Manuels Payot
Anne Dufourmantelle est psychanalyste et philosophe.

Anne Dufourmantelle
En cas d'amour

Psychopathologie de la vie amoureuse

En cas d'amour : que faire ? Axe autour duquel
tourne toute vie : aimer, être aimé. Avec toutes ses
déclinaisons : reconnaissance, peur d'être abandonné,
morsure de la jalousie, désir de possession, envie,
délivrance, haine, détachement, paix.

L'événement de l'amour est au cœur de ce livre.
Depuis les histoires imaginaires que l'on se forge
quand on est amoureux jusqu'au désir de vengeance
de celui qui est quitté en passant par la jalousie, la
fascination, la fusion amoureuse, la relation
fraternelle, la dispute, le livre explore différentes
figures de la passion et des blessures de l'attente
amoureuse.

On y rencontre l'écoute attentive et les désarrois d'une psychanalyste recueillant dans la chambre des
secrets les mots de ceux qui viennent déposer là leur
espérance. On peut y lire aussi une tentative de
penser ce qui nous fait répéter le même scénario et
souffrir en boucle des mêmes maux d'amour.
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En cas d'amour.
Ecrire sur ce qui ne cesse pas de pas s'écrire est peut-être une maladie. L'amour luimême
apparaît bien souvent comme une maladie... maladie dont l'humain ne saurait
trop se passer. Il est le bon grain et l'ivraie à la fois. Mais alors que faire "en cas
d'amour", comme l'énonce une patiente provoquant quelque peu la sidération de sa
psychanalyste ? Bien sûr, Anne Dufourmentelle est avant tout psychanalyste, et,
d'une certaine manière, la réponse de l'analyste, c'est la réponse par le transfert, ce
qui, il faut l'avouer, est un comble : En cas d'amour, donc , il y a l'amour... encore...
En suivant ces courts récits écrits d'une bien jolie plume, nous suivons "la
psychanalyste" face à cette folle demande de guérir de l'amour. Au rendez-vous des
amours manqués, nous retrouvons tout le cortège des maux et sentiments qui font
la "psychopathologie de la vie amoureuse" - sous-titre un peu malicieux au regard
du vrai witz du titre. Il ne s'agit bien entendu pas du catalogue des sentiments et
des affects de la vie amoureuse. Loin des habituelles articulations théorico-cliniques
accompagnées de leur fulgurantes vignettes, nous sommes là comme embarqués
dans... le transfert de la psychanalyste bien sûr, mais aussi et surtout dans ce qui
pourrait bien être le récit d'une tentative pour l'auteur de s'en dégager autrement.
Par l'écriture.
Si la psychanalyse n'a certes pas tout dit de l'amour - comment le pourrait-elle
? - les média font souvent appel au psychanalyste comme le "spécialiste" des
choses de l'amour. Il est bien remarquable que ce soit le plus souvent les femmes
psychanalystes qui en témoignent le mieux. Mais nous assistons le plus souvent au
décevant dépliage de la doxa nous faisant trop souvent oublié que si l'amour est un
mensonge du réel, il est lui même, au delà de sa signification un évènement "bel et
bien" réel et donc pas seulement le signe si particulier, le "privilège" d'une espèce
pour laquelle de rapport sexuel - symptôme des symptômes - il n'y a pas. Et pourtant
à ceux qui aiment, "...Ich weiss jetzt was kein Engel weiss... " ( « Je sais maintenant
ce qu’aucun ange ne sait»,(cf. Les ailes du désir, Wim Wenders )
C'est sans à cet exercice auquel Anne Dufourmentelle s'est probablement refusée.
Aucun des récits, dont il faut dire que quelques uns aurait pu produire de très belles
et profondes nouvelles, ne place l'auteure en observatrice, ni même en spécialiste.
C'est même tout le contraire puisqu'au sortir du récit nous sommes confrontés comme
l'auteure elle-même, au seul mode de penser qui finalement peut se justifier d'en
