Voici un livre intéressant. Pourquoi ? Et en quoi ? Déjà, Vladimir MARNOV raconte ce qu’il fait ! Un psychanalyste qui s’expose en exposant un sujet, c’est passionnant. Trop souvent à mon goût les ouvrages de psychanalyse sont un travail universitaire au point où, quand on referme le livre, on reste bien perplexe.

Vladimir MARINOV, membre de l’Association Psychanalytique de France, travaille à Sainte Anne, il collabore avec l’unité « Troubles du Comportement Alimentaire, il est professeur à l’Université Paris 13 et il reçoit en cabinet privé à Boulogne (92). Il a précédemment publié plusieurs livres, dont un où il présente spécifiquement une technique du collage qui permet à des patients anorexiques d’évoluer sur leur représentation du corps. Néanmoins, dans ce présent livre, il serait bienvenu de la préciser davantage, car il y fait référence sans suffisamment l’expliciter.

Il paraît inventif comme la psychanalyse in vivo l’exige, les appuis théoriques permettent de comprendre comment il se fabrique sa pratique.

En cours de lecture, le hasard a fait qu’une jeune anorexique s’est adressée à moi, dans une totale détresse. J’avoue que la lecture en cours m’a permis d’envisager cette problématique différemment. C’est cela un bon livre de psychanalyse ! Ses réflexions m’ont permise d’avancer dans les miennes. Il ne s’adresse pas à vous comme un maître mais comme un psychanalyste, confronté à des difficultés qui nous dépassent en permanence. Il présente ses pistes pour transmettre ce que son expérience spécifique avec ce type de patients lui paraît partageable. Je ne résumerai pas les différents chapitres, je préfère extraire quelques pistes.

Tout d’abord la notion, qu’il dit contemporaine, d’addiction, qu’il met en parallèle avec la notion freudienne de contrainte. Il rappelle que la contrainte ne désignait, pour Freud, « pas uniquement les représentations propres à la névrose obsessionnelle, les obsessions proprement dites, et les actes compulsifs qui s’y associent. La notion était aussi étroitement liée à celle de répétition… Appliquée à l’anorexie, par comparaison, celle d’addiction, suggère un assujettissement à l’autre (une personne ou une substance), l’écrasement des conduites auto-érotiques au profit de l’étayage de la sexualité sur l’objet externe… un glissement vers une dépersonnalisation du fait de la passion pour l’addict et la mise en danger du corps tout entier qui risque de lui être sacrifié. » Ainsi le sacrifice du corps apparaît comme perspective là où la névrose obsessionnelle posait le rite. Le corps a une place de premier plan pour les addicts, là où les obsessionnels mettent les signifiants verbaux. D’où l’importance pour le psychanalyste à se décentrer du verbe. MARINOV montre comment les relations transférentielles et contre-transférentielles pourraient aller vers une emprise mortifère. Le contre-transfert qu’il met en avant est évidemment très important avec ce type de patients qui risquent leurs peaux. Les limites de la cure classique s’y trouvent interrogées et déplacées.

L’anorexie fait violence à tous les partenaires en jeu, bien qu’elle soit d’abord une violence tournée contre soi-même. « Ainsi, ce retournement d’une violence tournée vers soi-même doit être pris pour le message visible d’une détresse majeure qui espère rencontrer la compréhension de l’autre ; quelque chose comme un au-delà de la pitié. » Voilà un point d’interpellation du lecteur psychanalyste, point essentiel à mon sens. Notre réponse conditionnera un accrochage au travail analytique de certains patients. Plus loin, MARINOV poursuit « Pour se venger de cet accueil, l’anorexique s’identifiera à l’agresseur et aura tendance à tuer la vie dans l’œuf.. » Il parle de l’accueil dans la vie. Nous pouvons penser que l’accueil, selon sa qualité, risquerait en analyse de réactualiser des carences graves puisqu’elles menèrent à se désinvestir soi-même. Effectivement, « tuer dans l’œuf » est toujours possible quand une neutralité bienveillante est un peu trop neutre pour ce que certains patients ont vécu au préalable…

Autre point qui mérite d’être relevé, c’est le questionnement de l’auteur, qui concerne tous ceux des psychanalystes qui écrivent ou exposent lors de colloques, autour de comment on peut présenter les cas qui appuient les thèses que nous avançons. « J’ai fait le choix d’éliminer de ce livre toute référence trop explicite à des citations, des paroles ou gestes des patientes » écrit-il. L’éthique qui est derrière est donc un acte que l’auteur pose et dont il nous informe. Ce qui, que l’on soit ou non d’accord, me semble un acte courageux, mais a tout de même un inconvénient pour transmettre certaines « fulgurances » qui, de n’être pas énoncées dans la réalité de leurs apparitions, dans le travail analytique, deviennent moins parlantes. Le débat ne tournant pas autour de ce point, ne nous y attardons pas plus longtemps. Pour conclure je souhaite vous avoir donné envie de vous plonger dans ce livre, agréable à lire. Dernier point. Les questions de boulimie sont abordées ici, dans un rapport avec l’anorexie. Or, le phénomène boulimique prend de l’ampleur actuellement. Se pencher sur une approche de la boulimie est donc d’actualité clinique.

Catherine Grangeard

Psychanalyste.