant de l'excitation brute parviennent aux formes les plus élaborées de la pensée et de l'Art.

On peut retenir aussi dans cet ouvrage les deux chapitres consacrés respectivement à « Œdipe avec et sans complexe » et « Œdipe adolescent ». Pour elle, par exemple « ce n'est qu'au moment de la seconde période de l'adolescence, à l’avènement des premières relations sexuelles, que la réalité extérieure va contraindre les adolescents à réaménager leurs investissements et leurs identifications, tant maternels que paternels, s'ils veulent s'établir dans une vie de couple – et a fortiori fonder une famille- c'est à ce moment seulement qu'ils auront à passer d'une relation de certitude quant à leurs objets d'investissement prégénital et génital infantile, à l'incertitude quant à l'objet de leur désir génital adulte, désormais biologiquement accessible » mais ajoute-t-elle cette période de répit face à la latence et à la première adolescence « prolonge d'autant l'ambiguïté du statut de l'individu en tant que sujet de sa propre existence. » « Or, si le grand adolescent se trouve pris dans des projections et des introjections identificatoires, tant primaires que secondaires, trop nombreuses et trop hétérogènes à chacun de ses deux parents, la coexistence de celles-ci va rapidement créer des difficultés à partir de la rentrée dans la vie sexuelle, et donner lieu à l'apparition de symptômes divers ».

Ce premier tome s’achève sur une réflexion sur le concept d'Infantile qui lui a servi de fil conducteur. Elle l’écrit avec une majuscule pour le différencier de l’ordinaire adjectif. Elle le définit comme un organisateur central dans le fonctionnement de tout individu. « Structure de base aux franges de notre animalité, dépositaire et conteneur de nos pulsions, tant libidinales ou haineuses qu’épistémophiliques, l’Infantile est cet alliage de pulsionnel et de structural "souple", qui fait que l’on est soi et pas un(e) autre. »

C'est l’occasion d'intéressantes remarques sur la place de l'Infantile du psychanalyste dans la cure. Florence Guignard conclut : « un analyste expérimenté doit pouvoir entendre l'Infantile chez son analysant quel que soit l'âge de ce dernier, sans jamais oublier de prêter une oreille attentive aux mouvements spontanés, parfois violents, parfois persécutés, parfois déprimés de son propre Infantile. »

L'écriture de cet ouvrage est agréable mais ce qui m'a particulièrement séduit est cette ouverture qui lui fait écrire (ce à quoi je souscris totalement) : « La théorie psychanalytique ne devrait pas être considérée comme un roc inamovible, mais plutôt comme un ensemble de modèles, dont il importe de remettre en question et de requalifier sans cesse les configurations conceptuelles non seulement à l'aune des avancées de la méthode et les modifications de la technique, mais aussi à la lumière des changements anthropologiques et sociologiques survenus depuis la naissance de notre discipline ».

 

Frederic Rousseau

 

 

 

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