être un : le philosopher. On peut bien être psychanalyste, lorsque l'on sort du champ
de la séance, on est philosophe - à minima. Vous me direz : c'est que Madame
Dufourmentelle est philosophe ! Et bien voilà justement ce qui fait la richesse de
son propre regard, en ne succombant pas à l'implacable explication qui nous ferait
retomber dans l'essai clinique. Je ne suis pas contre les essais cliniques, mais ce
n'est pas, et de loin, le seul domaine ou peut et doit s'exercer la lettre de celui qui
par ailleurs est praticien. C'est aussi la preuve que le philosophe et le psychanalyste
peuvent se donner le change, et ce justement, en cas d'amour. Il y a là une
touchante tentative de restituer à l'épreuve d'amour sa portée universelle. La langue
du philosophe donne le change car le psychanalyste n'est peut-être pour ces choses
pas "pohâtassé" comme pouvait lui-même le regretter Lacan des psychanalystes.
Pourtant on ne s'y trompe pas, ce "témoignage" est bien celui d'une femme qui
a su accueillir ce qui ne peut se dire, et ce qui, à se dire, ne peut l'être qu'aux
seules conditions de celui qui vient occuper la place de l'analyste - ce sont ces temps
là qui sont exposés. Les dits et non-dits de l'amour, ce sont ici ceux d'une femme
qui vit dans l'insupportable attente d'une catastrophe annoncée, et pour laquelle
l'avenir est surdéterminé par des signifiants transgénérationnels, et où l'impasse du
désir, l'amour revient sous les formes désincarnés des fantômes du passé ; là, d'un
homme pour qui la dette d'un sauvetage - celui d'un enfant qui se noya - aura eu
raison de son désir, de tout ce désir qu'il lui fallut sans doute - pense l'auteure -
pour arracher un être à la certitude de la mort qui s'avance. Bien sûr le sacrifice
ignoré, la pulsion de mort à l'oeuvre. Cela n'échappe pas à "la psychanalyste" -
mais le témoignage prévaut ici sur la construction du cas, la pensée sur le discours
d'école. Cela fait du bien ; après le flot des discours, des appels à la pelle, de la
promotion - qui va jusqu'au discours de la concurrence - de la thérapie analytique,
pour faire face à la menace de cette folie que constitue lesdites nouvelles thérapies,
la psychanalyse a aujourd'hui besoin d'auteurs capables d'atteindre un public auquel
on ne servira pas nécessairement l'éternelle soupe du vocabulaire lacanien, certes à
renouveler. C'est, je crois, ce qu'a réussi - en tout cas tenté - non sans un certain
courage, Anne Dufourmentelle en restituant avec intelligence la dimension éthique de
la psychanalyse et pour nous le plaisir de lire, dans ces échanges parfois brusques,
improbables, inattendus, de ce qui, de l'amour, ne cesse pas de ne pas s'écrire.
Un dernier mot sur la philosophie qui se dégage en fin de parcours. J'ai retrouvé
quasiment dans son essence la théorie que d'Alain Badiou sur l'amour comme
évènement, et sa procédure de vérité (qui fait dire au philosophe si je m'en souvient
bien, que la seule fidélité est fidélité à ce qui aura tenu lieu d'évènement de la
rencontre, soit : un trou dans le savoir). C'est à lire dans De l'Amour, "Scène du
Deux", Flammarion 1999.
Anne Dufourmentelle est l'auteure "La Femme et le Sacrifice" - D'Antigone à la femme
d'à côté, Denoël 2007, d'"Une question d'enfant", Bayard 2002, de "La vocation
prophétique de la philosophie" paru au Cerrf, 1998, "American philo", interviewer
d'Avital Ronell, Stock, 2006, "Du retour - Abécédaire biopolitique", (Antonio Negri,
Anne Dufourmantelle Interviewer), LGF, 2004,"Blind Date - Sexe et philosophie"
chez Calmann-Lévy, 2003, *
"La sauvagerie maternelle",Calmann-Lévy,2001 et "De l'hospitalité" (Jacques Derrida,
Anne Dufourmantelle), Calmann-Lévy, 1997.

