On connaît l'œuvre de Marguerite Yourcenar. La référence, ici, est son premier ouvrage, date de 1929, et intitulé "Alexis, ou le traité du vain combat!" Le thème est celui d'une longue lettre d'un homme, Alexis, à sa femme, Monique, qu'il quitte pour vivre son homosexualité, sans jamais, cependant, la nommer.

Ce premier livre de Marguerite Yourcenar fut réédité. C'est l'occasion pour l'auteur, dans la préface, d'avouer au lecteur : "J'ai parfois songé à composer une réponse à Monique, qui sans contredire en rien la confidence d'Alexis, éclairerait sur certains points cette aventure, et nous donnerait de la jeune femme une image moins idéalisée, mais plus complète.

J'y ai pour le moment renonce.

Rien n'est plus secret qu'une existence féminine."

riennestplusfem

C'est précisément le pari que Jean-Pierre Lebrun, psychiatre, psychanalyste à Namur (Belgique), membre de l'Association Lacanienne Internationale, s'est fait à lui-même, en 1987, d'écrire une réponse, imaginaire, jusque-là inexistante, de Monique à Alexis.

Pari réussi, pari gagné, le tout au moyen d'une écriture qui œuvre au travers d'une langue française superbe et élégante, dans le respect total du style spécifique de Marguerite Yourcenar.

Il s'agit ici d'une deuxième réédition de son livre paru chez Ères (2001, 2012). Il faut savoir que c'était, en 1987 (Editions Jacques Antoine, Bruxelles), le premier livre de Jean-Pierre Lebrun.

Ce détour littéraire où l'écriture fait fonction de nouage d'éléments a priori disjoints permet à J.P. Lebrun d'aborder, comme il le fera par la suite dans plus d'une quinzaine d'ouvrage, ses questions fondamentales en tant que psychanalyste.

Ici il s'agit de la question de "l'absence à soi-même", celle de Monique, mais aussi celle où beaucoup de femmes pourraient se reconnaître, sans compter quelques hommes, la vôtre, la mienne, et même celle, sans doute, d'un moment, aujourd'hui révolu, pour l'auteur... Et, plus précisément encore, comme nous l'explique Jean-Pierre Lebrun dans la préface, il s'agit d'aborder le fait, pour un sujet, plus de "ne pouvoir", avant que de "ne vouloir rien savoir"... de quoi ? De l'inconscient !

"Avec l'inconscient, on pourrait en effet avancer - non sans quelque prudence - qu'il ne s'agit jamais que d'un savoir toujours déjà su par le sujet mais dont il ne voulait. - ou ne pouvait - jusque-là rien savoir. La distinction entre pouvoir et vouloir a ici tout son poids, car, effectivement, le "je n'en veux rien savoir" qui caractérise la névrose banale d'un chacun peut recouvrir un "je n'en peux rien savoir", au sens d'une aptitude dont le sujet ne dispose pas, voire même parfois d'une permission qu'il n'aurait pas reçue." (p.9)

On verra en lisant ce livre que cela aura été le cas pour Monique, peut-être pour vous, moi, et l'auteur, jusqu'au jour où... Quelque chose peut, oui, se savoir... ! Néanmoins, il suffira, ensuite, de le vouloir...

Lisez ce superbe petit texte !

Jean-Michel LOUKA