Faire parler les silences de son histoire

C’est un ouvrage de vulgarisation psychanalytique et historique au sens noble du terme. Un livre qui dévoile sans dévoyer et dans lequel même les spécialistes des violences de tous ordres apprendront des informations historiques qu’ils ignoraient peut être. Intéressante par exemple l’analyse de la représentation de Dora Mar par Picasso dans ce portait au museau de chien (Lacan et la femme au tableau) ou la relation thérapeutico-amoureuse Marylin Monroe/Ralph Greenson. Le langage n’est jamais jargonneux et le discours aussi clairement posé que les méandres d’un tel sujet peuvent le permettre. C’est plutôt le biais historique que l’auteur a choisi pour son sujet qui est à la fois celui de la violence individuelle faite l’enfant, et de la violence collective (écho chez l’adulte de la violence faite à l’enfant), violence politique, pogroms, génocides… Hommage affiché à l’œuvre d’Imre Kertèsz où s’établit un lien de fait entre violences subies dans l’enfance (15 ans dans son cas) et l’expérience concentrationnaire (cf. Être sans destin, 1997).

Dans ces sujets où l’abandon du père est central, Louise Grenier convoque beaucoup de biographies célèbres et quelques anonymes à qui elle put offrir une écoute. « Comment fabriquer de la vie avec toute cette mort ? » Avec l’écriture, l’œuvre d’art, le récit et le récit dans le cadre de la psychanalyse, répond-elle… ses réponses sont multiples entremêlées, quelquefois confuses, mais en tout cas toutes compatibles. Pour relire les chapitres déjà écrits et à peine transposés de la violence individuelle, Louise Grenier convoque Romain Gary, Virginia Woolf, Marguerite Duras, Marylin Monroe, Dora Mar…. Le portrait de cette dernière étant sans doute le plus émouvant. Tous s‘appuient sur une solide documentation historique et un compte rendu exigeant des états psychiques qui finissent par former d’intéressants commentaires littéraires sous l’angle psychanalytique. C’est un exercice de style ardu mais réussi. On passera sur quelques adresses directes aux lecteurs, pris à témoins dans ce qu’il pourrait rencontrer de points communs avec les sujets décrits et que j’ai moins apprécié pour ma part, pour en arriver au très vif du sujet : la violence collective, politique, le génocide. Primo Levi, Bruno Bettelheim, Jorge Semprun et Imre Kertèsz jouent les parties tragiques de ce quatuor qui accompagnent l’analyse. L’auteur ne cède pas à la facilité dans ce parcours difficile où la figure d’Imre Kertsèz est omniprésente, comme imprimé dans l’essence même du livre. Après ces passages graves qui touchent au plus secret des « effondrements intimes », au plus profond, au plus sombre de l’être, l’auteur aurait pu s’arrêter là. Elle a choisi de terminer par quelques pages (5) consacrées à la violence dans la relation thérapeutique qui peuvent fournir sujet à discussion. La conclusion tire le rideau sur cette violence dont Louise Grenier souligne qu’elle n’a pas besoin d’être extraordinaire (ce qu’avait déjà fait avant elle Hannah Arendt dans son Eichmann à Jérusalem, Étude sur la banalité du mal) et que la violence peut se trouver dans un silence ou dans une absence et de citer Lacan dans Ecrits, Fonction et champs de la parole et du langage.

Encore une fois c’est un livre de vulgarisation et cela ne résonne pas à mes oreilles comme quelque chose de négatif. Pour qui aurait à découvrir l’origine du « chapitre censuré » de son histoire, je crois que ce livre peut apporter beaucoup avec ses formules simples et frappantes comme « Guérir du mal de l’autre » qui vont droit là où elles doivent aller.