Robert Bitoun

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Compte-rendu de lecture du dernier livre d’Anne Dufourmantelle « En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse ». Paris, Manuels Payot, 2009.
Autant le dire tout de suite ma rencontre avec ce livre dans le cadre du prix Oedipe fut une Blind date . L’or déposé par les analysants dont les récits se succèdent au grès de quelques vingt huit chapitres (heureusement très courts) d’En cas d’amour, s’est transformé en ce triste plomb qui fait tomber les livres des mains. Je me suis pourtant résolu à le reprendre en plusieurs fois afin d’en faire ce compte rendu au risque de déplaire à celles et ceux qui ont aimé ce livre.
Anne Dufourmantelle, manifestement attirée par le chant des sirènes, fait avec ce livre un plongeon dans la mer agitée des passions amoureuses. La suivre dans ce mouvement pouvait a priori paraître séduisant car, force est de constater que dans notre monde où dominent les neurosciences, la question de l’amour ne fait plus guère fantasmer que l’industrie pharmaceutique. Le problème est qu’en voulant nous emmener dans les grands fonds de la psychopathologie amoureuse, Anne Dufourmantelle se confronte à l’impossible écriture d’un rapport entre les sexes sans tenir compte des leçons de Lacan qui, lui, avant d’écouter le chant des sirènes, comme Ulysse, avait soin de s’attacher au mât du navire .
C’est en effet une succession de « vignettes » que propose cette philosophe-psychanalyste. On serait tenté de parler de « collection » si une référence était faite au pastout lacanien. Le pastout chez Lacan, en s’opposant à l’universel du tous, rend mieux compte de la psychopathologie de la vie amoureuse que ces vignettes construites comme des exceptions (cf. la particulière minimale de J. Brunschwig), qui ne feraient que confirmer l’existence d’un monde que l’auteure d’En cas d’amour, voudrait nous faire atteindre.
On a bien sur le droit de ne pas aimer Lacan ni d’être lacanien —« Et Lacan, sur ses traces, bien qu’empêtré, jargonnant, hésitant écrit … » — mais alors, comment défendre la psychanalyse en 2009 en faisant l’impasse sur la clinique et la structure des cas présentés dans cette psychopathologie ? Parce qu’elle ne « dispose d’aucune carte » Anne Dufourmantelle n’hésite pas, pour y voir plus clair, à errer dans Paris avec son analysant de façon péripatétique . En voulant faire de son discours un discours qui ne serait pas du semblant, A.D. tombe dans le même travers que les auteurs du DSM qui par leur attachement au symptôme, éliminent le diagnostic de structure et laissent de coté la part de jouissance qui s’y attache.
A un moment où la psychanalyse est de plus en plus menacée par les fausses sciences et la religion, j’attendais de ce livre autre chose que la description de cures envisagées comme l’histoire des Atrides sans cesse recommencée . L’analyse n’aurait-elle donc pour Anne Doufourmantelle que la dimension psychothérapeutique de la fonction cathartique ? A la suivre, ne risque-t-on pas de voir le dire de l’analysant une fois recodé par l’écoute « autre » de son analyste , réaliser le fantasme de l’analyste ?
La question de l’amour qui fait souffrir est une question importante car elle ouvre sur celle de la jouissance et du réel et il est bien dommage que ce livre, en s’attachant trop à une vérité historique reconstruite par le psychanalyste autour de l’archive, privilégie le symbolique et passe à coté de la complexité étiologique de la maladie . Cédant sur l’indécidabilité de l’événement de l’amour en tentant d’y décerner une vérité sans aborder la question de la psychose, Anne Dufourmantelle est tombée dans les écueils du platonisme dénoncés par Lacan. Ainsi, par exemple, face à la question du suicide de son analysant évoquée dans son chapitre « L’amour l’enfant », on peut se demander si l’auteure d’en cas d’amour ne préfère pas rester éblouie — tout comme l’était le chœur dans les tragédies grecques— par l’éclat de la beauté du drame incarné. Si c’est le cas, le Psychopathologie de la vie amoureuse qui figure sous le titre est de l’ordre d’un mauvais witz.
Jean-Paul Kornobis, septembre 2009